Le constat est simple et sans appel. Depuis le 11 septembre 2001, le transport aérien est l’une des cibles privilégiées des groupes terroristes. « Notre pays ayant fait l’objet de plusieurs attaques sans précédent ces deux dernières années, la sûreté de l’aviation civile constitue donc un enjeu majeur pour la sécurité de nos concitoyens » indique en préambule de son rapport, le rapporteur spécial Vincent Capo-Canellas. Alors que l’on estime à quelque 3,5 milliards, le nombre de passagers transportés par avions dans le monde, dont 150 millions au départ et à destination de la France, il apparaît que ces lieux de passage que sont les aéroports sont par définition « difficiles à sécuriser totalement ». Une évidence nullement contestée par le directeur général exécutif du groupe Aéroport de Paris (ADP) qui soulignait lors d’une audition à l’Assemblée qu’il était impossible de garantir qu’un nouvel attentat ne surviendrait pas et qu’il fallait donc faire preuve d’humilité sur ce sujet.
Des menaces classiques et nouvelles
Aujourd’hui, les autorités en charge de la sûreté aérienne doivent faire face à des menaces classiques – armes à feu, explosifs, risques de complicités à l’intérieur des aéroports – « dont le traitement connaît des évolutions » a pu constater le rapporteur. Concernant la « traditionnelle » inspection filtrage des passagers et des bagages, de nouveaux matériels ont fait leur apparition et sont en cours de test et dont l’objectif est d’améliorer la détection des objets illicites et de fluidifier le parcours des passagers (« shoes scanners » qui évitent aux passagers de se déchausser, scanners corporels, etc.). D’ici 2020 devrait également mise en service une nouvelle génération d’appareils de détection des explosifs dans les bagages de soute. Il s’agit également de faire face à la radicalisation des porteurs de badge donnant accès à la zone réservée des aéroports. Les mesures d’habilitation font l’objet d’une attention toute particulière, « car il faut éviter à tout prix que des terroristes puissent bénéficier de complicités à l’intérieur des aéroports ». Et pour cela, le rapporteur spécial recommande que l’on procède à un « réexamen régulier » des droits d’accès aux zones réservées des aéroports et à un « criblage permanent » des fichiers de police pour identifier les risques de radicalisation (1).
Expérimenter le contrôle différencié des passagers
A ces menaces traditionnelles s’ajoutent désormais de nouvelles menaces, « dont il faut prendre toute la mesure » avertit le sénateur. Suite aux attentats à l’aéroport de Zaventem à Bruxelles le 22 mars 2016 et à l’aéroport Atatürk d’Istanbul le 28 juin 2016, celle qui focalise les attentions est bien celle du risque d’attentats dans les aérogares, qui sont des espaces publics dépourvus de contrôle aux entrées au même titre que les gares ou la plupart des grands magasins. Alors que certains préconisent la mise en place de portiques aux entrées des aérogares, le rapporteur estime que ce serait « une erreur ». « Ces portiques auraient pour premier effet de rendre beaucoup plus difficile et lent l’accès aux aérogares, provoquant l’apparition de files d’attente à l’extérieur. Or, ces files d’attente présenteraient une très grande vulnérabilité en cas d’attaque terrorise par armes à feu ou par explosifs. Du reste, les portiques présents aux entrées de l’aéroport Atatürk d’Istanbul n’ont nullement permis d’empêcher les terroristes de pénétrer à l’intérieur de l’aérogare » explique-t-il. Le sénateur penche plutôt pour l’analyse comportementale. Fondée sur un ensemble de techniques d’observation, elle doit permettre à des personnels « dûment formés et entraînés » de repérer les « attitudes anormales » de personnes présentes dans les aérogares et susceptibles de présenter un danger. Une piste qui pourrait être associée à des mesures plus classiques (vidéoprotection, patrouilles de police, équipes de cynophiles, contrôles aléatoires). Vincent Capo-Canellas suggère également que l’on réfléchisse sérieusement à l’expérimentation du « contrôle différencié des passagers ». Plusieurs de ses collègues redoutant le contrôle au faciès, le sénateur a tenu à les rassurer en insistant d’abord sur le mot « expérimentation ». et en précisant ce qu’il fallait entendre par « contrôles différenciés » qui « ne sont pas des contrôles au faciès : ils se fondent sur le croisement de données objectives, comme le mode d’achat du billet, le fait de disposer d’un billet aller-retour ou non, les informations des fichiers de police… ».
Un trop grand nombre d’acteurs
Au rang des menaces nouvelles dont il convient de se prémunir, le rapporteur a également cité les vols au départ de pays peu sûrs, les survols de zones de conflits, les missiles à courte portée, les drones ou bien encore les hackers.
Pour son rapport, le sénateur a pu rencontrer l’ensemble des acteurs de la sûreté. Et si, dans l’ensemble, la « défense en profondeur » mise en oeuvre par les services de l’État paraît « plutôt efficace », le dispositif présente selon lui « quelques faiblesses », « liées au trop grand nombre d’acteurs impliqués et à leur coordination parfois difficile ». Au nombre des acteurs, il y a d’abord le Ministère des Transports qui a sous son autorité, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) qui « élabore et anime la politique d’l’Etat en matière de sûreté et veille à son application par l’ensemble des acteurs du transport aérien ». Mais sur le terrain, « c’est le Ministère de l’Intérieur qui tient le premier rôle ». Côté ville, la police aux frontières (PAF) assure la sécurité dans les aérogares, les contrôles aux frontières, la lutte contre l’immigration illégale et la supervision des sociétés privées de sûreté. Côté piste, on trouve la gendarmerie du transport aérien (GTA) assure le contrôle des mesures de sûreté applicables aux personnels, aux véhicules, aéronefs, bagages de soute, fret, approvisionnement de bord et fournitures d’aéroport. Les services de renseignement sont également présents sur les plateformes.
Pour la création d’une Agence de la sûreté du transport aérien
L’ensemble du dispositif est placé sous la responsabilité du préfet du département dans lequel se situe l’aéroport. À Roissy-Charles-de-Gaulle et au Bourget, un préfet délégué, placé auprès du préfet de la Seine-Saint- Denis, est chargé de cette mission. À Orly, en revanche, c’est directement le préfet qui en est responsable. On peut encore ajouter dans une moindre mesure les ministères de la Défense, des Affaires étrangères et du budget. Enfin, pour assurer la coordination de ces nombreux services, la commission interministérielle de la sûreté aérienne (CISA) se réunit tous les six mois à Matignon sous l’égide du cabinet du Premier ministre.
Son secrétariat est assuré par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).
Après examen, Vincent Capo-Canellas, note que la gendarmerie du transport aérien donne « entière satisfaction » à la différence de la PAF qui apparaît « en difficulté » notamment parce qu’elle doit faire face à un plus grand nombre de passagers et à une forte augmentation de ses tâches avec l’état d’urgence et le plan Vigipirate. Il demande donc une augmentation de ses effectifs. Il suggère également de créer un poste de préfet délégué pour la sécurité et la sûreté de la plateforme aéroportuaire d’Orly, placé sous l’autorité du préfet de police de Paris. Mais pour gagner en réactivité, Le sénateur préconise la réduction du nombre d’acteurs impliqués. Dans cette perspective, il propose de créer une Agence de la sûreté du transport aérien, « dotée d’une forte capacité d’analyse et de prospective, et rassemblant des fonctionnaires de l’ensemble des services concernés : DGAC, PAF, GTA, douanes, services secrets ».
Sûreté : un coût de 766 millions d’euros
Dans une seconde partie de son rapport, le sénateur s’est penché sur le coût et le financement de la sûreté du transport aérien. En 2016, la sûreté dans les aéroports devrait représenter un coût de 766 millions d’euros, soit 8,65 euros par passager. Si on y ajoute les dépenses de sûreté des compagnies aériennes et celles des services de l’État, on parvient à un coût par passager de 11,20 euros en moyenne. « Il s’agit d’un montant élevé et qui ne va faire qu’augmenter dans les années à venir puisque des investissements importants devront être réalisés par les aéroports » rappelle l’élu. Les dépenses des aéroports sont remboursées à l’euro près par la taxe d’aéroport, qui vient s’ajouter au prix des billets payés par les passagers. « Mais, remarque le sénateur, dans un contexte de concurrence exacerbée, les compagnies aériennes ont le plus grand mal à la répercuter sur les consommateurs, et ce prélèvement affecte leur compétitivité. Il pénalise également nos aéroports, plus cher en moyenne de 35 % que leurs homologues européens ». Il importe donc de trouver un financement de la sûreté qui soit à la fois « équitable et efficient ». Cela pourrait passer par un élargissement de cette taxe d’aéroport qui pèse aujourd’hui uniquement sur les compagnies aériennes. En 2014, Bruno Le Roux proposait par exemple que l’ensemble de la communauté aéroportuaire qui bénéficie de la sûreté des aéroports soit mise à contribution (magasins, hôtels, etc.).
Au final, il s’agit surtout d’assurer un meilleur contrôle de l’utilisation par les aéroports de la taxe d’aéroport, « en vérifiant l’efficience de leurs dépenses de sûreté au-delà de leur simple éligibilité ». ■
* Rapport d’information n°31 fait au nom de la Commission des finances sur le financement et l’efficacité de la sûreté du transport aérien.
(1) Depuis 2015, 80 personnes se sont vues retirer leur habilitation pour radicalisation dans les aéroports parisiens où ont eu lieu 14 perquisitions et 5000 fouilles de casiers dans le cadre de l’état d’urgence.
La sûreté et la sécurité du transport aérien sont deux notions connexes mais qu’il convient de bien différencier.
La sûreté (en anglais security) vise à protéger l’aviation civile contre les actes volontaires malveillants (terrorisme, criminalité organisée, activisme politique, folie individuelle d’un passager, etc.) visant les aéronefs, leurs passagers et les membres d’équipage.
Selon la définition qu’en donne l’annexe 17 de la convention de Chicago relative à l’aviation civile internationale, la sûreté est « la combinaison des mesures ainsi que des moyens humains et matériels visant à protéger l’aviation civile contre les actes d’intervention illicites ».
La sécurité (en anglais safety), vise pour sa part à réduire et maîtriser à un niveau acceptable les risques de nature accidentelle, liés à l’exploitation des aéronefs : technique, météorologique, humaine non intentionnelle (défaillance psychologique d’un personnel, erreur de conception d’un produit, action de pilotage ou de maintenance, etc.).
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