“Et si la mer était l'un des principaux vecteurs de la croissance française de demain ?” questionne François Dalens, Directeur général du Boston Consulting Group qui a réalisé pour la Fondation pour la mer une étude sur la maritimisation de l'économie. Jusqu'à maintenant le poids de la filière de production maritime en France était très classiquement estimé à 72 milliards d'euros et à 289 000 emplois. Mais l'étude du BCG en choisissant d'élargir le champ d'investigation rebat sérieusement les cartes et laisse entrevoir de très belles promesses économiques liées à la mer. L'analyse du BCG voit donc plus loin. Aux activités traditionnelles qui remontent à l'Antiquité (construction navale civile et militaire, infrastructures portuaires et activités liées à la pêche, commerce maritime et activités annexes) et que l'on chiffre à 97,8 milliards d'euros et 504 800 emplois, BCG agrège l'exploitation pétrolière, la croisière, le nautisme et le tourisme du littoral (153,8 milliards et 304 300 emplois) et enfin ce que représenteront selon le cabinet « les nouvelles opportunités d'aujourd'hui et de demain » : Télécommunications, énergies marines renouvelables, biotechnologie et dessalement estimées à 21,1 milliards d'euros et 7400 emplois. « Trop souvent cantonnée à ses activités traditionnelles (pêches, ports, construction navale, civile et militaire, commerce maritime) ou à l'industrie du pétrole, la mer, estime François Dalens, profite désormais d'activités nouvelles qui sont autant de gisements exceptionnels de croissance ».
Un gisement exceptionnel de croissance
Surtout lorsque l'on se rappelle que 98 % des télécommunications passent par des câbles sous-marins, que 90 % des espèces marines sont encore à découvrir ou encore que 90 % du commerce mondial transite par voie de mer, « secteurs dans lesquels la France possède des leaders incontestés » comme la CMA-CGM qui est le 3ème transporteur par conteneur au monde. Au final, Le Boston Consulting Group chiffre la maritimisation de l'économie à 270 milliards d'euros et 820 000 emplois au total, soit 14 % du PIB de la France. « Jamais aucune institution, pas même l'Insee ne s'était interrogée sur le poids global de la mer » se félicite François Dalens, satisfait de ce premier baromètre de la maritimisation de l'économie qui mesure la dynamique de la création de valeur associée à la mer et aux océans dans l'économie française. « Pour un euro de chiffre d'affaires issu de l'économie maritime traditionnelle, ce sont au total trois euros de chiffre d'affaires générés pour l'économie française » insiste-t-il. Une contribution que l'on peut comparer « favorablement » à d'autres indicateurs nationaux usuels. La mer représente en effet plus de 13 % du PNB français et 14 % du PIB. Il est également largement supérieur aux contributions des secteurs traditionnels de l'économie française tels que l'industrie automobile (environ 100 milliards d'euros) ou l'industrie aéronautique (51 milliards d'euros).
Un sujet peu évoqué pendant la campagne
Reste que ces chiffres prometteurs sont peu et mal perçus par la population et par nos dirigeants. Au grand dam des professionnels du secteur, le sujet a été à peine effleuré lors de la campagne présidentielle. Seuls finalement, les deux candidats des extrêmes, Marine Le Pen qui voulait la création d'un véritable ministère des Outre-mer et de la mer « pour retrouver notre souveraineté sur nos océans » et Jean-Luc Mélenchon qui déclarait dans son programme que « la relance économique commencera par la mer » en ont parlé. Pourtant, avec 11 millions de km2, la France possède le 2ème espace maritime au monde. « Nous sommes une nation maritime mondiale même si notre histoire est davantage marquée par la culture terrienne » note Sabine Roux de Bézieux, présidente de la Fondation pour la Mer qui ne peut que constater que « la réalité et le potentiel de la mer et des océans pour la France sont largement méconnus ».
Un potentiel quasi infini
Or, l'enjeu est énorme. Comme éléments favorisant l'économie bleue, la fondation pour la mer évoque notamment la montée en puissance d'une classe moyenne en provenance d'Asie ou d'Amérique latine « qui favorisera la mondialisation, des échanges et des biens, de personnes ou de données » ; la poussée démographique vers les rivages : 60 % de la population mondiale vit à moins de 100 km d'un rivage, « ce sera 75 % d'ici 25 ans » ; les réserves hydriques d'eau douce ou faiblement salée sont les océans qui sont estimées à trois fois le volume des eaux douces de surface et enfin les ressources biologiques « encore inconnues » : 99 % des ressources biologiques de la planète se trouvent sous les mers et 90 % des organismes marins sont encore inconnus ou largement méconnus, « ce qui représente un potentiel quasi infini de découvertes et d'innovations aux applications variées : cosmétique, santé, agriculture, agroalimentaire, carburant, … ».
L'enjeu est aussi durable. « L'océan joue un rôle décisif de régulateur climatique, rappelle le baromètre, il absorbe un tiers du Co2 émis par l'homme et émet 50 % de l'oxygène que nous respirons ». Les ressources maritimes seront aussi mobilisées pour répondre aux besoins de 9 milliards d'humains en 2050 pour se nourrir, s'abreuver et se fournir en énergie qui ne pourront plus être remplies par les seules ressources de la terre, certaines étant déjà épuisées. Enfin, « l'industrie pétrolière et para pétrolière représente une part considérable de l'économie de la mer » rappelle la fondation, 20 % des réserves de pétrole et 30 % des réserves de gaz se trouvent sous les mers.
Des défis à relever
Forte de ces analyses et des chiffres du baromètre, la Fondation pour la mer et Boston Consulting Group mettent en garde la France. Car si la France dispose du deuxième espace maritime français, « cette position géographique et économique exceptionnelle n'est pas acquise et sa pérennité dépend notamment de la capacité de la France à opérer avec succès le tournant de l'économie bleue et verte, en soutenant ses secteurs d'avenir (biotechnologies, énergies marines renouvelables, dessalement) comme en accompagnant la transformation de ses activités historiques » indique Sabine Roux de Bézieux. « Plus grave encore, poursuit-elle, ce qui peut apparaître comme un atout se révèle très rapidement, un handicap ». Comme dans le cas des ports français dont l'activité est « stagnante » (1 % de croissance). La France n'est que le 6ème pays d'Europe pour le trafic de fret entrant et le 9ème pour le fret sortant (sources Eurostat). « Les investissements dans les infrastructures sont insuffisants pour bénéficier de la situation exceptionnelle » déplore la fondation qui fait remarquer que le trafic du port de Rotterdam est plus important que celui de tous les ports français réunis. « Le temps de parcours marchandises entre le Havre et Paris a été multiplié par 5 depuis un siècle, parce que nous n'avons pas investi dans les voies navigables ou le transport ferroviaire. Or ces infrastructures sont le socle indispensable au développement harmonieux et rapide des autres activités liées à la mer » insiste-elle.
La fondation pour la mer voit un autre défi à relever pour la France, celui des délais de mise en œuvre des innovations qu'elle trouve « excessif ». Alors que la France est présente dans toutes les technologies des énergies renouvelables et qu'à l'exception de l'usine marémotrice de la Rance mise en service il y a 50 ans, « pas un seul kilowatt-heure ne provient de l'énergie marine ». « La France n'a à ce jour aucune éolienne opérationnelle » se désole Sabine Roux de Bézieux. « Dans le domaine des EMR comme dans celui des biotechnologies marines, il s'agit de libérer et faciliter les initiatives qui foisonnent grâce à l'excellence de nos formations académiques et de nos centres de recherches spécialisés (Ifremer, Cnrs, etc.) » conclut la présidente de la Fondation. ■
La France est un des pays dont l'économie est la plus maritimisée, notamment vis-à-vis de nations historiquement tournées vers la mer
L'économie bleue représente ~273 Mde au total, soit ~14 % du Produit Intérieur Brut
Les mers françaises génèrent ~12.5 % de la création de valeur mondiale des océans, alors qu'elles ne représentent que 8 % de leur surface, dont 20 % sont classées Aires Maritimes Protégées
A périmètre comparable, le poids de l'économie bleue en France est 1.5x supérieur à celui des Etats-Unis ou du Royaume-Uni.