Près de 40 % de la consommation de cigarettes en France provient du marché parallèle, « une tendance sans commune mesure avec nos voisins européens » constatent KPMG et Philip Morris. Si en 2022, les ventes de cigarettes ont diminué de plus de 5 % dans le réseau légal (buralistes), « pour autant le nombre de fumeurs n’a pas reculé et s’est même stabilisé ». Parmi les 15 millions de fumeurs, dont 12 millions quotidiens que la France compte encore, une part de plus en plus importante se détourne du réseau légal des buralistes pour s’approvisionner via le marché parallèle.
Si l’on constate une augmentation du commerce illicite à l’échelle européenne de +0,3 milliard de cigarettes, « c’est principalement dû à la France où il augmente de +1,8 milliard ». « Le bilan français vient inverser la tendance européenne, qui autrement serait à la baisse » note KPMG. En 2022, avec près de 17 milliards de cigarettes illicites consommées sur son territoire (+12 %), la France a représenté 47 % des volumes illégaux de l’UE, loin devant la Grèce (2,9 milliards de cigarettes) ou la Pologne (1,8 milliard). Cela s’explique notamment par une augmentation de la contrefaçon et de la contrebande qui représentent près d’un tiers (32,4 %) de la consommation totale de cigarettes dans le pays. Pour Grégoire Verdeaux, le vice-président de Philip Morris International « la hause de la fiscalité sur le tabac décidée lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron dans une optique de santé publique n’a pas eu les effets escomptés. Elle n’a pas réduit la prévalence tabagique, vu qu’il y a toujours environ 25 % de fumeurs quotidiens depuis 2020. Par contre, elle a accéléré la croissance du marché parallèle ». Selon les chiffres délivrés par KPMG qui étudie depuis 2006 le marché illicite de tabac en Europe, la contrefaçon (cigarettes produites et distribuées par des réseaux illégaux) dont l’explosion a été observée en 2020 et 2021, « consolide son fort ancrage en France ». Ce ne sont pas moins de huit milliards de cigarettes contrefaites, équivalent à 400 millions de paquets, qui ont été consommées en 2022 en France. « Avec 15,4 % de la consommation totale, là où elle n’était que de 0,2 % en 2017, le recours à la contrefaçon par les fumeurs dessine une tendance de fond d’autant plus inquiétante avec l’apparition d’usines de contrefaçon sur le sol français » juge Philip Morris qui regrette dans la foulée la politique anti-tabac du gouvernement principalement basée sur une taxation de plus en plus élevée. « Les cigarettes devenant inaccessibles pour une partie de la population chez les buralistes, les fumeurs se reportent vers le marché de l’illicite » explique Patrick Coquart chercheur à l’IREF. « A sept euros en 2017, le prix du paquet a dépassé les 10 euros depuis 2020 : le double du prix pratiqué par les vendeurs de cigarettes à la sauvette ».
Pour autant, les résultats de cette étude laissent un goût amer aux associations anti-tabac qui y voient une offensive subtile des industriels du tabac contre la hausse de la fiscalité notamment. « Afin de contrecarrer les mesures de santé publique en faveur de la lutte contre le tabagisme en Europe, et freiner notamment la hausse de la fiscalité des produits du tabac, les cigarettiers ont pris l’habitude de brandir la « menace sérieuse et croissante » du commerce illicite : au cours de ces dernières années, ils affirment constater une explosion de la contrefaçon résultant des fortes hausses de taxes répétées » s’indigne dans un communiqué Alliance contre la tabac. L’association s’inquiète également de la méthodologie utilisée et du manque de transparence employé par le cabinet de conseil pour arriver à ces conclusion : enquête basée sur le ramassage des paquets vides en zones urbaines (où et comment), seules les grandes villes ont été incluses dans les zones de ramassages de paquets vides et par conséquent, les zones non-urbaines sont sous-représentées, informations vagues sur le calendrier des enquêtes…
Le rapport KPMG a été publié alors que le projet de loi sur les douanes était adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, deux mois après le vote du Sénat. Dans ce texte, la répression des trafics illicites de tabacs est renforcée. La peine prévue pour fabrication, détention frauduleuse en vue de la vente, vente hors du monopole, introduction ou importation frauduleuse de tabacs manufacturés est portée de un à trois ans de prison (dix ans contre cinq ans en cas de bande organisée). ■
16,9 mds de cigarettes illicites consommées en France en 2022
7,25 mds d’euros de manque à gagner pour l’Etat en 2022