Que représente le Conseil national des barreaux a la tete duquel vous avez été élu ?
Sous le titre d’avocat, 63 000 professionnels exercent au quotidien différents métiers et couvrent tous les domaines du droit, des plus classiques au plus novateurs. Les avocats sont ainsi présents partout sur le territoire, répartis au sein de 164 barreaux par ressort de TGI, pour répondre aux besoins de droit.
Le Conseil national des barreaux, établissement d’utilité publique, est l’institution nationale de la profession d’avocat, créée en 1992. Il fédere ainsi l’ensemble des avocats inscrits individuellement aupres d’un barreau local. Chargé de représenter la profession notamment aupres des pouvoirs publics, il a reçu de la loi mission d’unifier les regles et usages de la profession d’avocat, de définir les principes d’organisation de la formation professionnelle initiale et continue, et de statuer sur les demandes d’admission au barreau des avocats étrangers.
Le CNB est le seul lieu ou se réunissent et déliberent tous les acteurs de la profession pour parler d’une seule voix.
La profession d’Avocat a évolué depuis les années 70. Quel est son avenir ?
D’abord, il faut rappeler que depuis 1971 plusieurs professions juridiques réglementées se sont regroupées sous le titre d’avocat : avoués de premiere instance, anciens conseils juridiques et avoués pres les cours d’appel. Ce processus d’unification est appelé a se poursuivre afin que la profession d’avocat développe au XXIeme siecle sa vocation de grande profession du Droit. Quant a son avenir, il est ouvert et prometteur en termes d’investissement de nouveaux champs d’exercice sur le marché du droit, de développement de nouvelles manieres de se structurer et d’exercer ainsi que de nouvelles méthodes de conseil et de prise en charge des intérets de nos clients (p. ex. les sites web et le conseil en ligne).
Les nouvelles demandes de droit imposent de développer de nouvelles offres de droit fondées sur la sécurité juridique et la confiance que les avocats apportent aux particuliers et aux acteurs économiques. Cela passe, dans le domaine de l’acces au droit, par le développement d’offres numériques en matiere de conseil et de contentieux. Le recours a l’acte d’avocat et a sa version électronique va continuer a se développer. Nous allons intensifier le recours aux modes alternatifs de reglement des différends (p. ex. la procédure participative de négociation assistée par avocat). Naturellement, l’avocat sera encore plus présent aupres et au sein des entreprises pour lesquelles le droit n’est pas une variable d’ajustement, mais un élément déterminant de leur stratégie et de la sécurisation de leurs activités.
Les conditions d’exercice de notre profession doivent également évoluer. Nous devons etre capables de concevoir la déconnexion de nos activités de la localisation des juridictions notamment grâce a la dématérialisation de nos relations avec les juridictions sur laquelle nous sommes leader en Europe. Au-dela, il faut réfléchir au capital de nos structures d’exercice dans la perspective de leur développement. Enfin, pour offrir les services les plus larges et répondre aux besoins de conseil toujours plus nombreux des clients, nous sommes engagés depuis plusieurs années dans le développement des différentes formes d’interprofessionnalité avec les autres professions du droit ou du chiffre.
Comment les avocats se positionnent-ils par rapport aux collectivités locales ?
La multiplication des transferts de compétences vers les collectivités locales et le développement des structures intercommunales engagent de plus en plus la responsabilité personnelle des élus locaux. Ils sont aussi confrontés a des questions toujours plus nombreuses en droit de l’environnement et de l’urbanisme. Afin de sécuriser juridiquement leurs décisions, le recours aux conseils et a l’assistance d’avocats spécialisés en droit public est primordial, voire indispensable, pour tous les élus locaux. Les avocats ont déja largement démontré leur compétence dans ces domaines du droit.
On a coutume d’entendre qu’il y a autant de modes d’exercice de cette profession que de professionnels eux-memes. Comment et pourquoi les représenter tous ?
La diversité des champs et des modes d’exercice des avocats est une chance pour nos clients. Cette diversité ne pose pas de difficulté dans la représentation et la promotion des intérets de la profession. Nous dialoguons avec l’ensemble des pouvoirs publics : le ministere de la justice, qui n’est pas un ministere de tutelle, Bercy, le Parlement. Sans oublier les autorités administratives indépendantes. Nous intervenons dans l’intéret du droit, de la justice et des citoyens. Cet intéret est d’autant mieux servi que la profession d’avocat est forte, et que son indépendance et son statut d’auxiliaire de justice sont respectés. Notre travail sur le projet de loi relatif a la croissance et a l’activité traduit parfaitement ces impératifs. Dans le cadre des négociations et du travail commun avec le cabinet d ’ Emmanuel Macron, le CNB a notamment démontré que ce texte remettait en cause de maniere inacceptable le maillage territorial assuré par les avocats, qui permet a chaque personne, ou qu’elle se trouve, d’etre conseillée, assistée et défendue par un avocat. A cet égard, l’Etat a des obligations pour assurer a tous les citoyens un égal acces au droit. Et il compte sur les avocats pour favoriser cet acces au droit. Si nous n’entendons pas renoncer a cette mission de service public, nous disons clairement a l’Etat qu’il doit assumer ses responsabilités, cesser de se désengager, et rechercher des sources de financement pour l’aide juridictionnelle, meme si cela pese sur les finances publiques. C’est son obligation constitutionnelle et l’Europe l’y contraindra tres bientôt.
Comment la profession s’inscritelle dans la « Justice du XXIeme siecle » ?
Le projet « justice du XXIeme siecle » est porté depuis deux ans par le ministere de la justice. Il devrait etre traduit dans un projet de loi dans les semaines qui viennent. Il a notamment pour objectif de recentrer le juge sur ses missions fondamentales. Dans cette perspective, les avocats ont un rôle essentiel a jouer.
En premier lieu, dans le cadre des modes amiables de résolution des différends, l’avocat est le seul professionnel du contradictoire, garant a la fois de la qualité, de l’efficacité et de la sécurité des solutions négociées. Son intervention dans la phase précontentieuse se justifie aussi dans l’intéret de l’institution judiciaire puisqu’il contribue a une meilleure préparation et orientation des dossiers. Ces modes amiables, telle la procédure participative de négociation assistée par un avocat, peuvent etre utilisés aussi bien en matiere civile, commerciale, sociale ou administrative. En second lieu, la profession d’avocat s’est dotée d’un outil majeur : l’acte d’avocat. Il a pour fonction premiere de servir les intérets du public. Cet acte est signé par les parties et contresigné par l’avocat, ce qui lui confere une indéniable sécurité juridique. En contresignant l’acte qu’il a rédigé, l’avocat atteste en effet que le consentement des parties a été éclairé et qu’elles sont pleinement informées des effets et conséquences de l’acte. Il est aujourd’hui essentiel de conférer a l’acte d’avocat, dont la version électronique sera lancée le 19 mai prochain, date certaine et force exécutoire.
Cependant, ces processus ne peuvent conduire a l’évitement du juge dont le rôle demeure irremplaçable dans un Etat de droit.
La profession d’Avocat est-elle « armée » face au défi des nouvelles technologies ?
La profession d’avocat est depuis longtemps mobilisée sur le terrain de la dématérialisation et de la communication électronique. Elle a su créer et développer un outil fiable avec le Réseau Privé Virtuel des Avocats (RPVA) pour la mise en oeuvre des relations dématérialisées avec les juridictions judiciaires, administratives et commerciales. Le CNB propose ainsi par le biais du RPVA et de sa plateforme e-Barreau la saisine directe des juridictions par les avocats pour toutes les procédures en matiere civile, commerciale et administrative.
L’acte contresigné par avocat doit également etre dématérialisé pour se développer. Enfin, le CNB s’engage de maniere déterminée sur d’autres projets d’avenir tel que le développement de plateformes démadématérialisées de conseil juridique fourni par des avocats. Ces plateformes fonctionneront sous le contrôle de la profession afin d’assurer le respect des regles déontologiques tout en garantissant la sécurité juridique aux justiciables.
Le projet de loi « renseignement » est-il nécessaire ou liberticide ?
Apres les intolérables attentats qui ont eu lieu en début d’année a Paris, l’Etat souhaite se doter de moyens, notamment préventifs, destinés a mieux assurer la sécurité de nos concitoyens. Cela est légitime, mais pas aux dépens des libertés, et pas de maniere disproportionnée.
Nous ne pouvons pas accepter les risques particulierement graves que ce texte fait peser sur les libertés individuelles par les moyens tres intrusifs pour la vie privée mis entre les mains de l’administration, sans que soit organisé un contrôle sérieux et effectif par le juge, notamment judiciaire. En tant que premiers défenseurs des libertés, les avocats ne peuvent pas non plus accepter l’organisation délibérée par l’Etat de la violation de leur secret professionnel qui est une garantie fondamentale due a chaque citoyen faisant appel a eux. Toute intrusion dans l’exercice professionnel de l’avocat et toute violation du secret professionnel qui le lie sont des atteintes aux libertés publiques, a notre démocratie et a la confiance que nous devons chacun avoir en notre justice. Les avocats, et c’est l’essence meme de leur mission dans notre Etat de droit, assistent tant les victimes que les auteurs d’attentats. En l’état du texte, le projet de loi sur le renseignement les empechera de continuer a remplir normalement cette mission. Et cela n’est pas de nature a renforcer le rôle de la justice et la protection des libertés.