A n’en pas douter, les questions du nombre de fonctionnaires et de la dépense publique seront au cœur des débats de la prochaine élection présidentielle. Avec son rapport Réformer l’État pour gouverner la France. Propositions pour changer la décision publique*, l’Institut Thomas More apporte une contribution roborative.
Se plaçant sous le patronage d’Alain Peyrefitte qui écrivait dans Le Mal français, il y a déjà quarante ans : « ce ne sont pas les Français qui sont ingouvernables. C’est le réseau français d’autorité qui ne permet pas de les gouverner », le think tank qui se définit comme libéral-conservateur s’interroge sur les raisons de cette incapacité chronique à réformer l’État.
Un État qui reste centralisateur
Premier indice : malgré trente ans de décentralisation, l’État reste profondément centralisateur. Ce centralisme révèle son incapacité à faire confiance à l’action de ses agents sur le terrain et, moins encore, aux élus locaux. En témoignent les cinq millions d’actes pris annuellement par les collectivités territoriales et contrôlés par les agents de l’État (dans le cadre du contrôle de légalité), les 80 000 pages de circulaires qui s’abattent chaque année sur les préfets ou les 400 000 normes en stock ! L’État s’épuise dans une volonté vaine de tout contrôler.
C’est aussi ce « réflexe centralisateur » qui explique son incapacité à réviser ses missions. Malgré la montée en puissance des collectivités territoriales, il veut continuer à s’occuper de tout… au risque de l’impuissance publique.
La « collusion entre politique et administration »
Deuxième élément : les hommes. Les hauts fonctionnaires captent les portefeuilles ministériels tandis qu’une majorité de fonctionnaires occupent des mandats, notamment parlementaires. La « collusion entre politique et administration » explique en partie l’assèchement du débat démocratique et la chape de plomb technocratique contre laquelle les peuples sont de plus en plus prompts à se révolter dans les urnes.
Cette collusion, étrangement, se fait dans la défiance. Le politique se protège de son administration en érigeant les hauts murs des cabinets ministériels, devenus pléthoriques, qui se substituent à l’administration qui, en retour, s’en défie. Ce face-à-face finit par développer des métastases qui rongent l’État. Le cumul des mandats s’y ajoute. La possibilité de développer de concert sa carrière politique et sa carrière administrative, sans avoir à faire un choix, en est une autre. Un jugement sans appel.
Un État qui finit par menacer la cohésion de la société
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que l’appareil d’État administre plus qu’il ne réforme. Plus exactement, pour l’Institut Thomas More, il réforme mais avec tant de lenteur et de précautions, que les mesures sont privées de tout effet de levier. Prisonnier de corporatismes et de conservatismes puissants, l’État joue toujours le changement à la marge, le maintien du statu quo, la recherche des équilibres. Il perd ainsi en autorité et en efficacité.
Pourtant, en France, l’État n’est pas qu’un appareil administratif. Il est le socle sur lequel se fonde l’unité de la nation. Pour les auteurs du rapport, ne pas réformer l’État, c’est « accroître la défiance de citoyens de plus en plus critiques vis-à-vis de leurs institutions, c’est décourager les entrepreneurs qui se battent au quotidien contre la complexité d’une réglementation toujours plus tatillonne, c’est désespérer des fonctionnaires dévoués qui perdent le sens de leur action au service du bien commun ». Bref, ne pas réformer l’État, c’est menacer la cohésion de la société.
La réforme de l’État, préalable à toute autre réforme
Sur la base de ce constat rude mais argumenté, l’Institut Thomas More avance que la réforme de l’État est le préalable à toute autre réforme. Il réclame qu’on ne confonde plus l’administration de la réforme avec la réforme de l’État : les simplifications administratives, bienvenues en soi, relèvent de l’ajustement technique mais ne constituent pas une authentique œuvre réformatrice. Il faut être beaucoup plus ambitieux.
Les leviers de la décision publique ne seront rendus à l’État là où son action est nécessaire et légitime (justice, sécurité, justice, etc.) qu’à la condition qu’un grand mouvement de déconcentration, de décentralisation et de dévolution de nouvelles libertés aux acteurs de terrain dans les autres secteurs, soit engagé. L’Institut Thomas More propose pour cela d’agir dans cinq directions.
Un nouveau personnel politique
Il faut d’abord, selon lui, combler le fossé qui s’est creusé entre les Français et la classe politique. Pour cela, il convient de l’ouvrir pour la renouveler. Il est temps, par exemple, d’obliger les hauts fonctionnaires élus à démissionner de la fonction publique, comme c’est le cas au Royaume-Uni. Cela passe aussi par l’inscription dans la loi du non cumul strict des mandats dans le temps et dans l’espace et par la limitation à deux de tous les types de mandats (en établissant des dérogations pour les territoires ruraux afin d’éviter une carence de candidats dans les territoires ruraux). Le rapport propose aussi de réduire le nombre de parlementaires tout en leur donnant davantage de moyens pour mieux accomplir, en particulier, leur mission de contrôle de l’exécutif.
Rénover l’élaboration de la décision publique
Après les hommes, la méthode. Pour l’Institut Thomas More, il faut agir dès la phase d’élaboration de la décision publique. Sa rénovation ne peut advenir sans une limitation drastique du nombre de personnes au sein des cabinets ministériels. Au lieu d’une trentaine aujourd’hui, il faut privilégier des cabinets politiques composés de cinq personnes, autour du ministre, qui devront s’appuyer sur l’administration pour conduire les réformes nécessaires, plutôt que la doublonner, voire la parasiter. C’est ainsi que ça se passe en Allemagne ou aux Pays-Bas par exemple.
La confiance entre ce cabinet resserré et les bureaux d’administration centrale appelle également l’introduction d’un « spoils system à la française », que décrit le rapport.
Il insiste aussi sur la nécessité d’un travail sur la qualité de la rédaction de la loi. La loi Macron comptait 290 articles et prévoyait 110 décrets… L’exécutif doit réapprendre à rédiger des lois d’objectif, courtes et claires.
Réviser les missions de l’État et déconcentrer son action
Après son élaboration, la bonne application de la règle sur le territoire commande de réviser l’ensemble des missions de l’État pour privilégier l’efficacité. La liste des domaines où il conviendrait d’agir est longue, selon l’Institut Thomas More, qui en cite quelques-uns.
Pôle emploi et les régions pourraient, par exemple, être entièrement chargés de l’emploi et de la formation professionnelle, sans que l’État n’ait plus à intervenir dans la mise en œuvre. Dans le champ de l’école, le rapport propose non seulement donner plus d’autonomie aux acteurs mais aussi de régionaliser très largement l’Éducation nationale. De même, il propose de déconcentrer plus largement la politique culturelle de l’État.
Favoriser un nouveau mode de pilotage plus agile
L’Institut Thomas More insiste sur la nécessité de favoriser un nouveau mode de pilotage de la décision publique, qui doit s’adapter à la politique à conduire et au territoire considéré. Par exemple, dans certains cas, le pilotage des départements (compris ici comme circonscriptions de l’État), pourrait être renforcé, comme dans la conduite de la chaîne pénale. Dans d’autres cas, ce sont plutôt les directions régionale et départementale qu’il faut muscler (en réduisant la direction centrale), comme pour l’Éducation nationale.
Mais parce que la France est faite de petites communes, il faut que la présence de l’État soit renforcée dans les territoires les plus ruraux ou en difficulté économique et sociale au niveau de l’arrondissement.
Inventer l’État de confiance
Pour l’Institut Thomas More, enfin, toutes ces mesures doivent tendre vers un objectif : l’État de confiance. Confiance entre l’État et les collectivités territoriales. Confiance entre l’État et ses fonctionnaires aussi. Mais surtout confiance entre l’État et les Français, en s’inspirant par exemple de la Big Society, mise en œuvre au Royaume-Uni ces dernières années, qui donne plus de libertés et d’initiatives à la société civile pour mieux impliquer les citoyens dans la gestion des affaires publiques. ■
* Disponible sur www.institut-thomas-more.org