Finie la belle vie pour les monarchies pétrolières du Golfe. La chute du prix du baril de pétrole depuis 2014 qui s’établit autour des 50 dollars après une chute à 30 dollars mais loin des 100 dollars en 2014, la montée en puissance du gaz de schiste américain et le développement des énergies renouvelables changent la donne dans les pays producteurs et exportateurs de pétrole et gaz. Pour ces pays, il est plus que temps de s’adapter à cette nouvelle donne. Car même si le baril est remonté à son plus haut niveau depuis juillet 2015 après une entente entre l’Opep et des pays producteurs de pétrole non membres de l’organisation de réduire la production - La Russie s’est ainsi engagée à baisser sa production de 300 000 barils par jour (Une réduction qui vient s’ajouter à celle déjà décidée par l’Opep en novembre dernier), le doute subsiste. Plusieurs analystes restent sceptiques quant à la décision de la Russie. « Qui croire en Russie ? Le ministre russe de l’Energie qui pousse à réduire la production du pays de 300 000 barils, ou les compagnies pétrolières russes qui ont récemment présenté leurs plans pour augmenter leur production ? » s’interroge Commerzbank, la banque allemande citée par Les Echos. « Et même si la Russie est sérieuse sur une baisse de la production, ajoute ces experts, il n’existe aucun plan pour compenser les pertes de revenus des compagnies pétrolières ». De son côté le FMI souligne que cela ne suffira pas à équilibrer leurs comptes. Dans un entretien à l’AFP, le Directeur du Fonds Monétaire international pour le Moyen-Orient, Masood Ahmed a d’ailleurs alerté les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG)*, qu’ils vont devoir « d’une manière ou d’une autre » réduire drastiquement leurs dépenses publiques et diversifier leurs sources de revenus s’ils veulent tirer leur épingle du jeu. Une mise en garde prise au sérieux par les monarchies pétrolières qui ont pris la mesure du danger.
En Arabie Saoudite le ton est donné. Le régime a annoncé le limogeage du ministre des Finances Ibrahim ben Abdel Azziz Al-Assal pourtant en poste depuis plus de vingt ans. Il est vrai qu’alors que l’Arabie Saoudite, premier pays exportateur mondial de pétrole prévoit un déficit budgétaire de 80 milliards de dollars (environ 80 milliards d’euros) cette année et après un déficit de 98 milliards de dollars (87,5 milliards d’euros) en 2015, soit 15 % de son PIB et que la croissance ne sera que de 1,5 % (contre 10 % en 2011), le ministre se félicitait que son pays « en dépit de certaines pressions sur les liquidités » avait « pu maintenir un bon état » de ses finances.
Des mesures d’austérité
Au-delà de ce geste symbolique fort, le vice-prince héritier Mohammed ben Salimane, 31 ans, fils du roi, bien entouré par plusieurs conseillers diplômés des meilleures écoles de commerce anglo-saxonnes ou venant du privé a pris les choses en main. S’appuyant sur les travaux du cabinet McKinsey, le royaume met en œuvre un vaste plan de transformation intitulé « Vision 2030 » destiné à diversifier les revenus du pays. Les mesures d’austérité passent également par une réduction des subventions grassement accordées aux 30 millions de Saoudiens sur la fourniture de gaz, d’eau, d’électricité, le logement, ou encore la forte augmentation du prix de l’essence à la pompe (+65 %), la baisse du salaire des ministres de 20 % et de 15 % des indemnités des membres de la Choura, l’assemblée consultative, le gel du traitement des fonctionnaires et la révision de nombreux avantages (heures supplémentaires et primes d’avancement).
Dans sa cure d’austérité et de recherche d’argent frais, le royaume saoudien va encore plus loin en ouvrant le capital de sa société phare Aramco, première compagnie pétrolière du monde. En 2017, il est ainsi prévu la mise sur le marché de 5 % de ses actions, ce qui devrait rapporter une centaine de milliards de dollars. Autre initiative forte, le lancement avec l’aide des banques HSBC et JPMorgan au printemps dernier d’un grand emprunt international qui a déjà permis de lever 10 milliards de dollars. Enfin, d’ici 2 ans, l’instauration d’une TVA de 5 % viendra renchérir le prix des produits et services. Une première pour un pays qui a vécu jusque-là sur un modèle économique dépendant à 90 % de sa rente sur les hydrocarbures. Reste que pour Ryad qui par sa politique de subventions a largement acheté une certaine paix sociale, cette cure d’austérité n’est pas sans risque dans un pays où le nombre de fonctionnaires est plus important que le nombre de salariés du privé et que sa population est au deux tiers âgée de moins de trente ans.
Le Qatar aussi
Le Qatar n’est pas mieux logé et n’échappera pas non plus à l’austérité. En novembre dernier, Cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, l’émir du Qatar a appelé ses sujets à mettre fin aux dépenses « extravagantes et le gaspillage ». Il a surtout appelé ses compatriotes à « relever le défi de la culture de la consommation chez les jeunes. Sans cela nous ne pouvons pas avancer car la richesse par elle-même ne suffit pas ». « Nous avons fait beaucoup de choses et nous pouvons faire plus, mais nous devons le faire en tenant compte de la réalité des choses » a encore ajouté Cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani qui exige plus d’efficacité dans les dépenses publiques, sans pour autant remettre en cause celles liées à la Coupe du monde de football qui se tiendra dans l’émirat en 2022. Alors que le Qatar est l’un des pays les plus riches du monde grâce à ses réserves de pétrole et de gaz, pour la première fois en quinze ans, l’émirat a annoncé un déficit budgétaire de 12 milliards de dollars pour 2016 qui devrait se poursuivre en 2017 et 2018. Comme en Arabie Saoudite des mesures d’austérité et l’introduction de la TVA sont envisagées dans ce petit Etat dont le taux de croissance a tout de même été de 3,6 % en 2015. L’émir a confirmé que son pays allait veiller à « diversifier ses sources de revenus pour ne pas dépendre exclusivement du pétrole et du gaz ».
Mais il se pourrait que les bonnes résolutions soient très vite remisées. En misant sur une hausse des recettes pétrolières de +46 % pour 2017, l’Arabie saoudite a présenté fin 2016, un budget prévisionnel très optimiste qui lui permettrait de réduire d’un tiers son déficit budgétaire en 2017 tout en ralentissant pour un temps, les mesures d’austérité que le Royaume s’était jusque-là imposé. Selon les annonces du Gouvernement, les dépenses devraient remonter de 7 % l’an prochain à 890 milliards de ryals (237 milliards de dollars), sauf pour le budget de la défense, le premier au monde en proportion du PIB, qui baissera de 7 % en 2017.
Dans les pétromonarchies, la prise de conscience est réelle et les mesures prises sont les prémices de la préparation d’un après-pétrole inéluctable. D.B ■
* Le CCG regroupe six monarchies pétrolières : Arabie Saoudite, Oman, Koweit, Barhein, Emirats arabes unis et Qatar.