Depuis les vagues d’attentats terroristes à travers le monde, nous assistons au repli de chaque État autour de sa souveraineté nationale. La montée au pouvoir de Donald Trump est exemplaire en ce sens. En France, une forme de communication protectionniste se propage dans le pays ; le maître mot : l’« Identité nationale ». Nous constatons de plus en plus de messages explicites à travers l’hexagone : notamment « Achetez Français ! ». On voit d’ailleurs fleurir autour de soi de plus en plus de drapeaux bleu-blanc-rouge… Dans toutes les strates de notre société s’insinue ce leitmotiv : Français..achetez français ! Cette terminologie réveille et glorifie notre sens patriotique et nationaliste.
Le mot d’ordre : protéger notre pays.
Dans les rayons, des panonceaux annoncent la couleur : privilégiez « made in France » ! Achetez français !
Les sondages sont unanimes : les Français seraient à plus de 70 % sur le territoire à vouloir acheter français (1), et combien même à des prix supérieurs (2).
Suite à ces matraquages publicitaires, le consommateur lambda, exacerbé dans son ethnocentricité, change-t-il réellement ses comportements et privilégie-t-il l’achat de produits français ?
Le responsable du Credoc, dans une interview, pense : « qu’on peut faire confiance aux Français, ils doivent acheter français »…(3)
Est-ce réellement la réalité ? Et surtout est-ce une bonne chose pour la société française ?
Retour aux origines du concept d’ethnocentrisme
Retour à l’histoire, l’ethnocentrisme est un concept né aux États-Unis et a été mesuré par Shimp et Sharma en 1987. Ces derniers ont développé une échelle de ce concept dont la majorité des items exprime les idées suivantes : « Je ne dois pas acheter des produits étrangers car sinon je vais mettre en péril l’emploi de mes compatriotes, je dois protéger mon pays. » « Les produits étrangers ne devraient pas être vendus dans les commerces américains »…
Un concept fort qui défend radicalement le « nous » contre tous les autres !
Il est d’ailleurs étonnant de remarquer que c’est une échelle qui a été fort utilisée par les chercheurs aux Etats-Unis ; mais aussi dans un pays comme la Turquie dont la population affiche un haut niveau de patriotisme et de nationalisme. D’ailleurs, les recherches mettent en lumière que les origines du concept d’ethnocentrisme sont notamment le patriotisme et le nationalisme.
La face cachée de l’ethnocentrisme
Une étude peut éclairer le lecteur sur la réalité de l’impact de l’ethnocentrisme sur le comportement d’achat de produits français. En effet, l’étude de Yildiz et Heitz-Spahn (2015) (4) sur un échantillon de plus de 900 individus a analysé les groupes dont le niveau d’ethnocentricité était élevé et le groupe dont le niveau était le plus faible mais qui étaient civiquement engagés dans leur lieu de vie.
Et il s’avérait, toutes choses égales par ailleurs, que plus les individus étaient engagés au sein de leur lieu de vie, plus ils privilégiaient l’achat de produits locaux. Contrairement aux personnes qui avaient un degré d’ethnocentricité élevé mais qui in fine ne le démontraient guère à travers leurs comportements d’achat de produits locaux.
Deux cadres d’éclairage peuvent expliquer ces résultats. Le premier, la théorie de l’engagement (Kiesler, 1971) issue du champ de la psychologie-sociale tranche : ce sont nos actes qui nous engagent et qui prédisent d’une certaine manière nos comportements futurs. En l’occurrence, plus je vais agir au sein de mon lieu de vie, plus je vais privilégier mon lieu de vie sous différentes formes, notamment l’achat de produits issus de mon territoire. Pour compléter ce premier cadre, le second, Pierre Bourdieu, père fondateur de la théorie du capital social, a montré que les liens étaient une source de richesse fondamentale au sein d’une communauté. Ainsi, plus les membres d’une communauté interagissent entre eux, plus ils s’engagent au sein de leur communauté et par effet de réciprocité plus ces liens génèrent de la richesse sociale, économique, culturelle…(Putnam, 2001)
Quelles perspectives ?
À retenir donc que les entreprises et les commerces doivent surtout communiquer sur leurs propres actions au sein de leur lieu de vie pour sensibiliser les consommateurs, et notamment ceux déjà engagés dans ce lieu de vie.
Un commerce indépendant redistribue la presque totalité de son bénéfice sur son territoire alors que la multinationale le rapatrie vers des cieux plus cléments fiscalement. Il faut le communiquer !
L’impulsion doit être donnée aux citoyens/consommateurs par un engagement civique ; mais il est nécessaire de trouver un sens à l’avenir, un fil conducteur sur les différents territoires pour s’engager. « Je m’investis dans ma commune, mais pour quoi ? »
La première motivation universelle et prioritaire pourrait être celle de la préservation de l’environnement et de la protection de l’espèce humaine (cf l’astrophysicien Hubert) (5).
Tout au long de ce fil conducteur le leitmotiv consisterait à agir sur l’ensemble du territoire avec cet objectif ou, en d’autres termes, tenter de « vivre » la commune en harmonie avec l’environnement naturel et en impliquant l’ensemble des acteurs qui la composent.
En’’suscitant’’cette motivation les élus communaux peuvent stimuler l’engagement civique de leurs concitoyens-consommateurs ou consom’acteurs.
Y parviendra-t-on en développant des zones commerciales au profit de grands groupes au détriment des commerces indépendants et des petites entreprises du centre-ville ?
Y parviendra-t-on en développant des zones afin d’attirer des flux touristiques sans répondre aux besoins de nos concitoyens ?
In fine, ce qui semble primordial, ce n’est pas tant de se protéger des produits étrangers mais plutôt de faire prendre conscience de l’importance des territoires et de la protection qui leur est due.
Outre-Rhin, quelques expériences d’écoquartiers impulsées par les pouvoirs publics et par des entreprises privées engagées peuvent être donnés en exemples de ce type d’initiative politique. L’objectif de ces quartiers : être autonomes sur le plan énergétique, mais aussi alimentaire.
Par ailleurs, les régions mettent en place des plans de communication. On notera que leurs messages publicitaires ne font pas appel à des motivations aux relents un peu troubles mais tentent de faire prendre conscience des vrais dangers pour leurs territoires.’’Lass den click in deine stadt (6). ■
(1) http://www.francetvinfo.fr/economie/entreprises/alstom/info-franceinfo-sauvetage-d-alstom-a-belfort-une-decision-inefficace-a-long-terme-pour-plusde-deux-tiers-des-francais 1859457.html
(2) http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/09/09/20002-20150909ARTFIG00348-70-des-francais-prets-a-payer-plus-cher-pour-du-made-in-france.php
(3) http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2015/09/09/20002-20150909ARTFIG00348-70-des-francais-prets-a-payer-plus-cher-pour-du-made-in-france.php
(4) https ://www.researchgate.net/publication/308972464 Do ethnocentric consumers really buy local products
(5) https ://www.youtube.com/watch ?v=L-XSDD1Xb3c
(6) https ://www.youtube.com/watch ?v=3XPUxDb0u00