Le monde du jouet est en ébullition. Noël pointe le bout de son nez. Les enseignes sont sur les dents. Les rayons ré-achalandés chaque jour. Partout, on sent l’effervescence. Les enfants trépignent. Fort du succès de la campagne de l’an dernier ; l’Association des créateurs-fabricants de jouets français (ACFJF) créée il y a deux ans et qui regroupe en son sein un peu plus d’une trentaine de marques a organisé, en association avec la Fédération des Commerçants spécialistes des Jouets et des Produits de l’Enfant une vaste opération nationale de sensibilisation dans le but de renforcer ses actions de valorisation du « créer et fabriquer en France » sous le slogan : « Cette année, le Père Noël est toujours fier de fabriquer et de créer en France ». L’affiche est visible dans plus de 1000 magasins de jouets, notamment chez JouéClub, King Jouet, La Grande Récré, Picwic, Sajou ou encore Toys’R’us. Dans plusieurs grandes et moyennes surfaces, des rayons bien identifiés sont dédiés aux jouets français. Dans les nouveaux magasins Jouets Edouard Leclerc, un panonceau indique sur une carte de France l’origine géographique du produit. Ainsi mieux ciblés, les jouets de fabrication française vont gagner encore un peu plus en notoriété et en visibilité. Une aubaine pour ce secteur surtout lorsque l’on sait, comme le rappelle Véronique Debroise, présidente de Sentosphère, une société adhérente de l’ACFJF que « 50 % des actes d’achat de jouets se décident sur le point de vente ». « Dans la masse des jouets chinois, l’étiquette France est un petit coup de pub qui a fait du bien » reconnaît à son tour Jacques Ecoiffier dont l’entreprise fabrique depuis 1945 à Bellignat dans l’Ain des jouets en plastiques (cuisinières, dînettes, brouettes, …).
7 % des jouets vendus en France sont d’origine française
Aujourd’hui, l’association des créateurs-fabricants de jouets français estime qu’un peu plus de 7 % seulement des jouets vendus en France sont d’origine française. Le monde du jouet se partage ensuite entre l’Asie, surtout la Chine qui est le principal fournisseur (65 %) puis l’Europe (24 %), essentiellement l’Allemagne et la République Tchèque et enfin l’Amérique du Nord et le Canada. Pour Serge Jacquemier, le président de l’association, qui est aussi le directeur général de Vulli entreprise de Rumilly (Haute-Savoie) spécialisée dans les jouets pour la petite enfance avec la célèbre Sophie la Girafe, il ne fait alors aucun doute qu’il existe une réelle marge de progression pour le jouet tricolore. D’ici à trois ans, « nous sommes convaincus que les jouets français vendus au niveau national pourraient atteindre 10 % ».
Alors que dans les années 90, la France comptait plus de 200 fabricants de jouets français, on ne recense aujourd’hui plus que quelques dizaines de sociétés qui conçoivent et fabriquent des jeux et jouets en France. Au-delà de quelques grandes marques qui ont pignon sur rue, ces sociétés sont souvent des PME. Elles représentent quelque 900 emplois. Leur chiffre d’affaires est estimé à 3,3 milliards d’euros par an.
Le jouet français tire son épingle du jeu à l’export
Pour ces sociétés, toute la difficulté est de faire la différence dans le monde globalisé du jouet, de rivaliser avec les grands noms comme Disney, Hasbro, Mattel ou Lego. Pot de terre contre pot de fer ? Pas si sûr. Nombre de nos jouets tricolores caracolent même en tête des ventes à l’étranger. Certains des fabricants français font entre 30 à 60 % de leurs ventes à l’export. « Les fabricants de jouets français ont réussi à se tailler de belles positions dans de nombreuses catégories, reconnaît dans le Figaro, Franck Mathuis, porte-parole de la Grande Récré. Ils parviennent à exprimer leur savoir-faire et leur talent sans avoir recours à des moyens marketing massifs ». Pour la filière, c’est l’innovation qui peut faire la différence. « Si le produit est basique, il est vite copié » juge lucidement Serge Jacquemier. Sur le marché intérieur, identifier et signaler le jouet comme étant de fabrication française fonctionne plutôt bien. On constate que de plus en plus, nos compatriotes se disent sensibles à l’argumentaire qui veut qu’acheter français rime avec qualité tout en permettant de préserver l’emploi en France. Mais pas seulement. Avec la qualité et le savoir-faire reconnus de nos entreprises, les fabricants français ont aussi choisi de miser sur l’aspect éthique et environnemental. Une dimension qui semble correspondre aux attentes des consommateurs d’aujourd’hui, « soucieux de préserver la planète et qui souhaitent s’assurer de la qualité et de la traçabilité des jouets qu’ils offrent à leurs enfants et petits-enfants » assure le patron de Jouécabois, une société bretonne de jeux en bois qui met en avant sa certification PEFC (programme de reconnaissance des certifications forestières) qui garantit aux consommateurs que le bois provient de forêts durablement gérées. Il n’est pas le seul dans ce cas. L’entreprise Ecoiffier vante elle aussi son respect de l’environnement qui « occupe une place centrale » dans l’entreprise, tout comme Sentosphère qui se déclare « très soucieuse des questions d’environnement » et qui affirme recycler tous ses déchets et concevoir des produits compacts « dont les matières premières ou éléments sont faits à moins de 400 km ». Acheter un jouet français est alors perçu comme un acte citoyen comme cela existe déjà dans le secteur de l’agroalimentaire.
Acheter français, un acte citoyen, dans le jouet aussi
Et puis si dans le cas de jouets à composants électroniques, il est difficile de rivaliser avec la Chine, produire en Asie n’est pas sans risque questions distances et qualité. C’est une des raisons qui ont incité plusieurs marques françaises à rapatrier la production en France. Comme Heller Joustra le fabricant de maquettes qui a relocalisé sa production en France et qui arbore fièrement sur ses boîtes le drapeau français. Même si fabriquer en France a un coût indéniable, faire ce choix permet de « contrôler au mieux la qualité et être le plus réactif possible » explique Sentosphère qui dispose de trois centres de production en France. Sur le site Internet de Meccano, on retrouve la même idée : « une part importante du catalogue est fabriquée en France, dans l’usine historique de Calais ce qui permet de la souplesse et de la flexibilité dans la commercialisation des collections sur les marchés européens ». Un jouet français c’est donc un consommateur heureux et un distributeur satisfait. Face à la concurrence, cette « souplesse » et cette « flexibilité » revendiquées des sociétés françaises de jouets sont vues par les distributeurs comme un réel atout en raccourcissant les délais de livraison - quelques semaines en France contre plusieurs mois en Asie- et en limitant les commandes en très gros et les questions de stockage. Il y a donc là une vraie carte à jouer pour le secteur du jouet tricolore alors que la Chine est confrontée à des difficultés pour trouver de la main d’œuvre compétente et que les charges sur les salaires augmentent dans ce pays.
Pour autant, produire en France c’est parfois un pari risqué qui est loin d’être économiquement neutre. Le président de l’ACFJF n’a d’ailleurs eu de cesse de plaider pour un allègement des charges plus élevées en France qu’ailleurs et qui finissent par être « un handicap au niveau du prix de revient »
Un potentiel de développement
Il n’oublie pas non plus d’alerter aussi les autorités sur les normes excessives dans notre pays qui pénalisent le secteur : « Les normes, c’est tous les 15 jours un nouveau texte, alors qu’on aurait besoin de stabilité, de sérénité pour pouvoir se projeter, investir, avoir une vision à moyen-terme ». « Que ce soit en terme de conception et/ou de fabrication, l’industrie française de jouet dispose d’un potentiel de développement important tant en France qu’à l’export. De plus l’affinité des consommateurs pour les marques françaises se renforce d’année en année et témoigne de ce potentiel de développement ». Alors, « si on peut convaincre notre administration et nos instances politiques de l’intérêt qu’il y a à essayer de créer des emplois, je pense que la boucle sera bouclée » conclut Serge Jacquemier, plein d’espoirs en cette veille de Noël. D.B. ■