“La France fut longtemps considérée comme un modèle de mobilité sociale. Certes, tout n’y était pas parfait. Mais elle connaissait un mouvement continu qui allait dans le bon sens” estimait Jacques Chirac qui avait fait de la fracture sociale son thème privilégié de campagne en 1995. L’ancien Président déplorait la fin du modèle social français qui reposait sur la méritocratie et l’égalité des chances. « Une fracture sociale se creuse dont l’ensemble de la nation supporte la charge. La “machine France” ne fonctionne plus. Elle ne fonctionne plus pour tous les Français ».
Plus de vingt ans après, qu’en est-il ? En banlieue, des milliards ont été déversés, des « plans banlieues » se sont succédés à grand renfort de communication mais pour des résultats extrêmement limités, puisque l’Observatoire national de la politique de la ville a lui-même pointé du doigt en 2015 l’inefficacité des politiques menées depuis 10 ans, qui ont coûté 50 Mds€ sans permettre aucune amélioration notable. Preuve que le problème des banlieues n’est pas d’abord d’ordre économique mais relève de questions beaucoup plus profondes, liées à notre culture et à notre mode de vie.
En revanche, qu’a-t-on entrepris pour la France périphérique, qui correspond, selon le géographe Christophe Guilluy, aux villes moyennes de province et aux campagnes enclavées ? Véritables perdantes de la mondialisation, elles restent aussi les laissées-pour-compte des politiques publiques des quarante dernières années et tendent à décrocher sur tous les plans.
Dans ces territoires, les centres-villes se vident de leurs commerces, les services publics sont en déshérence, la fracture numérique se creuse, l’accès aux soins devient de plus en plus compliqué et l’éducation est particulièrement sinistrée, comme le relève un récent rapport du Conseil économique social et environnemental (CESE) publié le 10 janvier 2017. Sans parler des délocalisations.
Les études abondent sur le sujet mais les décisions politiques restent éminemment rares. Selon le rapport sur la revitalisation commerciale des centres-villes, publié en octobre 2016 par l’Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), plus de la moitié des centres-villes des villes moyennes avait un taux de commerces vides supérieur à 10 % en 2015. Dans les centres anciens, les rues aux façades historiques sont désertées au profit de centres commerciaux d’une profonde laideur, construits en périphérie et où l’on trouve les rares commerces encore en activité. Une vie artificielle se crée ainsi en dehors de la ville réelle, pour le plus grand malheur de tous.
Récemment, c’est le maire de Joigny dans l’Yonne, pourtant situé à 1h15 de Paris, qui a tiré la sonnette d’alarme, déplorant le délabrement du centre historique et l’état d’abandon de ses maisons au style Renaissance. Près de nous, c’est aussi la ville de Noyon qui symbolise à elle seule l’état de désolation d’une France naguère prospère et aujourd’hui déclassée : une cathédrale illustre, dans laquelle fut couronné Hugues Capet mais dont les pierres s’effritent et se détachent, au point que le cloître attenant n’est plus accessible au public ; un taux de chômage de 26,7 % en 2013, selon l’INSEE, pour une ville pourtant située à 1h30 de Paris et dont la région alentour conserve encore un patrimoine historique exceptionnel, puisque la Picardie fut le berceau des premiers royaumes francs.
Le clivage est de plus en plus net entre les métropoles mondialisées et leurs banlieues - qui tirent parti de l’ouverture des frontières et bénéficient des retombées de la croissance, en concentrant à elles seules deux tiers du PIB Français -, et le reste du territoire, qui regroupe 60 % de la population française pour seulement un tiers des richesses produites. D’après France Stratégie, le PIB par habitant est en moyenne 50 % plus élevé dans les métropoles que dans la France périphérique, dont les villes sont, de plus, dépourvues de grandes infrastructures et d’axes de communication, ce qui accroît leur enclavement, comparativement aux banlieues.
À terme, si rien n’est entrepris, c’est une part éminente de l’âme française qui périra, emportant dans son flot plus de la moitié de la population française, qui connaîtra dès lors exode rural, précarité sociale et déracinement culturel, et à qui l’on proposera comme seul expédient de percevoir un revenu universel.
Devant un tel défi, c’est une politique globale de revitalisation qui doit être conduite, conjuguant éducation, emploi, tourisme, services publics, santé, urbanisme et aménagement du territoire. C’est un véritable plan Marshall pour la France périphérique que j’appelle de mes vœux.
Dans ces territoires, les ressources entrepreneuriales ne manquent pas. Certains fleurons artisanaux sont la fierté locale : maroquinerie Renouard à Plancoët, selleries de Nontron en Dordogne, maison Dubernet dans le Sud-Ouest ou savonnerie Le Chatelard en Provence. Pour revitaliser en profondeur ces régions, il faudrait favoriser l’implantation à grande échelle d’entreprises d’excellence de ce type.
En guise de première mesure, je propose l’instauration d’un dispositif d’exonération fiscale et sociale pour les entreprises nouvelles décidant de s’installer dans la France périphérique. À deux conditions toutefois : qu’elles incarnent par leur savoir-faire artisanal l’excellence française ou par leur histoire l’identité d’un territoire, et qu’elles consacrent une part de leurs activités à l’innovation. Un dispositif analogue à celui des Jeunes entreprises innovantes (JEI) qui bénéficient déjà d’une exonération partielle ou totale de certaines charges sociales et fiscales, au cours des premières années suivant leur création, lorsque plus de 15 % de leurs dépenses s’effectuent en R&D.
Comment plaider une telle dérogation au principe de libre concurrence auprès de la Commission européenne ? En arguant d’abord que l’aide serait ponctuelle dans le temps et non pérenne, liée à une situation particulière. Et que centrée sur les entreprises incarnant l’excellence française ou l’identité d’un territoire, elle pourrait s’apparenter à une transposition du dispositif régissant la culture française (spectacle, cinéma, théâtre, etc…). Dans ce domaine, l’État peut s’affranchir du principe de libre concurrence au nom de l’exception culturelle française, afin de défendre notre culture. Après tout, les entreprises incarnant l’excellence française ou l’identité d’un territoire ne relèvent-elles pas aussi de notre culture ?
Le diable se nichant souvent dans les détails, il importe de pouvoir discerner si une entreprise se trouve dans un territoire qui relève de la France périphérique, pour bénéficier de ce dispositif. Sur ce point, je propose de s’en remettre à la classification minutieusement élaborée par Christophe Guilluy, en vertu de laquelle une commune se trouve située dans la France périphérique dès lors qu’elle n’appartient pas aux 25 aires urbaines les plus peuplées de France ni ne bénéficie de son rayonnement immédiat. Ainsi, 2 640 communes se trouvent situées dans une aire urbaine alors que 34 014 autres relèvent de la France périphérique.
Il est aussi nécessaire de déterminer si une entreprise incarne l’excellence française ou l’identité d’un territoire. Sur ce point, il convient d’éviter un écueil principal : celui de confier ce pouvoir aux autorités publiques. En effet, si l’État procède lui-même à cette qualification, il est à craindre que l’arbitraire ou le clientélisme ne s’en trouvent renforcées, débouchant sur toute sorte de marchandage ou de corruption. Je propose donc un critère simple : l’entreprise qui prétend incarner l’excellence française devra comporter en son sein un nombre suffisamment important de salariés issus d’une formation diplômante labellisée “excellence française” ou “savoir-faire lié à l’identité d’un territoire”. C’est ainsi la société civile qui permettrait à des entreprises de bénéficier de ce dispositif d’exonération fiscale et sociale.
Il y a urgence à mettre en œuvre une telle mesure. Sans attendre un nécessaire rééquilibrage des prélèvements obligatoires qui entravent aujourd’hui toutes les entreprises françaises, il est indispensable d’instaurer un dispositif spécifique pour la France périphérique. L’enjeu est de taille car il concerne la survie de nos territoires et la préservation de notre identité économique et culturelle. Quel candidat à la Présidentielle retiendra cette proposition ? ■