On peut distinguer plusieurs périodes.
La naissance des régimes de retraite a été très étalée dans le temps.
Un système de retraite comporte un ensemble de droits et d’obligations édictés par une autorité compétente et qui s’appliquent à tous les participants au système.
Ainsi défini, un système de retraite est une construction relativement récente dans notre histoire.
Certes, on peut trouver dès le XVIIème siècle les prémices du régime des marins. La Révolution essayera en vain de créer un régime de pension pour les fonctionnaires de l’Etat et au XIXème siècle, seront créés des régimes propres à la Banque de France (1808), à la Comédie française (1812), à l’Imprimerie nationale (1824). Mais il faudra attendre 1831 et 1853 pour que soient créés des régimes de pensions au profit des militaires et des fonctionnaires civils.
Ces premiers régimes se sont adressés à des personnes exerçant des métiers dangereux mais indispensables à la Nation (marins, mineurs), ou à des personnes dont le métier exigeait un certain niveau de compétences techniques. Dans les deux cas, il fallait fidéliser les agents et encourager les embauches.
Cette histoire explique la multiplicité de ces régimes catégoriels appliquant des règles différentes : mines, marins, fonctionnaires, énergie, chemins de fer, Comédie française etc. Pourtant, au total, ils ne visaient qu’une petite partie de la seule population salariée.
En effet, les salariés de l’agriculture, du commerce et de l’industrie seront les derniers à bénéficier d’une telle protection. La loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes (ROP) fut un échec, la Cour de cassation jugeant que le versement des cotisations (patronales et salariales) n’était pas obligatoire. Il fallut encore attendre les lois de 1928-1930 sur les assurances sociales. Pour la retraite, ces lois mettaient en place un régime par capitalisation.
Dès lors, en 1945, à la naissance de la Sécurité sociale, s’agit-il d’une réforme ou d’une création ?
Ce fut une réforme au sens où il a fallu tenir compte de l’existant, soit les assurances sociales de 1930, la loi du 14 mars 1941 qui avait substitué la répartition à la capitalisation et créé l’allocation aux vieux travailleurs salariés et les régimes créés dans certains secteurs économiques qu’on appellera régimes spéciaux par opposition au régime général.
Mais ce fut aussi une création en raison des ambitions énoncées : un régime universel, cet adjectif recouvrant deux dimensions : la généralisation à toute la population alors qu’une partie importante de celle-ci - les travailleurs indépendants et les cadres salariés - n’a pas encore de régime de retraite obligatoire et l’uniformité de la protection alors que des régimes catégoriels de salariés existent déjà qui devront se fondre dans le nouveau régime.
Pourtant, certains ont pu parler d’un échec relatif
L’ambiguïté entre le souhaitable et le possible se retrouvait dans le texte même de l’ordonnance du 4 octobre 1945 dont l’article 1er instituait une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs (terme en principe réservé aux salariés) et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou supprimer leur capacité de gain. Mais il prévoyait aussi que des ordonnances ultérieures pourraient étendre le champ d’application de l’organisation de la Sécurité sociale à des catégories nouvelles de bénéficiaires.
De fait, les pouvoirs publics firent plusieurs tentatives par les lois du 22 mai et du 13 septembre 1946. Mais les non - salariés refusèrent d’entrer dans un régime de salariés. Et le monde agricole voulait son propre système de sécurité sociale. Il y aura donc création de quatre régimes pour les professions non salariées.
De même, l’ordonnance du 4 octobre 1945 admettait dans son article 17 la survie provisoire de certains régimes spéciaux appelés à être ultérieurement absorbés dans le régime général. Mais l’article 61 du décret du 8 juin 1946 qui listait les régimes spéciaux maintenus ne mentionnait plus le caractère provisoire de ce maintien. Et ils sont restés.
Dernier problème : les cadres qui n’étaient pas affiliés aux assurances sociales à cause du plafond d’assujettissement en vigueur dans les assurances sociales n’acceptaient d’entrer dans le régime général qu’à la condition qu’un plafond de cotisation soit fixé afin qu’ils puissent garder leurs régimes professionnels à titre de complément, ce qui permit le développement des régimes complémentaires ARRCO et AGIRC.
La reprise des ambitions de 1945 dans les années 70 et l’amélioration des retraites
Le plein emploi et l’optimisme dans l’avenir une fois le pays redressé ont alors permis des réformes importantes.
La reprise des ambitions de 1945 conduira à l’adoption de sept lois entre 1972 et 1978. Tous ces efforts ne seront pas couronnés de succès : seuls aboutiront l’alignement pour l’avenir des régimes de retraite des commerçants et artisans sur le régime général, l’harmonisation des prestations familiales et l’affiliation à un régime de retraite de toute personne exerçant une activité professionnelle.
En même temps, plusieurs lois vont améliorer la situation des retraités qui avait été jugée très précaire par le rapport de 1962 de la Commission d’étude des problèmes de la vieillesse présidée par Pierre Laroque. Ainsi, la loi Boulin de 1971 et une loi de 1975 augmenteront les droits des retraités, tandis qu’une loi de 1972 organisera la généralisation des retraites complémentaires et que plusieurs lois abaisseront à 60 ans l’âge d’obtention de la pension au taux plein pour de nombreuses catégories de salariés jusqu’à ce que les ordonnances de 1982 étendent ce droit à tous ceux qui totalisent 150 trimestres d’assurance tous régimes.
Mais tout de suite après les ordonnances de 1982, le Gouvernement présidé par Laurent Fabius s’inquiète de la soutenabilité des dépenses de retraite.
Un rapport (Tabah-Ruellan) de 1986 sur la solidarité entre les générations face au vieillissement démographique pose les principes des réformes à venir : répartir l’effort entre actifs actuels, retraités actuels et retraités futurs ; de ce fait, agir sur divers paramètres : durée d’assurance, revalorisation, conditions d’acquisition des trimestres ; avec une application progressive donc programmée dans le temps.
Puis, le Livre blanc du Commissariat au Plan de 1991 préfacé par le Premier ministre Michel Rocard intègrera, pour la première fois, des projections financières sur les régimes spéciaux, alors très peu étudiés.
La loi du 22 juillet 1993 sera la première grande réforme mettant en œuvre les pistes proposées dans les rapports : durée d’assurance pour avoir le taux plein portée progressivement à 160 trimestres, indexation des pensions sur les prix, calcul du salaire moyen durci sur les 25 meilleures années.
D’autres rapports prépareront les futures réformes (Rapports Charpin de 1995, Briet de 1999). Surtout, la création du Conseil d’orientation des retraites en 2000 permettra d’engager un processus concerté de réforme. Chargée de décrire la situation financière des régimes, de proposer des mesures de rééquilibrage, cette instance devait permettre de dédramatiser les réformes en associant toutes les compétences et en publiant les études.
Ses travaux déboucheront sur les lois de 2003, 2010 et 2014 et sur les décrets de 2007-2008 réformant les régimes spéciaux. Ce furent des réformes paramétriques destinées à freiner la croissance des dépenses de retraite, mais aussi à rapprocher quelque peu les règles des différents régimes : en effet, il y eut une application adaptée aux régimes spéciaux de certaines des mesures portant sur les règles d’ouverture des droits et de revalorisation des pensions, mais pas sur leurs modalités de calcul.
C’était déjà un pas important si on se rappelle les réactions au plan Juppé de 1995, réactions qui ont longtemps différé la réforme des régimes spéciaux dont les règles plus généreuses et l’équilibre démographique souvent très dégradé pèsent sur le budget de l’Etat.
La nouvelle étape prévue, voulue comme une réforme systémique applicable à tous les régimes, sera beaucoup plus révolutionnaire. ■