Déjà deuxième puissance maritime au monde avec ses onze millions de km2 de Zones exclusives économiques (ZEE), l'extension de son plateau continental de 579 000 km2, soit à peu près la superficie de la France ancre encore un peu plus notre pays au large. Les quatre décrets publiés le 25 septembre 2015 au Journal Officiel fixent ainsi de nouvelles limites du plateau continental au large de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Nouvelle-Calédonie et des îles Kerguelen. UNE extension qui accroît les droits de la France sur les ressources du sol et du sous-sol marins au-delà des 200 milles nautiques. « Cette extension ne concerne pas l'océan lui-même, et donc pas la pêche, mais seulement le sol et le sous-sol » rappelle au Figaro Walter Roest, géophysicien à l'Ifremer et membre de la Commission des limites du plateau continental à l'ONU.
L'exploitation de ressources naturelles autorisées
La règle veut que chaque pays côtier dispose d'un espace maritime large de 200 milles nautiques (environ 370 km) : c'est ce qu'on appelle la Zone Economique Exclusive (ZEE). Le pays y exerce sa souveraineté et peut exploiter les ressources à la fois du sous-sol et des eaux surjacentes. Mais, selon l'Article 76 de la Convention des Nations unies sur le Droit de la Mer de 1982, dite de Montego Bay, un Etat côtier peut prolonger le plateau continental sous sa juridiction au-delà des limites de 200 milles nautiques. « Cette extension - jusqu'à 350 milles (650 km) maximum - concerne uniquement le plateau continental, c'est-à-dire le sol et le sous-sol marins dans le prolongement naturel des terres émergées, les eaux restant quant à elles du domaine international. Il se différencie en cela de la ZEE qui inclut la colonne d'eau » précise l'Ifremer.
De nouveaux espaces à explorer
Dans ces zones de plateau continental, les états côtiers disposent, au titre de la Convention, de droits souverains pour l'exploitation des ressources naturelles du sol et du sous-sol. Hydrocarbures, minéraux, métaux ou ressources biologiques. Avec ces nouveaux espaces à explorer, ce sont autant de ressources potentielles à découvrir et à exploiter peut-être. En 2013, déjà dans un avis du Conseil Economique Social et Environnemental, Gérard Grignon, rapporteur et président de la commission Outre-mer au CESE prévenait, alertait le gouvernement sur cette possibilité d'extension du plateau continental qui était « une chance et un atout à ne pas négliger » surtout dans un contexte de crise économique mondiale. C'est désormais chose faite pour la plus grande satisfaction de ceux qui ont oeuvré en ce sens.. « Cette reconnaissance juridique est l'aboutissement ultime de notre travail pour établir les dossiers d'extension du plateau continental » s'est pour sa part réjouit Benoît Loubrieu, responsable scientifique du programme d'extension du plateau à l'Ifremer.
Pour faire valoir ses droits, la France a donc due suivre une procédure bien précise en déposant ses dossiers de demande d'extension du plateau continental auprès de la Commission des Limites du Plateau Continental (CLPC), commission spécifique des Nations unies. Mais rappelle l'Ifremer, « cette extension peut être revendiquée à condition que les fonds marins répondent à des critères de prolongement naturel et continuité géologique et morphologique depuis les terres émergées ».
Le programme EXTRAPLAC
Pour élaborer les demandes d'extension conformément à ces critères, la France a donc mis en place en 2002 un programme national dédié : EXTRAPLAC (EXTension RAisonnée du PLAteau Continental), coordonné par un comité de pilotage interministériel, sous la responsabilité du Secrétariat général de la Mer. L'Ifremer avait en charge le pilotage de la contribution scientifique, en collaboration étroite avec le SHOM (Service hydrographique et océanographique de la marine), IFP Énergies nouvelles et l'IPEV (Institut polaire français Paul-Émile Victor). « Ces organismes apportent les compétences scientifiques et les moyens navals nécessaires pour instruire les demandes d'extensions françaises » Le travail colossal qui a été abattu par EXTRAPLAC : acquisition de mesures en mer, analyse des données géophysiques, préparation et dépôt des dossiers de demandes, et suivi de l'examen par la CLPC a permis à la France de soumettre, depuis le premier dépôt en 2006, des demandes pour onze zones du domaine maritime français. Au terme du processus d'instruction des premiers dossiers soumis entre 2006 et 2009, la France a obtenu une validation de la CLPC pour les limites extérieures de son plateau continental au-delà de 200 milles pour 72 000 km2 au large de la Guyane, 8 000 km2 au large de la Martinique et la Guadeloupe, 76 000 km2 au large de la Nouvelle-Calédonie et 423 000 km2 au large des Îles Kerguelen.
Préparer l'avenir
D'autres demandes sont encore en attente (Archipel de Crozet, La Réunion, Saint-Paul et Amsterdam, Wallis et Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon) et un dossier est encore à déposer pour la Polynésie française.
Pour autant, concernant les ressources espérées (hydrocarbures et nodules polymétalliques notamment), les promesses seront-elles tenues ? Rien n'est moins sûr. Pour l'or noir, les experts restent circonspects. Dans la zone des Kerguelen par exemple, il existe très peu d'informations. Sans compter que plus on s'éloigne du continent, et au-delà des 200 milles, « plus l'épaisseur des sédiments rétrécit » souligne Roland Vially, géologue à l'Ipsen (Institut français des pétroles énergies nouvelles), or ce sont ces sédiments qui ont le plus de chance de former des hydrocarbures. Pétrole toujours. En Guyane, Shell, plein d'espoir, a mené une série de forages en 2013 qui n'ont donné aucun résultat. Et si le fond océanique de la Nouvelle-Calédonie avec une forte épaisseur sédimentaire aurait pu laisser croire à la présence d'hydrocarbure, « nulle trace de pétrole » n'a été découverte sur le « Caillou » ou au large. Enfin, et même si on découvrait du pétrole, il faut avoir à l'esprit les difficultés – et le coût – pour exploiter un tel gisement à des profondeurs pouvant parfois atteindre 3000 mètres et situées au très grand large.
Quant aux nodules polymétalliques, ces métaux bien utiles pour les téléphones portables ou même les voitures électriques, aucune trace n'a été décelée dans les zones revendiquées par la France. Voilà qui laisse perplexe. En même temps et comme le rappelle fort justement Roland Vially dans Le Figaro, « qui pensait il y a trente ans qu'on saurait exploiter du pétrole par 300 mètres de fond ? On ignore ce qu'on ira chercher dans plusieurs décennies mais la France aura sécurisé ses zones » conclut l'expert. ■