Si en octobre 2019, à la veille du précédent scrutin municipal, 48 % des maires se déclaraient prêts à se représenter, ils ne sont plus que 41,7 % à vouloir rempiler pour le scrutin de 2026. Les maires sont plus indécis quant à la suite de leur engagement.
Et pour cause…
Dans cette même enquête, les chercheurs mettent en avant que près d’un maire sur deux ne prend que 0 à 2 semaines maximum de vacances chaque année. Un fait révélateur de leur charge mentale importante. L’étude révèle aussi que les maires indiquent subir, de plus en plus, des incivilités, des injures, du harcèlement moral et même, pour certains, des agressions physiques. A cela s’ajoute un constat sans appel : 75 % des maires jugent le niveau d’exigence des citoyens trop élevé.
Autant de signaux, inquiétants, qui ne sont que la partie visible de l’iceberg. Car ce dont il est vraiment question au fond c’est d’un sentiment d’impuissance.
Des chercheurs montpelliérains ont comparé la situation des maires avec celle des dirigeants de PME : les maires comme ces chefs d’entreprise sont très investis, avec une forte ambition et une forte implication. Ils ont ainsi constaté des états émotionnels similaires, à l’exception d’un seul sentiment : l’impuissance, bas chez les chefs d’entreprise et haut chez les maires. Ils décrivent très bien comment les maires français sont « très investis mais très empêchés », concluant même qu’ils souffrent « d’une forme de syndrome d’épuisement de frustration ».
Malgré leur envie de servir très forte et l’authenticité de leur engagement, les maires se retrouvent très vite confrontés à de l’impuissance :
• Une impuissance face à des normes complexes votées depuis Paris qui s’appliquent à toutes les communes de manière uniforme, parfois contradictoire, sans prise en compte de la situation locale. Alors que le budget est contraint, elles mobilisent par ailleurs le peu de marges de manœuvre financières dont disposent les maires au détriment de la réalisation de leur projet politique.
• Une impuissance face à une intercommunalité qui exerce désormais à leur place la majeure partie des compétences communales alors même qu’elle est de plus en plus éloignée (en temps ou en distance).
• Une impuissance face aux requêtes des concitoyens qui concernent à peu près tous les services publics pour lesquels la qualité se dégrade ou les guichets ferment alors qu’ils ne relèvent pas du pouvoir du maire.
C’est, selon moi, principalement ce sentiment d’impuissance qui a conduit plus de 2400 maires à démissionner à date du dernier recensement connu. Pendant trop longtemps, ces situations ont été analysées sous l’angle de la psychologie et de la responsabilité individuelle au lieu de se confronter à des manquements qui sont en fait structurels. Pourtant c’est bien en s’attaquant aux éléments systémiques que nous permettrons aux maires, véritables garant de la fraternité, de retrouver leur pouvoir.
Car il est temps de redonner aux maires, derniers remparts de notre cohésion nationale, leur capacité d’agir.
1. En se lançant dans une simplification administrative : stop à “l’addiction aux normes” comme le dit Madame la Ministre Gatel. Sans manier la tronçonneuse, acceptons plus de souplesse et moins de complexité.
2. En renonçant à une centralisation excessive, aux doublons et aux contrôles entre l’État et les collectivités. La différenciation et la confiance ne sont pas des gros mots !
3. En redonnant plus de poids aux communes dans l’intercommunalité : en proposant sur certains sujets un possible droit de véto des communes.
4. En garantissant un vrai statut de l’élu qui permette des droits alignés, à minima, sur le droit commun en matière de rémunération, de retraite, de congé maternité, de réinsertion, etc.
Il semblerait que nous observions de gros bouchons dans le calendrier parlementaire. Pourtant, à quelques mois des élections municipales, il serait important que les députés et sénateurs envoient un signal fort aux territoires, en mettant à l’ordre du jour ces sujets. Il en va de la survie de notre démocratie locale. ■
*Camille Pouponneau, jeune maire élue à trente ans dans une commune de 9 000 habitants, a quitté ses fonctions en octobre 2024. Prise en étau entre un État démissionnaire qui multiplie les complexités bureaucratiques, l’individualisme croissant des citoyens et la violence ordinaire, elle raconte avec une sincérité bouleversante les coulisses de son mandat et révèle le malaise de ceux qui font vivre nos villes et nos villages. Derniers garants d’une démocratie en pleine déliquescence.