Celui-ci lui proposa la mise en place d’un Fonds des Invalides de la Marine, afin d’attirer les meilleurs marins et les dissuader de devenir corsaires. C’est ainsi qu’est né entre 1673 et 1681, le premier régime de retraite français. Il perdure depuis et fait partie de la liste des régimes de retraite susceptibles d’être intégrés dans le futur système universel promis par Emmanuel Macron durant sa campagne présidentielle.
Près de trois siècles ont été nécessaires à la France pour bâtir un système complet de retraite. Ce dernier est donc le produit d’une histoire politique, économique et sociale. Réformer un tel système, c’est toucher par nature au pacte social du pays. La retraite concerne plus de 29 millions d’actifs et 17 millions de retraités. Le système de retraite a socialisé l’obligation civile que les enfants ont vis-à-vis de leurs parents devenus vieux. En étant par répartition, il repose sur le concept de solidarité intergénérationnel. Cette exigence de fournir un revenu décent aux vieux travailleurs est constitutionnellement reconnue à travers le préambule de la Constitution.
Un système qui a réussi
Si la marche vers la couverture générale de la population fut longue, force est de constater qu’elle a été victorieuse. Le taux de pauvreté des retraités en France aujourd’hui, un des plus faibles d’Europe. Il est de 8 % soit nettement inférieur à celui de la moyenne de la population (14 %). Le nombre de personnes âgées bénéficiaires du minimum vieillesse est passé de 2 millions au début des années 1970 à moins de 600 000 en 2016 quand dans le même temps le nombre de retraités s’est accru de plus de 10 millions (plus de 16 millions de retraités en 2017 contre 3 millions en 1970). Le niveau de vie des retraités est aujourd’hui supérieur de plus de 3 % à celui de l’ensemble de la population.
L’équité et l’égalité comme clefs de voute du futur régime universel
Malgré tout, le ressenti est tout autre. Une très grande majorité de Français considère que le système de retraite ne garantit pas un niveau de vie correcte et qu’il est à la fois injuste et inéquitable (enquête 2018 du Cercle de l’Épargne). Ce jugement explique la popularité du slogan du Président de la République « un euro cotisé doit donner les mêmes droits de pension pour tous ». Ce dernier répond parfaitement à la soif d’égalité, d’équité qui transcende la société française. Le système de retraite français constitué de 42 régimes de base et d’une centaine de régimes complémentaires est, par nature, complexe et peu transparent. Il est une source de confusion, de frustration et d’incompréhension. Tout assuré, tout retraité, à tort ou à raison, estime que tel ou tel régime est plus généreux que le sien. La mobilité croissante des actifs qui passent fréquemment d’un statut à un autre a également été mis en avant par le Président de la République pour s’engager dans la première réforme systémique des retraites. Par ailleurs, l’adoption d’un système de pilotage simplifié permettant d’ajuster plus finement et plus rapidement les dépenses aux ressources constitue la première motivation des pouvoirs publics. En effet, d’ici 2060, le nombre de retraités devrait s’établir à 25 millions, soit dix millions de plus que maintenant, quand l’espérance de vie à la retraite devrait poursuivre sa marche en avant. À défaut de retrouver une croissance de plus de 2 % par an et le plein emploi dans les meilleurs délais, l’équation financière sera à moyen terme complexe.
Depuis quelques semaines, le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye égraine les grandes lignes du futur régime universel. Quelques balises ont été ainsi fixées mais beaucoup d’interrogations demeurent.
Le système choisi serait à points, système déjà en vigueur pour les régimes complémentaires AGIRC/ARRCO ou pour les professions libérales. Les actifs accumulent des points durant toute leur vie professionnelle qui seront liquidés au moment de la cessation d’activité. Ces points ont deux valeurs, à l’achat et au moment de la liquidation (valeur de rachat). En jouant sur ces deux montants, les pouvoirs publics pourront évidemment rééquilibrer le nouveau régime. Un débat existe sur les mécanismes d’indexation. Les points et les pensions doivent-ils suivre le salaire moyen comme avant 1993 ou l’inflation qui est devenue la règle depuis, avec quelques exceptions ? Il est admis que l’indexation sur les prix génère, sur longue période, une dégradation du niveau de vie des retraités. Si l’option des salaires apparaît évidemment souhaitable, la question de son financement se pose.
L’épineuse question de la transition et du basculement
Le Gouvernement devra fixer les règles de transition d’un système à un autre. Il est admis que la réforme entrera en vigueur en 2024 ou 2025 et qu’elle ne s’appliquera que pour les générations nées après 1963 ou 1964, sachant que pour les personnes déjà à la retraite, il n’y aura pas de changement.
Une période transitoire sera instituée pour passer d’un système à un autre. La grande majorité des pays européens qui ont, ces dernières années, mené des réformes systémiques ont prévu des dispositifs de transition. En 1998, la Suède, pour la mise en place des « comptes notionnels », a prévu une période transitoire de 17 années. L’Italie avait, en 1995, décidé de réaliser sa grande réforme des retraités sur 40 ans. En Allemagne, le passage d’un régime par annuités à un régime par points en 1992, a, en revanche, été instantané, avec une conversion d’emblée des droits anciens.
Pour les actifs concernés et ayant commencé sous l’ancien système, il faudra effectuer un transfert des droits potentiels accumulés. Plusieurs solutions sont envisageables En fonction de la méthode choisie, il y aura des gagnants et des perdants.
L’intégration de modules de solidarité
Notre système actuel de retraite comporte un grand nombre de dispositifs à finalité sociale. Les congés maternité, les arrêts de travail pour maladie, le chômage, le handicap, le décès du conjoint sont autant de facteurs pris en compte. Par ailleurs, au nom de la solidarité, le taux de remplacement des actifs les plus modestes est nettement supérieur à celui des plus aisés. Ainsi, un salarié au SMIC peut espérer un taux de remplacement de sa pension par rapport à son dernier salaire d’environ 78 % quand ce taux est, en moyenne, de 57 % pour un cadre. Dans le nouveau régime, il faudra introduire des mécanismes de solidarité. Devront-ils être financés par les assurés au risque de remettre en cause le slogan présidentiel précité ou devront-ils être financés par l’impôt ? Il faudra harmoniser les règles parfois très différentes de certains de ces mécanismes dont celui très sensible de la réversion.
L’intégration de la fonction publique, la mère des batailles
Le problème de l’intégration des régimes de la fonction publique et des régimes spéciaux sera évidemment au cœur des négociations. Il est admis que les fonctionnaires cotiseront sur leur traitement, primes comprises mais cette extension de l’assiette suffira-t-elle pour ceux qui justement ont peu de primes ? Par ailleurs, l’État n’est-il pas en train de réaliser un transfert de charges sur le secteur privé en transférant ses retraités vers le futur régime universel de retraite ? En effet, le Haut-Commissaire à la Réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye a indiqué que le taux de cotisation des employeurs publics et privés serait de 28 %. Or, aujourd’hui, le taux virtuel de cotisation de l’État pour les pensions de ses fonctionnaires est de plus de 73 %. Avec le nouveau régime, ce sont donc les cotisations du privé qui remplaceront les impôts du contribuable national. Si une baisse des prélèvements de l’État est organisée ou si le montant du déficit est diminué d’autant, ce jeu de bonneteau serait à somme nulle. En revanche, si ce transfert s’accompagnait du maintien du niveau de dépenses pour l’État, il y aurait une perte nette pour les entreprises et pour les contribuables.
À qui appartiennent les réserves ?
L’éventuelle constitution du régime universel pose la question de la dévolution des réserves accumulées par les différentes caisses de retraite. Appartiennent-elles aux assurés, aux caisses ? Sont-elles susceptibles d’être transférées au futur régime universel ? L’État aimerait bien les préempter pour mettre de l’huile dans les rouages de sa future réforme mais, ces réserves évaluées à 118 milliards d’euros pourraient servir à mettre en place un étage de retraite professionnelle par capitalisation ce qui nous rapprocherait de la situation qui existe chez nos partenaires européens.
L’âge légal de départ sera-t-il toujours fixé à 62 ans ?
Le Président de la République est tenté d’abandonner le concept de durée de cotisation et a affirmé sa volonté de maintenir l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans. Or, de nombreux départs à 62 ans pourraient aboutir à remettre en cause l’équilibre du futur régime universel ou à une diminution du montant des pensions. De ce fait, depuis des mois, des idées apparaissent afin d’inciter au report de la liquidation des droits. La France fait exception avec un âge de départ fixé à 62 ans. La simplicité voudrait qu’il soit reporté à 65 ans avec le développement de mécanismes de solidarité permettant un départ anticipé pour ceux ayant travaillé tôt ou ayant été confrontés à une des activités pénibles.
Qui gouvernera le nouveau paquebot des retraites ?
Le système de retraite est dirigé par les partenaires sociaux même si pour le niveau de base, l’étatisation est la règle depuis 1995. En revanche, les régimes AGIRC-ARRCO restent gérés de manière paritaire. La création du régime universel s’accompagnera-t-elle du maintien d’un minimum de paritarisme ? Comment gérer un système unique avec des actifs relevant de statuts différents ? Qui sera compétent pour fixer les règles d’indexation des pensions ainsi que la valeur d’achat et de rachat des points ? L’État, le Parlement, la direction du régime unique, les partenaires sociaux ? Par ailleurs que deviendront les personnels en charge du système de retraite actuel, les salariés des différentes caisses, des institutions de prévoyance en charge des complémentaires ? La mise en place d’une administration centralisée de la retraite est-elle synonyme d’efficience et de transparence ?
Le changement de mode de calcul des pensions ne résout en rien le problème de leur financement. Il peut permettre la réalisation d’économies de gestion, un milliard d’euros au mieux sur les 320 milliards dépensés chaque année pour la retraite. En outre, rien ne garantit que la mise en place d’un grand système géré par la Caisse des dépôts, Bercy ou les Affaires sociales ne s’accompagne pas de quelques lourdeurs administratives. La question clef sera de déterminer quel rôle sera dévolu au nouveau système de retraite : fournir un niveau minimal de couverture à la britannique ou à l’américaine à charge pour les assurés de se constituer individuellement ou collectivement des compléments ou fournira-t-il une couverture large de nature assurantielle ? Il se pourrait que la France privilégie de rester au milieu du gué. ■