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L’Europe responsable de tous les maux ?

Par Jérémy Decerle, Député européen, Commissions de l’Agriculture et du Commerce international

L’Agriculture européenne traverse aujourd’hui une crise sans précédent. Les agricultrices et les agriculteurs descendent successivement, de pays en pays, dans les rues, sur les tracteurs, pour crier un mal-être, un ras-le-bol, qui ne peut plus durer. Ces cris de détresse, il faut les entendre mais il faut surtout y répondre plutôt que d’en chercher inutilement les coupables parfaits. C’est ce que nous demandent les professionnels agricoles.

Pour certains (responsables politiques), la solution de facilité est de plutôt dépenser leur énergie à accuser, en France le gouvernement en place et ses représentants, en Europe l’Union européenne, comme coupables parfaits, responsables de tous les maux.

En tant que député européen, je suis le premier à dire que tout ne va pas à Bruxelles. Mais je m’estime aussi légitime pour dire que l’Europe n’est pas pour autant la cause de tout et qu’elle devra indéniablement faire partie, demain, de la solution que nous bâtirons pour les agriculteurs.

De tous temps, l’Union européenne, cette construction qui nous rassemble de Paris, à Helsinki, à Bucarest, a su en effet nous démontrer sa capacité à se révéler dans les crises. La plus récente en date, la crise de la Covid 19, face à laquelle parce que nous avons agi et réagi en Européens à 27, nous avons su en un temps record nous équiper et devenir producteurs de nos propres vaccins.

Cette force de l’Europe, les agriculteurs en sont conscients et reconnaissants. La Politique Agricole Commune, qui les accompagne depuis 1962, reste la plus importante et la plus intégrée des politiques communautaires.

Aujourd’hui, face aux enjeux environnementaux, climatiques qu’aucun d’entre nous ne peut nier, au premier rang desquels les agriculteurs qui y sont confrontés quotidiennement, l’Europe a decidé, comme il est de sa responsabilité d’agir sur les grands enjeux, de bâtir une stratégie globale nommée “Green Deal”, dont les déclinaisons sont multiples, dont un volet agricole et alimentaire nommé “Farm to Fork”. Cette volonté initiale de sanctuariser l’agriculture, de lui offrir un cadre dédié est pour moi une bonne chose. C’était enfin remettre ce secteur en haut de la pile des priorités européennes, lui redonner aussi ses lettres de noblesse.

Depuis lors, le volet “agricole” du Green Deal a donné lieu à certaines tentatives de révisions réglementaires. Ce sont celles-ci qui, même si elles ne sont pas encore effectives et n’ont donc eu encore concrètement aucun effet dans les cours de fermes, inquiètent. Je le comprends. Je regrette que la Commission européenne s’y soit très mal prise sur des textes comme la révision de la Directive sur les Emissions Industrielles ou encore le règlement sur l’Utilisation durable des pesticides (rejeté par le Parlement européen et finalement retiré de la table des négociations par la Commission européenne elle-même, tant le texte était devenu clivant….). Ces erreurs de pilotage manifestes ont été très mal perçues dans la profession, je le sais, donnant le sentiment à certains que l’Europe voulait “leur peau”, que l’Europe portait l’ambition secrète d’une décroissance agricole, d’une perte de souveraineté alimentaire.

Tout cela n’est pas pour rien, c’est certain, dans l’ampleur et la gravité de la crise agricole que nous traversons.

Cela étant, je ne suis pas de ceux qui pensent que c’est en se détournant de l’Europe, en y renonçant, que nous avancerons mieux pour notre Agriculture.

Je pense au contraire qu’il faut aujourd’hui, posément, aux côtés de la Commission européenne, du Parlement, du Conseil, remettre les choses à plat s’agissant du volet agricole du Green Deal, sans pour autant renoncer aux grands objectifs que nous nous sommes fixés, mais en écoutant les agriculteurs et leurs représentants, en ne travaillant pas en silo, en faisant nettement plus preuve de cohérence, en mettant des moyens (financiers, humains, recherche…) en face des ambitions, en remettant aussi un pilote solide pour l’agriculture à Bruxelles.

Cet été sera le temps de la mise en place d’un nouveau Parlement européen, de nouveaux Commissaires mais aussi de nouvelles instances dirigeantes à la tête des trois institutions européennes. Ce sera, selon moi, le moment important d’insuffler une nouvelle dynamique agricole au niveau européen.

L’Agriculture de demain ne se construira pas sans Europe. L’Europe de demain ne se construira pas sans agriculture. 

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