L’Assemblée nationale a adopté sans discussion mais non sans opposition, l’accord signé entre la France et l’Italie le 24 février 2015 pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. En Italie, la Chambre des députés puis le Sénat ont également approuvé cet accord courant novembre. En France, après ce vote des députés, le projet de loi sera transmis au Sénat pour approbation d’ici la fin janvier. Voilà qui devrait ainsi permettre de mettre définitivement sur les rails ce projet « pharaonique » vieux d’une dizaine d’années. Pour les partisans de cette nouvelle liaison ferroviaire. Il était plus que temps.
Le premier accord, en date du 15 janvier 1996, instaurait une commission intergouvernementale pour la réalisation de cette liaison ; l’accord du 29 janvier 2001 a institué un promoteur public, la société Lyon-Turin Ferroviaire, chargée de conduire les études, les reconnaissances et les travaux préliminaires. L’accord du 30 janvier 2012 a défini les modalités de gestion du projet, en instituant un nouveau promoteur public, la société Tunnel Euralpin Lyon-Turin (TELT), en charge de la conception, de la réalisation puis de l’exploitation de la section ferroviaire transfrontalière. Enfin, le quatrième accord, en date du 24 février 2015 « marque le lancement effectif des travaux et établit le coût certifié de cet ambitieux projet. Il précise également certaines conditions de sa réalisation, avec principalement un dispositif anti mafieux, à la demande de l’Italie » souligne le rapporteur Michel Destot.
Un projet environnemental
En commission, le député socialiste de l’Isère a tenu à rappeler ce que représente cette liaison Lyon Turin pour la France, pour l’Union européenne. Le projet a pour principal objectif le report modal, essentiellement de la route vers le transport ferroviaire pour le fret comme pour les voyageurs. Cette liaison résoudra, assure le rapporteur, le problème de la saturation du littoral français et des vallées alpines. « Le report modal soulagera les infrastructures et diminuera les nuisances sonores ainsi que les émissions de carbone ». L’objectif est de ramener la répartition du trafic de 90 % pour la route et de 10 % pour le rail actuellement à, respectivement 45 % et 55 %, ce qui représenterait une économie d’émissions de gaz à effet de serre de plus d’un million de tonnes par an ; « c’est considérable » pointe immédiatement Michel Destot. Mais ce projet a aussi et surtout une dimension économique. Il est même présenté comme un élément majeur de la connexion des grandes zones économiques européennes. Cette liaison ne relie pas uniquement Lyon à Turin, « elle constitue l’élément clé de la liaison entre Paris et Milan, c’est-à-dire qu’elle rapproche l’Île-de-France, qui assure 4 % du PIB européen, du Piémont et de la Lombardie, qui forment de leur côté 7 % de ce PIB » s’enthousiasme le rapporteur. Elle permet de relier la péninsule ibérique à l’Europe centrale. Enfin, assure encore Michel Destot, à l’instar de la liaison transmanche, qui génère un trafic d’une valeur annuelle de 110 milliards d’euros grâce à la création de nouveaux marchés, « la liaison Lyon-Turin va stimuler l’ensemble de l’activité des régions qu’elle traversera, qu’elle reliera ou à proximité desquelles elle passera ».
L’accord du 24 février 2015 qui a été approuvé par l’Assemblée comporte sept articles relatifs aux conditions de réalisation des travaux définitifs de la section transfrontalière de la liaison Lyon-Turin – un tunnel international de 57 km, ouvrage majeur de ce projet, reliera Saint Jean-de-Maurienne en France à Suse en Italie -. Pour le rapporteur, il est clair que « cet accord marque la volonté de la France et de l’Italie de passer à la phase effective des travaux, qui sauf incident, se dérouleront de 2017 à 2029, et confie à TELT le soin de les conduire ».
Un protocole additionnel signé le 8 mars 2016 a été ajouté à l’accord du 24 février, et également approuvé par l’Assemblée. Fait de quatre articles, il traite principalement du coût des travaux et du dispositif anti-mafia exigé par l’Italie.
Interrogations sur le financement
Le coût des travaux justement. C’est notamment sur ce point que les oppositions à l’Assemblée se sont cristallisées. Le coût total de ce corridor ferroviaire censé relier la péninsule ibérique à l’Europe centrale a été estimé à quelque 26 milliards d’euros. Pour le seul tunnel, le coût est évalué à 8,3 milliards d’euros. L’Union européenne a décidé de financer la liaison à hauteur de 40 %, la part de la France dans le financement total dépasse légèrement 25 %, soit 2,21 milliards d’euros à financer par la France. « En tenant compte des hypothèses d’actualisation prévues par l’accord, indiquant que le coût à terme pourrait atteindre 9,6 milliards d’euros, la France devrait contribuer à la liaison à hauteur de 2,46 milliards d’euros » précise toutefois le député de l’Isère. Face aux critiques et aux inquiétudes des écologistes notamment sur le financement, Michel Destot s’est voulu pragmatique en rappelant que le texte de loi ne traite que d’un engagement sur le projet et non de son financement. Si la somme n’est effectivement « pas prévue en stock », Manuel Valls, alors Premier ministre avait, en juillet 2016, annoncé « un financement sécurisé » et ne provenant pas uniquement du budget de l’Etat. « Il y a un montant ferme pour 2017 à hauteur de 293 millions d’euros de dotations prévus par la loi de finances pour 2017 et passant par l’AFITF, ressources issues du Fonds pour le développement d’une politique intermodale des transports dans le massif alpin, alimenté notamment par les résultats des tunnels routiers du Mont Blanc et du Fréjus. Les autres ressources proviennent de l’AFITF, qui a déjà financé une partie des travaux du tunnel Lyon-Turin depuis 2015, que ce soit pour les études, les travaux préliminaires, les acquisitions financières conduites par l’État, et l’eurovignette, c’est-à-dire ce sur-péage de montagne ».
Pour les écologistes, la liaison est à classer dans « la catégorie des grands projets inutiles imposés »
Au-delà du financement, les écologistes ont voulu aussi exprimer en commission leur refus à ce projet qu’ils classent dans « la catégorie des grands projets inutiles imposés » dixit Noël Mamère (NI, Gironde). Pour les Verts, toutes les études – indépendantes – qui ont été menées « prouvent que l’actuelle ligne est sous-employée et qu’il suffirait d’augmenter le trafic sur cette ligne et de l’aménager pour éviter les sommes astronomiques qui sont engagées dans le projet Lyon-Turin ». Et paradoxalement, même s’il s’agit de transport ferroviaire, « nous estimons qu’il y a des voies alternatives qui sont moins coûteuses en termes d’investissements, en termes de pollution de l’environnement et de conséquences sur la santé publique. Le Lyon-Turin fait malheureusement partie des grands projets dont les apparences font croire qu’il constitue une solution pour le transport des camions sur les trains, alors qu’il n’en est rien. Il existe d’autres solutions beaucoup moins coûteuses et beaucoup plus judicieuses » conclut Noël Mamère. ■