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Assemblée : coups d’éclat vs sanctions

Si depuis les débuts de cette législature, les coups d’éclat de certains députés ne cessent de se multiplier, les sanctions aussi. Pourtant plusieurs élus s’interrogent sur leur proportionnalité.

Dernier épisode en date (au moment de la parution), le drapeau palestinien brandi dans l’hémicycle par la députée LFI Rachel Keke le 4 juin dernier. Un coup médiatique qui n’avait pourtant rien de très original puisque la semaine précédente, son collègue Sébastien Delogu avait fait la même chose. Il s’agit là « d’un geste solitaire » a d’ailleurs souligné un député LFI précisant que son groupe et d’autres élus écologistes et communistes avaient seulement décidé de s’habiller aux couleurs du drapeau palestinien, en noir, rouge, blanc et vert.

La provocation de Sébastien Delogu lui a valu une sanction immédiate décidée par Yaël Braun-Pivet et le Bureau de l’Assemblée. Ce proche de Jean-Luc Mélenchon s’est en effet vu infliger la censure avec exclusion de deux semaines et la perte de la moitié de ses indemnités de député pendant deux mois, la sanction la plus lourde parmi les quatre sanctions décrites dans le règlement intérieur de l’assemblée que sont : le rappel à l’ordre, le rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal impliquant la perte d’un quart de l’indemnité parlementaire, la censure simple, impliquant la perte de la moitié de l’indemnité parlementaire, et la censure avec exclusion de deux semaines.

Face à cette sanction qu’il a trouvée disproportionnée, le député LFI a décidé de saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme. « Ma sanction pour avoir brandi le drapeau d’un peuple colonisé et massacré, est digne d’un régime autoritaire (...) Je saisis la CEDH » a-t-il écrit sur X.

Cette sanction est venue s’ajouter à d’autres, non seulement pour le député LFI déjà « puni » à trois reprises mais pour d’autres élus aussi. Rachel Keke a pour sa part été sanctionnée d’un « rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal ». Yaël Braun-Pivet a ensuite indiqué qu’un bureau serait convoqué « ultérieurement » afin de décider si la sanction serait ou non aggravée.

Depuis fin 2023, les sanctions tombent à un rythme soutenu : près de 150 sanctions ont été prononcées contre les députés depuis le début de la législature, soit en un an et demi, contre six seulement entre 2012 et 2017 et seize entre 2017 et 2022.

La question non pas tant de la légitimité mais de la proportionnalité de la sanction a été soulevée par plusieurs observateurs de la vie parlementaire. Car chaque sanction se voit comparée à une autre. Comme lorsqu’en 2019, Sébastien Nadot (ex-LREM) avait brandi une pancarte sur laquelle était inscrit « La France tue au Yémen ». Le député n’avait été sanctionné que d’un rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal et perte d’un quart de son indemnité. Cette « peine » n’est que la 3ème dans la hiérarchie des sanctions. « Il y a réellement un deux poids deux mesures à l’Assemblée nationale et la présidente de l’Assemblée est la plus incompétente qu’on n’ait jamais eue sous la Vème République » a lourdement insisté au micro de nos confrères de BFMTV le député Delogu devenu en quelques heures porte-drapeau (sic) de la cause palestinienne. « Son comportement est répréhensible, le geste est politique et polémique mais il n’y a pas d’acte de violence. Une censure simple paraît plus proportionnée » avait proposé Naïma Moutchou (Horizons), la vice-présidente de l’assemblée pointant l’enjeu « important d’échelle des peines ». « C’est notre crédibilité en tant qu’institution qui est en jeu » avait-elle ajoutée. Rien n’y a fait. Sébastien Delogu s’est vu infliger la peine la plus lourde prévue au règlement annoncée dans l’hémicycle par la présidente de l’Assemblée et votée par assis debout par les députés*. Yaël Braun-Pivet a ensuite prié le député de quitter immédiatement la séance. Sébastien Delogu s’est immédiatement exécuté en faisant le V de la victoire encouragé par ses camarades entonnant La Marseillaise.

Mise en cause dans les heures suivantes, la présidente de l’Assemblée a réagi via X (anciennement twitter) et fait une mise au point. « Quelles sont nos règles ? Comment s’appliquent-elles ? Les respecter, c’est respecter les Français ». Dans une vidéo de trois minutes, Yaël Braun-Pivet a bien précise que Sébastien Delogu n’a pas été sanctionné pour avoir brandi le drapeau palestinien mais pour « manifestations troublant l’ordre » ou provoquant « une scène tumultueuse » ainsi que pour « outrages ou provocations envers l’Assemblée ou son Président » (art.70 alinéas 2 et 5). La présidente précise encore que l’article 9 de l’Instruction générale du Bureau stipule que « dans l’hémicycle, l’expression est exclusivement orale ». Il est encore écrit que « l’utilisation, notamment pendant les questions au Gouvernement, à l’appui d’un propos, de graphiques, de pancartes, de documents, d’objets ou instruments divers est interdite ». « Le port de tout signe religieux ostensible, d’un uniforme, de logos ou messages commerciaux ou de slogans de nature politique » est également prohibé en séance. « On ne peut donc pas sortir un drapeau, un paquet de pâtes de son sac ou encore un gilet jaune comme on a pu le voir par le passé. Ces faits-là sont sanctionnés » termine Yaël Braun-Pivet,

« On n’efface pas 7 mois de soutien inconditionnel au gouvernement génocidaire de Netanyahou par 3 minutes de justification ! Yaël-Braun Pivet est la présidente du 2 poids-2 mesures ! » lui a répondu le principal intéressé sur X. « Ce ne sont pas les règles qui vous ont poussé à prendre une telle sanction (...) mais votre détestation du peuple palestinien et votre soutien inconditionnel à Israël » lui a pour sa part reproché Rima Hassan, candidate aux élections européennes sur la liste de l’Union populaire avec la France insoumise.

Alors que les sanctions prononcées sont de plus en plus nombreuses et face à « la bordelisation » organisée sur certains bancs, la présidente de l’Assemblée cherche la parade mais hésite à changer les règles. Elle a tout de même posé la question en conférence des présidents le 14 mai dernier et demandé aux présidents de groupe de faire des propositions en ce sens. 

*En novembre 2022, le député RN Grégoire de Fournas avait écopé de la même sanction pour avoir lancé au député de La France insoumise (LFI) Carlos Martens Bilongo « qu’il retourne en Afrique ! ». Même sanction en 2011 appliquée au député apparenté PCF Maxime Gremetz, pour une altercation au sujet de voitures ministérielles « mal garées » selon lui.

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