En une génération, le numérique s’est imposé comme un outil incontournable. Prendre rendez-vous chez le médecin, s’orienter en voiture, consulter le solde de son compte en banque, flirter, inscrire ses enfants à la cantine, appeler les secours en montagne : chacun de nos gestes, du plus critique au plus anodin, repose désormais sur des octets.
Au point que l’empreinte environnementale de l’univers numérique devient insoutenable. En 2019, elle représente déjà un 6ème continent de 3 fois la taille de la France et devrait tripler entre 2010 et 2025 ! Parmi ces impacts, citons notamment les émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au dérèglement des climats locaux, l’épuisement des ressources abiotiques (minerais, énergies fossiles, etc.), et de nombreuses pollutions qui amplifient et accélèrent l’écroulement de la biodiversité.
A cette empreinte environnementale s’ajoutent des effets physiologiques et psychologiques préoccupants : dépendance, troubles de l’attention, harcèlement sur les réseaux sociaux, etc. Sans parler de la surcharge mentale et de la désinformation induites par l’infobésité et les fake news. Mis bout à bout, ces maux participent au déclin du QI des Européens.
Heureusement, comme tout « pharmakon » (1), les nombreux effets secondaires indésirables du numérique sont, parfois, compensés par des apports indiscutables en matières de santé, de sécurité, et plus globalement de confort de vie. Sans numérique pas d’IRM, de télétravail, de prévisions météos fiables, ou d’accès au réservoir inédit de connaissances que représentent les encyclopédies en ligne.
Une ressource non renouvelable, critique, mais gaspillée
Dans un monde fini, l’expansion exponentielle des octets ne peut se poursuivre indéfiniment. Le numérique est désormais une ressource non renouvelable et en voie d’épuisement. Pour une raison simple : nos ordinateurs sont construits avec des métaux dont le stock sera épuisé, pour certains, dans moins de 15 ans. Autrement dit, aussi surprenant que cela puisse paraître, dans leur forme actuelle, les ordinateurs auront disparu d’ici une à deux générations.
Or, le numérique est aussi une ressource critique pour l’humanité. Critique car elle renforce deux capacités qui fondent la résilience de notre espèce : communiquer efficacement et transmettre de grandes quantités de connaissances d’une génération à l’autre. Comment imaginer relever les défis planétaires actuels avec des pigeons voyageurs ? Nul doute aussi que la disparition brutale de cette ressource jetterait l’humanité dans une ère de chaos liée à notre incapacité de communiquer.
L’accélération et l’amplification des grandes crises écologiques nous somment de faire un choix. Allons nous augmenter indéfiniment la taille des écrans qui trônent fièrement au milieu de notre salon ? Ou préférons nous conserver les dernières réserves de cette ressource critique pour contribuer à la résilience de l’humanité face à l’effondrement en cours ?
L’heure d’un choix stratégique pour la France
C’est dans ce contexte qu’a émergé l’idée d’un autre avenir numérique, plus sobre et plus responsable. Joyeuse, innovante, créative et bien moins austère qu’on l’imagine de prime abord, la sobriété numérique propose un compromis entre les aspirations survivalistes et épicuriennes de l’humanité.
Au travers d’approches telles que l’écoconception radicale et la conception responsable de services numériques, nous savons désormais comment assembler avec ingéniosité low-tech et high-tech pour construire un avenir enviable. Une renaissance numérique est en cours. Reste à savoir si les décideurs français saisiront cette opportunité d’éclairer le monde ou si nous nous positionnerons en suiveur du « tout technologique » américain. ■
* Auteur du livre « Sobriété numérique : les clés pour agir » paru chez Buchet-Chastel le 12 septembre 2019.
1. drogue à la fois remède et poison