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“Inaccessibles à la sanction pénale”

Par Raphaël Piastra, Maître de Conférences en droit public

C’est en ces termes que la secrétaire générale du syndicat Unité Magistrats, Béatrice Brugère, a qualifié ces mineurs qui tuent à coups de couteau comme dans la triste affaire Elias (Le Parisien, 27/1/2025).

La liste des attaques au couteau, mortelles ou non, enfle chaque jour dans notre pays. On s’aperçoit que les auteurs, lorsqu’ils sont mineurs, attaquent la plupart du temps « pour un rien ». En l’espèce le jeune Elias a refusé de donner son portable. Voici encore une vingtaine d’années, ce refus, légitime, se serait soldé par une bagarre en bonne et due forme. A mains d’hommes si l’on peut dire. Ce peut être aussi pour un regard échangé qui l’agresse estime celui qui va poignarder. « Il m’a mal regardé » explique souvent celui-ci d’ailleurs dans une confusion mentale et lexicale totale. Lorsque l’on n’a plus aucun repère, on se sent agressé pour un rien. Dans l’interview du Parisien Mme Brugère dresse avec raison un constat sévère sur le traitement de la criminalité et de la délinquance des mineurs par la justice, qu’elle juge inefficace face à des adolescents en perte de repères éducatifs et fortement ancrés dans la délinquance.

L’affaire Elias se suffit à elle-même pour décrire ce qu’est devenue la justice des mineurs en France. Reprenons-la un peu. Comme c’est devenu presque une antienne, les agresseurs étaient connus des services de police et de justice. Les deux mineurs, résidant dans le 14ème arrondissement, grâce aux témoignages et aux caméras, ont été interpellés peu de temps après les faits et placés en garde à vue. Selon le préfet de police, Laurent Nuñez, interrogé sur RTL lundi matin, « l’un a reconnu la tentative d’extorsion et le coup de couteau mortel ». Le vol de portable « était le seul mobile, et il ne connaissait probablement pas la victime », a précisé le préfet. Les deux garçons (d’origine maghrébine) étaient connus de la justice selon le parquet même. L’un avait fait l’objet d’une mesure éducative judiciaire en décembre 2023 pour des faits de vols et extorsion. Ils avaient été tous les deux présentés à la justice le 30 octobre 2024 pour des faits de vol commis avec violence. Ils devaient comparaître en juin devant le tribunal pour mineurs. Mais aucun enfermement n’a été décidé. Le juge qui en a décidé ainsi, en son âme et conscience, porte une part de la responsabilité de la mort d’Elias. C’est incontestable et peu relevé. Ces racailles avaient par ailleurs interdiction d’entrer en contact entre eux. Pour des voyous habitant dans la même cité, c’était là une vaste fumisterie.

Dans ce XIVème arrondissement de Paris les actes de violences se multiplient notamment en provenance de mineurs. Tels des loups, ils agissent en bandes. A ceci près que les animaux ont un chef de meute qui règne. Dans ces bandes, c’est l’anarchie. Le préfet Nuñez a de son côté déploré « une montée en gamme, une montée en puissance de la violence chez les mineurs, qui devient insupportable ». Pour « certaines catégories de faits, je pense notamment aux vols [avec] violences dans l’agglomération parisienne, un tiers des mis en cause sont des mineurs », a-t-il ajouté.

Il va falloir rapidement revoir une bonne fois pour toutes le statut pénal des mineurs. Avec le degré de dangerosité et de maturité criminelle que certains ont acquis, l’excuse de minorité est devenue totalement inopérante selon nous. Ceux qui ont agressé Elias ont 16 et 17 ans. Ils sont parfaitement conscients, notamment celui qui a tué, de ce qui a été fait. Au risque de choquer mais peu nous importe, ce dernier estime sûrement avoir accédé à un échelon de prestige par rapport à la bande. Celui de tueur. Le « Graal » dans ce milieu où la principale carence se situe au niveau de la matière grise…

Également cette pénible affaire relance le débat sur la comparution immédiate des mineurs. Elle doit être mise en place près vite. L’ancien Premier ministre Attal, voilà quelques mois, avait raison de souhaiter « dans certains cas, par exemple dans les cas de violence aggravée, quand vous avez plus de 16 ans, quand vous êtes récidiviste, il puisse exister une procédure, un peu comme une comparution immédiate », pour que « le tribunal se prononce à la fois sur la culpabilité et la sanction, tout de suite après l’infraction ». Selon l’ancien locataire de Matignon, « il n’y a pas de raison qu’un jeune de cet âge ne puisse pas être sanctionné directement après les faits ». Au risque de choquer les chantres de la culture de l’excuse, dès les faits avérés, il faut enfermer immédiatement, à titre provisoire, ces jeunes délinquants récidivistes dans des Centres spécifiques. On a les Centres d’Education Fermée mais qui ont la fâcheuse particularité d’être « ouverts ». On a des Centres d’Education Renforcée (de moins en moins). Faisons-en des mini-prisons avec les moyens nécessaires à cet égard. Il faut placer ces individus de préférence loin de leur domicile et de leur lieu de vie sociale. Afin de casser la spirale dans son intégralité. Quant au délinquant criminel, il doit aller bien sûr directement à la case prison. Peu importe le temps que dure la détention provisoire. Et ce sans délai. Là encore le chemin criminel du tueur d’Elias est connu. Donc il faut faire vite. La justice doit aussi être expéditive lorsque c’est nécessaire. Mais là également il faut placer ce tueur dans un établissement loin de la région parisienne.

Eloignement, isolement s’il le faut (les quartiers de haute sécurité avaient de bons côtés), encadrement militaire (« de la jeunesse » plaidait Mme Royal), réapprentissage des codes sociaux, des valeurs républicaines, tolérance 0 dans le comportement. Autant de règles qui devraient rendre ces jeunes enfin accessibles à la sanction.

Et puis, malgré les jérémiades des fondamentalistes droitsdel’hommistes, il conviendrait aussi de mobiliser les parents de ces jeunes délinquants. Au besoin en taxant là où cela fait mal : les allocations diverses et variées dont ils sont en général bénéficiaires. En tout état de cause, il faut agir vite et fort car cette délinquance et cette criminalité juvéniles rongent notre société tel une peste noire.