Dans ce contexte, la réforme des retraites annoncée par le Gouvernement se veut radicalement différente des précédentes et vise une refondation du système : « il doit s’agir, avant tout, d’un grand choc de lisibilité et de simplification de notre régime de retraite » déclarait Emmanuel Macron en janvier à la Cour des comptes.
Premier poste de dépenses publiques avec plus de 300 Mde par an, le système de retraite français se distingue par son morcellement. À 25 régimes de base, répartis entre les régimes de salariés du privé (environ 70 % des actifs), les régimes de non-salariés (10 %) et les régimes spéciaux (20 %, dont le régime de la fonction publique et des régimes d’entreprise), s’ajoutent 9 régimes complémentaires, dont l’Agirc-Arrco est le principal.
Héritage de l’histoire, la multiplicité des régimes fait place à un rapprochement progressif
Ambition initiale des ordonnances de 1945 organisant la Sécurité sociale, l’instauration d’un régime unique obligatoire s’est rapidement heurtée à l’opposition de catégories professionnelles, dont les conceptions de la retraite divergeaient (1) : conception patrimoniale pour les non-salariés, plus préoccupés par l’investissement dans un capital professionnel devant être revendu au départ en retraite ; conception statutaire pour les fonctionnaires et salariés des régimes spéciaux, dont la retraite est perçue comme un droit « attaché » au statut des agents ; enfin, conception assurantielle pour les salariés du privé visant à se couvrir contre le risque de ne plus pouvoir subvenir à ses besoins.
Certains besoins catégoriels demeurent en effet : les professions libérales s’acquittent toujours de cotisations ramenées à leurs revenus plus faibles ; certaines catégories de fonctionnaires (policiers, administration pénitentiaire…) justifient encore de contraintes nécessitant une prise en compte spécifique, notamment par la possibilité d’un départ anticipé en retraite.
Néanmoins, ces conceptions « traditionnelles » de la retraite méritent aujourd’hui d’être nuancées. De fait, les réformes des vingt dernières années ont organisé une forte convergence entre les différents régimes. Les réformes de 2003 et de 2008 ont progressivement rapproché les paramètres de calcul des pensions des régimes de la fonction publique et des régimes spéciaux de ceux du privé. Les régimes Arrco et Agirc ont fusionné tout récemment, au terme d’une convergence engagée il y a plus de vingt ans…
Des disparités persistantes jetant le doute sur l’équité entre régimes
Malgré cette convergence, des différences importantes subsistent, alimentant des controverses sur l’équité du système de retraite, en particulier entre les régimes des fonctionnaires et ceux du privé. Par exemple, les formules de calcul de la pension d’un fonctionnaire et d’un salarié du privé diffèrent radicalement : le fonctionnaire perçoit une pension unique basée sur 75 % de son dernier traitement (hors primes), tandis que le salarié du privé perçoit une pension « de base », calculée à partir de 50 % de ses 25 meilleurs salaires, et une pension « complémentaire » calculée en points.
Si leurs montants moyens de retraite diffèrent sensiblement (1 820 e en moyenne pour les carrières complètes au régime général et 2 600 e pour celles dans la fonction publique d’État hors militaires (2)), cela reflète surtout des différences de niveau de qualification. Les taux de remplacement (pension rapportée au dernier salaire) médians, qui constituent un indicateur d’équité plus adéquat, sont ainsi assez proches : autour de 75 % pour les carrières complètes effectuées dans le privé comme dans le public (3). Au total, les nombreux travaux consacrés à ce sujet ne concluent pas que le calcul de la pension soit globalement plus favorable dans un régime que dans l’autre. De même, des études récentes montrent que les âges de départ en retraite sont désormais proches entre salariés du privé et fonctionnaires (hors catégories actives, les conditions de départ de certaines de ces catégories faisant en revanche débat).
Même s’il n’existe pas d’iniquité globale avérée dans le système de retraite actuel, l’opacité de celui-ci nuit au sentiment d’équité. Ainsi, même si des règles identiques ne sont pas une garantie absolue d’équité lorsqu’elles sont appliquées à des publics différents, une meilleure harmonisation des règles permettrait sans doute de renforcer l’équité réelle et perçue du système.
Au-delà de la question de l’équité, la persistance de certaines différences de règles ou de dispositifs, telles que les formules de calcul ou certains droits familiaux de retraite, dont la justification tend à disparaître, mériterait d’être réexaminée. En définitive, cela pose la question de la complexité du système, à la fois pour les assurés et pour le pilotage des régimes.
Un système de retraite peu lisible pour les Français et difficile à piloter
Du fait de la double structure, base et complémentaire, la grande majorité des Français relève au cours de leur carrière de plusieurs régimes de retraite. Il est même fréquent, avec la diversification des parcours, que les assurés relèvent de plusieurs régimes de base. On comprend donc qu’une majorité d’entre eux juge le système de retraite « complexe » (4). Conscient de ces difficultés, le législateur a institué un droit à l’information sur la retraite qui comprend l’envoi périodique d’une synthèse des droits acquis dans tous les régimes, ainsi que la création d’un compte retraite offrant divers services (démarches en ligne, outils de simulation…). Ces nouveautés devraient améliorer sensiblement l’information des assurés.
En plus d’un coût de gestion potentiellement plus important (5), la multiplicité des régimes et des règles complique le pilotage des régimes. Par exemple, l’objectif d’équité entre les régimes est délicat à garantir sur longue période, car les différentes formules de calcul des droits réagissent différemment à certaines évolutions économiques : une période de croissance des salaires pourra par exemple avantager les fonctionnaires, mais une hausse de leur part de primes diminuera leur taux de remplacement. Un pilotage dispersé entre régimes n’est guère compatible avec des objectifs fixés au système de retraite dans son ensemble : niveau de vie suffisant des retraités, équité, pérennité… Cela explique l’émergence d’institutions, telles que le Conseil d’Orientation des Retraites et le Comité de Suivi des Retraites, ayant compétence sur l’ensemble du système de retraite, et la création d’un système d’information sur les carrières commun aux régimes.
Plus fondamentalement, le problème de lisibilité du système de retraite permet difficilement de mettre en évidence les grands arbitrages qui doivent faire l’objet d’un débat démocratique : quel équilibre entre solidarité et contributivité ? Quel compromis entre niveau de pension, durée de retraite et niveau des prélèvements sur les actifs ?… Une meilleure compréhension de la part de tous favoriserait sans doute l’émergence de préférences collectives, et ainsi une meilleure confiance et adhésion au système.
Déjà amorcée à maints égards, une large harmonisation du système de retraite aurait de nombreux avantages : plus grande équité entre les régimes, meilleure lisibilité des droits et transparence démocratique accrue… Cette attente est d’ailleurs largement partagée, 84 % des Français « souhaitant un socle commun des régimes de retraite » (6). Mais évidemment, cette réforme majeure, qui passe par la réécriture d’un pan entier de la protection sociale et qui concerne directement tous les Français, n’est pas sans risque. Elle soulève de vastes et importantes questions sur le fonctionnement du régime cible (règles de calcul, financement, gouvernance) ainsi que l’épineuse question de la transition vers celui-ci. ■
1. Cf. rapport Charpin (1999).
2. Les retraités et les retraites – édition 2018, DREES
3. Les dossiers de la DREES, mai 2017
4. Cf. Enquête de la Caisse des Dépôts – Attentes et perception des Français à l’égard de la retraite, 2012
5. Dans son rapport « Les retraites des fonctionnaires », la Cour des comptes estime que la fusion du Service des retraites de l’État (SRE) et de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) pourrait réduire de 20 % les coûts de gestion.
6. Résultats du Baromètre d’opinion de la DREES, 2017.