La situation financière difficile de la SNCF ? La crise sanitaire a bon dos mais elle n’explique pas tout soulignent avec un certain agacement les rapporteurs spéciaux venus présenter leur rapport à leurs collègues sénateurs en mars dernier. Sans toutefois nier les effets de cette crise sans précédent sur le groupe SNCF, les rapporteurs ont souhaité voir plus loin et porter leur attention sur « les déterminants structurels de la situation de la SNCF » qui sont loin d’être sans conséquences sur le développement même de l’espace ferroviaire européen.
Pour les rapporteurs, il est d’abord notable que les réformes qui se sont succédées depuis trois décennies avec pour ambition de restaurer la soutenabilité financière de la SNCF et du groupe ferroviaire ont été certes utiles mais pas suffisantes. Et notamment, celle de 2018 qui a permis la suppression du statut de cheminot et transformé l’entreprise en une société anonyme à capitaux publics. En parallèle, l’Etat s’était engagé à reprendre 35 milliards d’euros de la dette de SNCF réseau d’une dette estimée à 55 milliards d’euros en 2017. Reste que plusieurs des hypothèses de la réforme de 2018 sont aujourd’hui remises en cause comme la vigueur de l’activité TGV. « La crise sanitaire a violement affecté la situation financière du groupe » constatent effectivement les rapporteurs, avec un effet négatif sur le chiffre d’affaires en 2020 estimé à près de 7 milliards d’euros. Au-delà, la crise a aussi un impact à long terme sur les habitudes de mobilité des Français – on pense à la diminution durable de la demande de voyages d’affaires.
« Mais en faisant abstraction des conséquences de la crise, la situation financière structurelle du groupe SNCF reste à ce jour déséquilibrée et l’atteinte de ses objectifs incertaine » insistent les deux élus. Et de pointer par exemple le rôle vertueux joué par Geodis et Keolis, les deux filiales de la SNCF, qui représentent à elles seules 50 % du chiffre d’affaires de la SNCF. Voilà « un moteur du groupe qui est dorénavant extérieur au cœur de métier de la SNCF ». Une « dynamique financière de ses activités, pourvoyeuses de croissance, de marge opérationnelle et de cash qui masque les faiblesses structurelles de la SNCF » déplorent-ils.
Un coût moyen de transport élevé
Sévèrement mais non sans raisons, les sénateurs s’inquiètent du manque de compétitivité de la SNCF liée à des surcoûts. Entre 1996 et 2013, les gains de productivité réalisés par la SNCF ont ainsi été quatre à cinq fois moins importants que ceux de ses homologues allemand et suisse. En 2018, le déficit de compétitivité de la SNCF par rapport à ses homologues était estimé à 30 %. Si « l’extinction du statut de cheminot comblera partiellement cet écart, ses effets seront progressifs et la SNCF doit impérativement actionner d’autres leviers de compétitivité dès maintenant » estiment-ils. « L’opérateur a conscience de cette faiblesse, due notamment aux rigidités de son organisation du travail ajoutent-ils. C’est pour cette raison qu’il a fait le choix de créer des filières ad hoc pour répondre aux appels d’offres TER lancés par les régions ». Pour l’activité TER, le constat est sans appel : les coûts de roulage de la SNCF sont supérieurs de près de 60 % à ce qu’ils sont en Allemagne, par exemple. « Cette situation tend à s’aggraver puisqu’entre 2006 et 2018, les contributions des régions aux TER ont augmenté de 92 % en France tandis qu’elles ont baissé de 34 % en Allemagne ». « En France, poursuit le rapport, trois fois plus d’agents sont nécessaires pour faire circuler un train qu’ailleurs en Europe ». Avec comme conséquence immédiate, un coût moyen du transport estimé à 22 centimes par passager et par kilomètre sur les trains des réseaux TER, Transilien et Intercités contre 19 centimes en Allemagne, 14,4 centimes en Espagne et 14 centimes en Italie. « Alors que le processus d’ouverture à la concurrence des TER est en marche, cette réalité fait peser une ombre sur les perspectives financières de SNCF Voyageurs » avertit le rapport.
En Région on s’inquiète aussi du poids grandissant des péages sur lequel semble reposer le redressement financier de SNCF Réseau avec des « trajectoires peu réalistes et probablement insoutenables pour les régions qui les dénoncent ».
« En ce qui concerne la politique d’aménagement ferroviaire du territoire, là aussi le bât blesse note également Stéphane Sautarel. L’État se désengage du financement des petites lignes et les objectifs de renouvellement recommandés par le rapport Philizot ne seront pas tenus. S’agissant des trains d’équilibre du territoire de jour comme de nuit, si, d’un côté, l’État est prompt à annoncer des objectifs ambitieux, de l’autre, les financements ne suivent pas ».
Vieillissement des infrastructures
« Le réseau français présente un état de dégradation et de vieillissement inquiétant » poursuit Hervé Maurey qui ne peut que regretter la « stagnation » des investissements consacrés à la rénovation des infrastructures qui tournent autour de 2,7 milliards d’euros depuis 2016 alors même que l’effort devrait être d’au moins 3,5 milliards d’euros chaque année pendant dix ans si l’on veut « réellement infléchir la tendance à la dégradation de nos infrastructures ». « À défaut, notre réseau « décrochera » irrémédiablement par rapport à ceux de nos voisins et les engagements du Gouvernement de diminution des émissions de CO2 des transports ne seront pas tenus » ajoute le sénateur. Enorme surprise également pour les deux collègues lorsqu’ils ont constaté qu’à la différence de nos partenaires européens, « il n’existait aujourd’hui ni programmation sérieuse, ni financement des projets de modernisation du réseau ». Le rapport évoque ainsi l’un des deux principaux programmes de modernisation à savoir la commande centralisée du réseau (CCR) qui doit considérablement optimiser la gestion des circulations, en remplaçant les 2 2000 postes d’aiguillages actuels par une quinzaine de tours de contrôle ferroviaires. « Cette commande centralisée du réseau éviterait d’avoir des aiguillages très nombreux, dont certains (1/3) sont encore actionnés manuellement comme à la fin du XIXème siècle » s’étrangle presque Hervé Maurey en le disant. « 40 % des 13 000 postes affectés à la gestion des circulations pourraient être économisés, ce qui représente quand même 5 000 postes, ce n’est pas rien ! » poursuit-il. Dans ce programme comme dans celui du système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS) - l’un et l’autre doivent permettre des gains de productivité significatifs et sont indispensables pour développer la mobilité européenne -, « la France accuse un retard considérable promis à se creuser dans des proportions importantes si l’Etat continue d’ignorer cet enjeu ».
Gagner en compétitivité
« La SNCF a encore beaucoup de chemin à parcourir pour gagner en compétitivité. C’est à une véritable révolution culturelle qu’elle doit s’atteler » lance Hervé Maurey. « Les pesanteurs du passé, notamment en termes d’organisation du travail, continuent d’être pour elle un handicap. Le législateur a fait sa part du travail en votant l’extinction du statut de cheminot, une mesure nécessaire, qui améliorera sa compétitivité, mais qui ne produira ses effets que progressivement. Désormais, la SNCF a toutes les cartes en main pour engager des réformes ambitieuses en matière de ressources humaines. Nos travaux nous ont permis de constater qu’elle disposait de marges de manoeuvre dans ce domaine. Pour résorber ses sureffectifs, elle devra amplifier le rythme de ses réductions de postes pour le porter à environ 2 % par an » ajoute-t-il courageusement, ce qui représenterait un milliard d’économie d’ici 2026.
Quant à l’ouverture à la concurrence, elle est, selon eux, « une chance pour le secteur ferroviaire », « elle fera office d’aiguillon pour améliorer la compétitivité de la SNCF ; elle enclenchera un cercle financier vertueux favorable à la viabilité économique du secteur » pensent-ils. « Cependant, précisent-ils, pour que l’ouverture à la concurrence offre tous ces bénéfices au système, il ne suffit pas de la proclamer, il faut la concrétiser en levant les freins qui l’entravent ». Les deux sénateurs recommandent alors, pour permettre une réelle ouverture à la concurrence, de rendre SNCF Réseau « parfaitement indépendant en le sortant du giron du groupe SNCF, sur le modèle qui a été fait dans le secteur de l’énergie ».
Des pistes intéressantes mais qui risquent de se heurter à « l’Etat dans l’Etat » qu’est la SNCF comme l’a fait remarquer Roger Karoutchi. « Toute réforme interne est inapplicable parce qu’elle provoquera une grève dure et que l’autorité de tutelle demandera qu’on y mette fin au plus vite ». Malicieusement et non sans humour, le sénateur des Hauts-de-Seine pense à avoir trouver la solution qui serait la nomination d’un ministre des transports « suicidaire », « qui accepterait de faire la révolution à la SNCF en sachant que sa politique est terminée ». On cherche encore le candidat idéal. ■