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Cathédrale de Paris : les vitraux de la discorde

Depuis l’annonce du Chef de l’Etat d’installer six nouveaux vitraux dans la cathédrale de Paris la polémique n’a cessé d’enfler. Et la désignation de l’artiste Claire Tabouret pour cette création contemporaine n’a rien arrangé. Bien au contraire.

“L’effort admirable et collectif qui a permis la renaissance de Notre-Dame ne devrait pas être entaché par des querelles d’un autre âge entre des « anciens » et des « modernes ». Patrimoine et création doivent aller de pair, c’est ce qui fait la force d’une culture et la vitalité de notre modèle culturel. Associer aujourd’hui Viollet-Le-Duc, qui fut un moderniste, et Claire Tabouret, comme on a associé hier Garnier et Chagall à l’Opéra, c’est porter au plus haut la notion de patrimoine” a défendu avec force la ministre de la culture, Rachida Dati. Cette « querelle » est pourtant née des propos d’Emmanuel Macron. En décembre 2023, le président déclarait vouloir « faire entrer le XXIème siècle » dans Notre-Dame. Avec le soutien de l’archevêque de Paris, il avait alors annoncé le projet d’installer des vitraux contemporains en lieu et place de ceux crées et posés par Viollet-Le-Duc. Mais la suggestion du président avait été immédiatement dénoncée par les défenseurs du patrimoine, Stéphane Bern en tête. Encore récemment, l’animateur télé déclarait : « Je n’ai rien ni contre Claire Tabouret ni contre les vitraux contemporains. Il y en a à la cathédrale de Chartres et j’ai participé à la collecte. Mais je leur suis favorable quand les anciens sont détruits ou détériorés. On ne peut pas enlever des vitraux classés Monument historique ». Et c’est bien là toute la question. L’argumentation des opposants au projet présidentiel s’appuie sur l’illégalité présumée de son choix. En juillet 2024, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA) rejetait « à l’unanimité » le projet - « ça n’arrive quasiment jamais » souligne Julien Lacaze, le président de l’association « Sites et monuments » qui a déposé un recours en justice pour bloquer le vœu présidentiel. Pour le CNPA, vouloir remplacer les vitraux existants est une violation manifeste de la charte de Venise, charte qui recommande dans son article 11 de respecter lors d’une restauration, « les apports valables de toutes les époques ». « L’œuvre d’Eugène Viollet-Le-Duc constitue évidemment un apport valable. Comme le montre la superbe restauration des peintures murales des chapelles de Notre-Dame » argue Julien Lacaze. Même son de cloche pour Didier Rykner, le fondateur et animateur du site « La Tribune de l’Art » à l’origine d’une pétition contre le projet : « Les vitraux de Notre-Dame conçus par Viollet-le-Duc l’ont été comme un ensemble cohérent. Il s’agit d’une véritable création que l’architecte a voulu fidèle à l’origine gothique de la cathédrale. (...) Il y a ici une recherche d’unité architecturale et de hiérarchisation de l’espace qui fait partie intégrante de son œuvre et que les travaux avaient notamment pour but de retrouver » sans oublier, ajoute-t-il que « les vitraux n’avaient pas été touchés par l’incendie et sont classés monument historique au même titre que le monument ».

Et que dire de la « querelle » supposée opposant « anciens » et « modernes » dénoncée habilement et malicieusement par la ministre de la culture ? Pour Julien Lacaze, elle n’a évidemment pas lieu d’être. « Nous ne sommes pas contre la création contemporaine. Notamment pour les verrières des tours de la cathédrale, restées blanches. L’art contemporain a sa place. Mais il faut que ce soit en plus et pas en moins » explique-t-il tranquillement tout en prenant soin de pointer le « mépris » des « politiques et des ecclésiastiques » pour la patrimoine du XIXème siècle. D’aucuns rappellent aussi que la touche contemporaine est largement inscrite dans la cathédrale retrouvée avec son mobilier liturgique, le reliquaire de la sainte Couronne ou même les chasubles très colorées (et décriées) de Jean-Charles de Castelbajac. N’oublions pas non plus le coût de ce changement de vitraux estimé entre 3 et 4 millions d’euros.

Tout est aujourd’hui suspendu à l’autorisation de travaux qui dans le cadre de la modification d’un monument historique doit être délivrée par le préfet d’Île-de-France. En cas d’autorisation, un recours sera immédiatement déposé préviennent les défenseurs du patrimoine. Sans autorisation « il y a peu de chances, au vu des pressions, que les vitraux se fassent » espère Julien Lacaze qui ne veut pas croire en la maxime inventée pour l’occasion par Stéphane Bern : « c’est un souhait du président. Donc ce que le président veut, Dieu le veut, j’ai l’impression ! » 

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