Les glaciers fondent, la banquise aussi, les pôles se réchauffent, les îles coralliennes et les basses terres sont menacées. Peut-être. Oui et non. Pas sûr. Difficile à interpréter.
Le plus grand glacier du massif alpin est celui d'Aletsch. Pendant la période chaude appelée l'optimum romain, entre 200 avant J.-C. et 50 après J.-C., ce glacier avait autant rétréci qu'aujourd'hui. Pendant la période chaude précédente, beaucoup plus prononcée, vers la fin de l'Age du Bronze, à l'époque de Toutânkhamon, il était plus court d'un kilomètre. Quand l'historien Emmanuel Leroy Ladurie explora sa base en 1961, il vit qu'un canal en bois de mélèze construit au Moyen Age restait en partie enfoui sous le glacier. Autrement dit, à en juger du moins par l'histoire du plus grand glacier alpin, le réchauffement actuel n'a rien d'exceptionnel au regard l'histoire humaine – une période très brève à l'échelle de l'histoire longue du climat. En outre, la fonte actuelle du glacier d'Aletsch a commencé vers 1850, à la fin des siècles appelés le Petit âge glaciaire, donc bien avant l'explosion des émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines.
« Tous les scénarios montrent que la glace de mer va rétrécir à la fois en Arctique et en Antarctique », affirmait le quatrième rapport du GIEC en 2007. Elle a rétréci en Arctique, mais pas en Antarctique où, au contraire, elle s'est étendue. En septembre 2014 la NASA annonçait : « L'extension de la glace de mer entourant l'Antarctique a atteint un nouveau record, couvrant plus de surface océanique que jamais depuis le début des mesures par satellite à la fin des années 1970 ». On assiste aujourd'hui à une tendance à la fonte de certaines langues glaciaires de l'Antarctique Ouest, mais plusieurs articles scientifiques de ces dernières années concluent à une tendance à l'augmentation du volume de glace de l'Antarctique Est, qui soutient environ 80% du total de la masse glaciaire du globe.
Et les îles coralliennes ? En août 2014, un article paru dans la revue Science, mais soigneusement passé sous silence par les médias, présentait le point de vue de chercheurs pour lesquels les atolls ne sont nullement menacés par la montée des eaux, car ils montent au même rythme – ce que Darwin avait déjà observé voici un siècle et demi. Au même moment un article paru dans Nature montrait que l'extension des zones inondables du Bangladesh, souvent présentée comme un effet de la hausse du niveau de la mer, est imputable à l'affaissement du delta du Gange et du Brahmapoutre, largement provoqué par les activités humaines. Comme la fonte des glaciers alpins, la hausse actuelle du niveau de la mer a commencé au milieu du XIXème siècle, à la fin du Petit âge glaciaire, et certains scientifiques estiment que le rythme de l'élévation a été plus marqué dans la première moitié du XXème siècle que dans la seconde. Elle ne serait donc pas corrélée à l'augmentation des gaz à effet de serre.
La corrélation ne vaut pas non plus pour ce qu'il est convenu d'appeler la température globale. Les données satellite, plus fiables que les reconstructions statistiques opérées à partir des relevés au sol et en mer, indiquent en effet l'installation d'un plateau depuis la fin des années 1990 : pas d'augmentation significative, alors même que l'injection de gaz à effet de serre dans l'atmosphère s'est accélérée.
En 2005, un biologiste grec en poste à Harvard, John Ioannidis, publiait un article retentissant titré : « Pourquoi la plupart des résultats de recherche sont faux ». Aujourd'hui professeur à Stanford, il s'est fait une spécialité d'analyser les biais cachés dans les publications scientifiques de haut niveau. Se concentrant sur son domaine, la biomédecine, il détaille les différentes façons dont la majorité des chercheurs manipulent leurs données pour enjoliver leurs résultats, consciemment ou non. Poussés par le besoin de publier, condition nécessaire à l'établissement de leur notoriété, à la progression dans la carrière et à l'obtention de fonds, les scientifiques sont en effet incités à négliger les résultats négatifs ou contraires à leurs attentes et à sélectionner les données qui vont dans le sens de leurs aspirations ou de leurs croyances. Après avoir évoqué la fréquence des conflits d'intérêt matériels, Ioannidis écrit dans un article récent : « Les préjugés, eux, n'ont pas forcément des racines financières. Le biais intellectuel peut simplement venir de la croyance dans la justesse d'une théorie scientifique ou de leur attachement à leurs propres résultats. Et beaucoup de travaux de recherche universitaires par ailleurs tout à fait indépendants en apparence peuvent être menés au seul motif de la carrière du chercheur ». Ceci vaut pour le scientifique qui soumet un article comme pour les « pairs » qui sont censés en évaluer la validité : « Des scientifiques prestigieux sollicités par la procédure d'évaluation par les pairs peuvent éliminer des résultats qui viennent contredire les leurs et donc condamner un champ de recherche à entretenir un dogme perpétuel ». Conclusion : en biomédecine, 80% environ des articles scientifiques sont biaisés.
Ce point de vue est désormais partagé par bon nombre de spécialistes et le même type de constat a été dressé dans d'autres domaines du savoir. Ainsi en psychologie, plusieurs études ont abouti à une conclusion semblable. La dernière, publiée en 2015, portait sur une sélection de cent articles considérés comme importants publiés en 2008. Au vu des données exploitées par les chercheurs, près des deux tiers des résultats étaient biaisés. Moins connu, des économistes canadiens sont parvenus à la même conclusion concernant les articles publiés dans les plus prestigieuses revues d'économie.
Aucune étude de ce genre n'a été menée en climatologie, mais on peut parier sans risque que l'on obtiendrait un résultat comparable. A vrai dire, il serait peut-être pire. Comme l'observe Ioannidis, « plus le sujet est chaud, plus il implique un grand nombre d'équipes scientifiques, moins les résultats ont de chances d'être vrais ». Or, sans vouloir jouer sur les mots, il n'est guère de sujet plus chaud que le climat, guère de domaine aussi où une aussi grande communauté de chercheurs est mobilisée autour d'un même objectif. Quand on se plonge dans cette littérature scientifique, on est surpris de constater la fréquence avec laquelle des conclusions sont tirées de données mal assurées, incomplètes ou clairement difficiles à interpréter. Surpris aussi de voir les effets de gradation entre les incertitudes souvent mentionnées dans le dernier tiers de l'article, la fermeté des affirmations présentées en introduction et en conclusion, le caractère souvent plus affirmatif encore du titre et de l'abstract, sans parler du communiqué de presse publié par l'institution dont dépendent les chercheurs. Ces articles sont aussi émaillés de formules prudentes mais entraînantes du style « may », « might », « suggest », qui sont là pour masquer le fait que les auteurs présentent des indices, sans plus. Des indices qui vont tous dans le sens de la thèse principale défendue, laquelle est le plus souvent censée venir renforcer la thèse centrale selon laquelle nous vivons un réchauffement catastrophique et nous dirigeons vers un réchauffement plus catastrophique encore.
Nombre de ces biais, qu'il faudrait entreprendre de recenser de manière systématique, comme Ioannidis l'a fait en biomédecine, sont pratiqués de manière inconsciente ou naïve. Les chercheurs ne sont pas formés à l'épistémologie ni à la psychologie cognitive, et bien souvent ne se rendent pas compte qu'ils confondent science et wishful thinking. Mais parfois, comme en biomédecine, c'est de fraude qu'il s'agit. Il est aujourd'hui établi que la fameuse courbe en crosse de hockey, censée établir une hausse spectaculaire des températures à la fin du XXème siècle après demi millénaire de calme plat, était une fraude. Comme on le sait, cette courbe a servi d'oriflamme au GIEC et a largement contribué à enclencher le processus politique de lutte contre le réchauffement climatique.
Il est bien possible que l'accumulation des gaz à effet de serre finisse par produire une élévation des températures à l'échelle du globe, ce qui justifie des mesures de précaution – sans pour autant les fonder sur des objectifs lointains, inspirés par des modèles peu fiables. Mais pour l'heure, contrairement à ce que tout le monde ou presque répète en chœur, la science n'est pas établie. ■
* Vient de publier aux Editions Lattès : La Comédie du Climat – Comment se fâcher en famille sur le réchauffement climatique.