Difficile, au demeurant, d’échapper aux poursuites intempestives de celles-ci par le fisc qui font régulièrement la une des journaux. ; comme d’ailleurs leur succès devant les tribunaux. A l’instar de celui de Google qui a obtenu gain de cause en 2017 devant le tribunal administratif de Paris, ce qui lui a permis d’échapper à un redressement de plus d’un milliard d’euros.
Optimisation fiscale agressive
Les gouvernements et l’opinion publique ne cessent de s’indigner devant les pratiques d’optimisation fiscale agressives auxquelles recourent les GAFA. A juste titre d’ailleurs puisque celles-ci parviennent à exploiter, plus encore que les autres entreprises, les failles des règles fiscales nationales et internationales afin de réduire substantiellement leur bénéfice imposable. Pour ce faire, les GAFA exploitent, entre autres choses, la notion « d’établissement stable », présente dans les conventions fiscales bilatérales et déterminante pour savoir si une entreprise est ou non imposable. Cette notion fiscale cardinale adoptée il y a plusieurs décennies, c’est-à-dire à une époque où l’activité économique se traduisait nécessairement par une présence « physique » est devenue depuis lors obsolète avec l’essor du numérique. Nul besoin en effet pour les nouvelles multinationales du numérique d’établir des usines ou magasins pour être omniprésentes dans la vie des citoyens. Les GAFA recourent également à d’autres techniques fiscales parfaitement légales pour transférer une grande partie de leur bénéfice vers des pays à fiscalité réduite. Avec le succès que l’on connaît puisque pour l’exercice 2016, Facebook n’a payé en France que 1,2 million d’euros d’impôts pour un chiffre d’affaires estimé de 540 millions d’euros.
A une époque où certains Etats surendettés (mais incapables de se transformer !) ont une fâcheuse propension à augmenter toujours plus les taxes, cette sous-imposition des GAFA apparaît intolérable pour l’ensemble des contribuables « lambda » écrasé par la pression fiscale. Les différentes initiatives politiques visant à renforcer la taxation des GAFA sont donc louables. D’autant que ces initiatives, d’abord individuelles, prennent progressivement une coloration européenne.
Les initiatives individuelles pour taxer les GAFA
Plusieurs pays de l’Union européenne ont pris des initiatives individuelles pour taxer les GAFA. A titre d’exemple, le Royaume-Uni a instauré dès 2015, en sus du taux d’impôt normal sur les sociétés (actuellement fixé à 19 %), un taux majoré de 25 % qui a vocation à s’appliquer sur les « bénéfices détournés » des multinationales. En 2016, la France a tenté de s’aligner sur cette initiative en intégrant un dispositif similaire dans la loi de finances pour 2017. Son application discrétionnaire a toutefois conduit à ce qu’il soit censuré par le Conseil constitutionnel.
Cet élan français malheureux pour taxer les GAFA n’était toutefois pas le premier dans la mesure où l’idée d’une « taxe Google » est en débat depuis que Nicolas Sarkozy a repris à son compte, en 2010, certaines propositions issues de la Commission « Création et Internet ». Pour mémoire, cette dernière proposait, entre autres, l’instauration d’une taxe sur les « revenus publicitaires engendrés par l’utilisation de services en ligne depuis la France » : taxe qui a d’ailleurs été introduite par voie d’amendement dans le projet de loi de finances pour 2011, mais qui a en définitive été abandonnée en raison de ses conséquences pour l’économique numérique. Cela étant, deux taxes relativement similaires ont été adoptées par la suite : la taxe « Netflix » en 2013 et la taxe « YouTube » en 2016. Ces deux taxes au taux similaire de 2 % ont vocation à taxer les revenus publicitaires des plateformes de mise à disposition de vidéos à la demande et de vidéos à titre gratuit. Par souci d’équité, ces deux taxes visent aussi bien les entreprises françaises (Dailymotion) que celles établies hors de France mais opérant sur notre territoire (YouTube, Netflix etc.). Elles sont entrées en vigueur à la fin de l’année 2017.
Bien que constituant une première étape vers l’imposition des GAFA, ces taxes adoptées au niveau national sont toutefois loin de répondre aux problèmes d’optimisation fiscale des GAFA. Au vrai, ces derniers ne peuvent être résolus qu’au niveau européen, voire mondial. D’où les multiples initiatives lancées par la Commission européenne et l’OCDE depuis plusieurs années.
Les initiatives collectives pour taxer les GAFA
S’agissant de l’OCDE, plusieurs actions sont en cours dans le cadre du projet « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting) pour mieux imposer les multinationales du numérique. Les travaux effectués dans le cadre de ce projet ont principalement vocation à se concrétiser par l’adoption de mesures nationales, mais ils prévoient également la modification des conventions fiscales internationales. Car l’OCDE est arrivée dès 2014 à la conclusion qu’une convention multilatérale serait le meilleur moyen d’intégrer de façon rapide et homogène les actions du projet « BEPS » dans l’ordre fiscal international. Ladite convention multilatérale a été publiée en novembre 2016 et a d’ores et déjà été signée par plusieurs dizaines de pays, dont la France. Ratifiée récemment par la Slovénie, elle entrera en vigueur le 1er juillet 2018 ! Selon le Secrétaire général de l’OCDE Angel Gurría, « l’entrée en vigueur de cette Convention multilatérale représente un tournant dans la mise en œuvre des efforts déployés par les pays de l’OCDE et du G20 pour adapter les règles fiscales internationales aux réalités du XXIème siècle ».
S’agissant ensuite de l’Union européenne, la principale initiative est relative au projet ACCIS. Lancé au début des années 2000, ce projet a abouti en 2011 à une proposition de directive de la Commission. Celle-ci propose d’harmoniser l’assiette de l’impôt sur les sociétés en instaurant une assiette commune consolidée pour cet impôt qui aurait notamment vocation à limiter la concurrence fiscale déloyale entre Etats dont se servent pour l’heure habilement les GAFA. Ayant d’abord suscité peu d’intérêt, ce projet a récemment été relancé avec succès ; si bien que le 15 mars dernier, le Parlement européen a adopté deux résolutions visant à l’entériner. Reste toutefois à obtenir l’unanimité des Etats pour que cette directive soit mise en œuvre, ce qui est loin d’être évident dès lors que cela viendrait sérieusement obérer les recettes fiscales des Etats qui, comme l’Irlande, ont fondé leur stratégie fiscale sur le « pillage » de la base imposable des autres Etats.
En attendant que ces ambitieux projets soient mis en oeuvre, la Commission a annoncé le 21 mars dernier la création d’une taxe « européenne » de 3 % sur le chiffre d’affaires des multinationales du numérique (et pas seulement des GAFA). Or, cette taxe présentée comme temporaire (mais qui croit encore aux taxes temporaires ?) présente plusieurs défauts rédhibitoires, dont celui de viser le chiffre d’affaires et non le bénéfice des entreprises visées et celui d’avoir un rendement dérisoire (5 milliards d’euros au niveau européen, soit le montant des recettes françaises de l’ex ISF) au regard de ses potentielles conséquences économiques néfastes. Cela étant, on comprend que les Etats cherchent légitimement à apaiser une opinion publique à cran en proposant une telle taxe « en urgence » afin de remédier à la lenteur de la mise en œuvre des solutions de long terme.
En conclusion, mise à part cette malheureuse taxe dont l’adoption n’apparaît guère souhaitable, on ne peut que se réjouir que la taxation effective des GAFA par les Etats soit enfin en marche ! ■