Pendant de longs siècles de l'histoire de France, les enjeux continentaux de développement économique et de défense du territoire ont prévalu sur la vision maritime, scindant le pays en deux et laissant les acteurs continentaux loin des activités de la côte.
Or, la France est indéniablement façonnée par la mer et les océans. Le Grenelle de la mer évoquait même « l'archipel France » : la France est bien au cœur de l'océan mondial. Avec ses exceptionnelles façades en Méditerranée, en Atlantique et son ouverture sur la Manche, lieu de transit maritime incomparable, elle bénéficie d'une situation géographique unique. Seul pays au monde sur lequel le soleil ne se couche jamais, ses zones économiques exclusives, fruit d'une histoire maritime riche, sont étendues sur l'ensemble de la planète. La part de l'économie bleue dans le PIB français atteint les 14 %, loin devant le secteur de l'automobile ou du luxe. L'expertise maritime française est reconnue dans le monde entier dans bien des domaines : la construction navale civile et militaire française se place au 2ème rang européen, le transport maritime français s'illustre par l'une des flottes les plus jeunes et diversifiées du monde et le nautisme français domine le marché mondial dans la rénovation de la grande plaisance. La France est également dotée d'une des quatre grandes marines océaniques au monde.
En dépit de ces faits, la France reste une puissance maritime qui s'ignore, comme une évidence que l'on tait.
La mer, une évidence trop complexe ?
La mer est un espace. Or, comment penser, administrer, organiser et développer un tel espace ? De même qu'il n'existe pas de ministère de la Terre, pourquoi y aurait-il un ministère de la Mer ? A cette interrogation légitime s'ajoutent les innombrables dimensions que revêt la mer : la pêche et l'aquaculture, les infrastructures portuaires, la construction navale, le transport maritime, la protection de l'environnement, la lutte contre les pollutions et les activités illégales, les énergies issues de la mer (renouvelables ou fossiles), la recherche et le soutien à l'innovation, l'éducation et la formation, …
A l'échelle de la planète, le fait maritime n'a jamais été aussi essentiel et la mer se profile comme l'avenir de l'humanité. 80 % de la population mondiale vit à moins de 100 km d'une côte. La mer apparaît comme solution pour nourrir, donner de l'énergie et probablement soigner 9 milliards d'individus en 2050. Parallèlement, les enjeux écologiques de préservation de l'environnement marin s'accentuent : véritable régulateur climatique, la mer absorbe 30 % du CO2 de l'atmosphère et émet plus de 50 % de l'oxygène que nous respirons mais certains facteurs comme la pollution et la surpêche menacent cet équilibre. Les échanges maritimes explosent : 90 % du commerce mondial passe par voie maritime, 98 % des communications par câbles sous-marins et, depuis les années 90, le trafic maritime mondial a presque quadruplé.
La mer n'est pas tant un problème qu'un enjeu majeur pour l'avenir de l'humanité.
La mer est l'espace des grands équilibres : économie et écologie, liberté et réglementation, bien commun et territoire national.
La mer, espace de controverses ?
Ces sujets sont débattus en ce moment à l'ONU dans le cadre de la gouvernance de la haute mer, qui s'intéresse à la mise en œuvre de l'ODD 14 (conserver et exploiter de manière durable les océans), aux enjeux de la biodiversité au-delà des juridictions nationales (BBNJ). La France y participe activement, à travers son Secrétaire général à la Mer, Vincent Bouvier, sa déléguée à la mer au littoral, Catherine Chabaud, ou des scientifiques comme Françoise Gaill, directeur de recherche émérite du CNRS.
Les controverses portent sur la souveraineté de territoires, comme nous le voyons aujourd'hui en mer de Chine méridionale mais aussi à l'égard de territoires français revendiqués par des pays étrangers. Elles abordent également les questions d'exploration et d'extraction des ressources dans des zones fragiles : les tensions actuelles sur l'Arctique en sont la plus vive illustration. Elles se manifestent de plus en plus par le déploiement de bâtiments de guerre sur et sous les océans de la planète par des pays qui n'y étaient pas ou plus présents, comme la Chine ou la Russie.
Le territoire national n'est pas exempt de débats, l'élection présidentielle l'a illustré avec le deuxième porte-avions ou la gestion des accords de pêche avec les Etats environnants.
La mer, l'avenir de notre pays
Depuis une quinzaine d'années seulement, la France se découvre maritime. Elle saisit ses atouts et conjointement le poids de ses responsabilités. Parmi les très nombreux champs d'action se détachent de réelles priorités.
La défense et la valorisation de la ZEE française, 2ème au monde, paraît primordiale. Sa ZEE assure à la France un rayonnement stratégique sur tous les continents et représente un potentiel économique en termes de ressources halieutiques, minérales et énergétiques, qui ne sera peut-être valorisé que par nos enfants ou nos petits enfants. Les récurrentes remises en question de cet espace maritime, à travers des textes soumis à l'Assemblée nationale, illustrent les tensions croissantes, symptomatiques du phénomène actuel de territorialisation des mers, et les convoitises maritimes de nos voisins. La protection de l'environnement de cette ZEE est un des enjeux majeurs que les normes européennes et nationales permettent d'assurer. Dans ces espaces, la France préserve également l'équilibre stratégique et la sécurité de l'espace maritime international avec la lutte contre les trafics illégaux, la piraterie ou encore la pêche illégale.
Sur le plan écologique, la France, première puissance maritime en Europe, endosse une responsabilité historique pour la protection de l'environnement marin. Sous la présidence française, l'océan a fait son entrée à la Conference of Parties (Cop21). Plus de 20 % de l'espace maritime français est déjà classé en Aires Marines Protégées. La France doit poursuivre sur cette voie et montrer l'exemple au niveau international.
90 % des fonds marins restent à découvrir et 90 % des espèces marines sont encore inconnues : la recherche scientifique concourra à la préservation de l'environnement marin, si elle en a les moyens.
Le développement de l'économie bleue en France métropolitaine et dans ses territoires ultra-marins constitue un levier de croissance incontournable. La loi Leroy sur la croissance bleue votée en juin 2016 est, avec ses 97 articles, une première étape vers une politique ambitieuse de la France, traitant des ports, du nautisme et de la plaisance, de la pêche et des cultures marines ainsi que des spécificités des CROM et DOM. L'étude que la Fondation de la Mer a publiée en février 2017 montre que la mer contribue à l'équivalent de 14 % du PIB de la France, et souligne les opportunités de croissance : aquaculture, biotechnologies marines, énergies marines renouvelables, tourisme côtier, l'exploitation minière raisonnée des fonds marins, … Faciliter le développement des innovations qui foisonnent dans notre pays est une priorité.
La France détient la géographie et les acteurs capables de la replacer au cœur des échanges maritimes internationaux. Une ambitieuse réorganisation des ports et des infrastructures, combinée à une efficace planification spatiale du littoral, serait à même de générer la croissance dont le pays a besoin. Ce sont des sujets que le tout jeune Comité France Maritime, co-présidé par le SG mer et le président du Cluster Maritime Français avec le soutien des régions et collectivités, défend. Souhaitons-leur de réussir, avec le soutien actif d'un Premier ministre que certains qualifient de « Premier ministre de la mer ».
« La mer c'est ce que les français ont dans le dos quand ils sont sur la plage » disait Tabarly. La sensibilisation des Français aux enjeux du fait maritime paraît plus que jamais pressante. Elle passe par l'information et l'éducation des nouvelles générations, une réflexion sur l'attractivité et l'organisation des métiers liés à la mer, et un soutien aux acteurs de la société civile.
A travers cette petite révolution mentale, la France assumera et valorisera sa place au cœur de l'Océan mondial, une perspective d'un avenir qui s'écrit déjà en bleu. ■
Lancée le 23 juin 2015 à l'Hôtel de la Marine, la Fondation de la mer est une institution indépendante au service du monde maritime, soutenue par un comité de fondateurs rassemblant les grands noms de la mer. Elle conçoit ses propres programmes pour protéger, découvrir et partager les merveilles des mers et des océans.
En savoir plus : www.fondationdelamer.org