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Cumul des mandats : retour vers le passé

Par Colette Capdevielle, Députée de la 5ème circonscription des Pyrénées Atlantiques

Devant le conseil municipal de Pau, dans une temporalité qui interroge fortement, le Premier ministre a remis sur la table un sujet que l’on croyait définitivement tranché : le cumul des mandats. Pourtant en 2012, François Bayrou indiquait qu’il y était opposé.

Rappelons que la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdit aux parlementaires d’exercer une fonction exécutive locale. Autrement dit, depuis 2017, il en est fini du député-maire ou encore du député-président de conseil départemental ou régional.

Il faut toutefois convenir que le cheminement pour aboutir à une telle réforme n’a pas été facile et que les résistances étaient fortes. Dès 2013, avec 38 de mes collègues socialistes, je signais une tribune dans Le Monde pour interpeller le Gouvernement sur la nécessité de mener à bien cette promesse de campagne.

L’adoption de la loi de 2014 n’avait d’ailleurs pas éteint le débat pour autant. Le rapport Woerth d’avril 2024 sur la décentralisation préconisait bien de revenir au cumul des mandats, et de « permettre à tout parlementaire d’exercer le mandat de maire, d’adjoint au maire ou de président d’EPCI ».

Aujourd’hui ma conviction reste la même : l’interdiction de la pratique du cumul des mandats permet un renouvellement, un rajeunissement et une féminisation du personnel politique.

Pour justifier ce lointain retour en arrière, le Premier ministre affirmait qu’il fallait « ré-enraciner les responsabilités politiques, dans les villages, les quartiers, les villes ». Ce constat partirait du postulat que les parlementaires seraient coupés du terrain. Rien n’est moins vrai.

Ceux qui le souhaitent peuvent toujours continuer à exercer des responsabilités non exécutives au sein de collectivités territoriales ou d’EPCI (conseiller municipal, conseiller régional, conseiller départemental…). Je suis pour ma part conseillère municipale et conseillère communautaire.

Mais chacun conviendra que la connaissance du territoire et des réalités concrètes ne passe pas nécessairement par l’exercice d’un mandat électif mais par des engagements les plus divers dans des associations, des syndicats, l’exercice d’une activité professionnelle, dans l’expérience de la vie réelle.

Les parlementaires sont au contact tous les jours avec tous les concitoyens qui viennent à leur rencontre.

Hier encore, siégeant en qualité de parlementaire au conseil de surveillance de l’hôpital de Bayonne, j’étais en prise directe avec les réalités locales.

Comment imaginer cumuler efficacement un mandat de parlementaire à l’agenda bien rempli sept jours sur sept, et l’exercice de mandats exécutifs locaux ?

Comment prétendre que le cumul favorise le sens des réalités et la proximité avec les citoyens quand, dans la même semaine, le même élu doit présider son conseil municipal, signer les actes de la structure intercommunale qu’il préside, participer aux travaux du conseil régional, tenir sa permanence parlementaire, monter à Paris pour assister aux séances, aux réunions de groupe et de commissions et rédiger amendements et rapports parlementaires ?

Un tel exercice conduit en réalité à confier et déléguer l’exercice des responsabilités locales à la techno-structure et à concentrer le pouvoir sur une seule personne qui se croit indispensable.

In fine, plus de dix ans après l’adoption de cette réforme fondamentale, comment vouloir remettre en cause cette avancée démocratique ?

Je suis heureuse que la réforme de 2014 ait permis à plus de femmes d’être élues. Je peux affirmer qu’elles sont en prise directe avec la réalité des territoires, parce qu’elles sont issues du monde professionnel, associatif, syndical et de ses réalités. Je pense par exemple à ma collègue Marie-José Allemand, élue députée des Hautes-Alpes qui est agricultrice.

Notre démocratie a besoin de diversifier les profils qui sont élus.

L’assemblée nationale compte à ce jour 36 % de femmes élues. Ce pourcentage était d’environ 27 % en 2012. Il reste encore des marges importantes de progrès ….

L’interdiction du cumul des mandats ne doit pas être remise en cause.

Un mandat électif n’est pas un métier mais une fonction qui doit nécessairement être limitée dans le temps.

En 2017, le ministre de la Justice, un certain François Bayrou présentait un projet de loi pour la moralisation de la vie politique dans lequel il proposait la limitation à trois mandats dans le temps pour les députés, les sénateurs et les élus d’exécutifs locaux, ou encore l’interdiction aux ministres d’exercer une fonction élective locale.

O tempora, o mores. Autres temps, autres mœurs.