Les ambitions
Elles sont claires et relativement consensuelles : atteindre la « neutralité carbone » à l’horizon 2050 donc sortir progressivement des énergies fossiles et viser un mix énergétique qui ne serait constitué à terme que d’électricité « décarbonée » (nucléaire et renouvelables) et de biomasse (bois, biogaz, biocarburants). L’efficacité énergétique mais aussi la sobriété et l’économie circulaire seront les atouts de cette transition mais cela suppose de revoir les « process » de production autant que les comportements des usagers. Il faut en même temps garantir que ces choix ne compromettront pas la compétitivité des entreprises françaises et seront supportables par les ménages, notamment les plus précaires.
Les trajectoires
La PPE porte sur des périodes de 5 années (avec des objectifs intermédiaires à 2023 et 2028) ; il faut baliser la route et la cible est de réduire fortement la consommation finale d’énergie (-20 % à l’horizon 2030 et -50 % à l’horizon 2050, ce qui est très ambitieux), de réduire la consommation de produits pétroliers (-35 % d’ici 2030), et de sortir progressivement du charbon. Aucune nouvelle centrale à gaz naturel ne sera plus construite et le mix électrique reposera de plus en plus sur les énergies renouvelables dont la part devrait atteindre 40 % à l’horizon 2030 (contre 19 % actuellement) ; quant au nucléaire, sa part baissera à 50 % à l’horizon 2035 contre près de 72 % en 2018, ce qui imposera de fermer de 12 à 14 réacteurs sur les 58 actuellement en fonctionnement. Cela va s’accompagner de gros efforts d’isolation dans les bâtiments et nécessiter de revoir en profondeur la demande de mobilité. Les produits pétroliers (essence, gasoil, fioul) représentent encore près de 45 % de l’énergie finale consommée en France aujourd’hui, les transports étant à eux seuls responsables de 28 % des émissions de gaz à effet de serre. Il faudra donc faire appel de façon croissante à des véhicules électriques ou hybrides, à des automobiles fonctionnant avec de l’hydrogène (obtenue par électrolyse de l’eau et non plus comme c’est le cas aujourd’hui à partir de combustibles fossiles) ou à des véhicules fonctionnant au biogaz ou utilisant des biocarburants. La priorité devra dans ce domaine être donnée aux transports collectifs. Les réseaux électriques seront au cœur de la transition, puisqu’il faudra à la fois récupérer l’électricité renouvelable décentralisée et densifier l’installation de bornes de recharge pour les véhicules électriques.
Les coûts
Il faut identifier et évaluer tous les coûts associés à ces mutations, tant chez les producteurs que chez les utilisateurs d’énergie. Il y a bien sûr les coûts directs liés aux nouveaux investissements dans le secteur des renouvelables, dans celui de l’isolation des bâtiments ou dans la conversion du parc automobile. Il faut aussi intégrer les coûts « externes » liés aux émissions de gaz à effet de serre, ce qui requiert de mener des analyses du cycle de vie (ACV) des produits fabriqués sur le sol national ou importés (cellules photovoltaïques ou batteries importées de Chine par exemple). Il ne faut pas sous-estimer le « coût de régression » technique et social associé à la fermeture ou à la reconversion de certaines activités (impact sur l’emploi, les revenus privés et les recettes publiques suite à la fermeture de sites industriels tels que les raffineries de pétrole dans les ports français, certaines stations-service, les entreprises de distribution de fioul domestique etc.). L’Etat lui-même et les collectivités territoriales ne pourront plus compter à terme sur les revenus issus de la TICPE ou la TICGN. Il faudra tenir compte des « coûts échoués » supportés par les agents dont le patrimoine a perdu de la valeur suite à ces mutations et des coûts de déconstruction liés aux installations déclassées. Bien évidemment cette reconversion industrielle va aussi générer de nouvelles activités et de nouveaux revenus puisque les coûts supportés par certains sont des recettes pour d’autres, au même titre que les aides dont bénéficient certains agents constituent des coûts pour d’autres (ceux qui les financent). Au fond ce sont ces effets redistributifs entre perdants et gagnants qu’il importe de bien identifier. Il en va de même des « coûts évités » (importations de combustibles fossiles évitées, émissions de CO2 évitées) générés par les nouvelles activités.
Les instruments
En principe la règle de financement est simple en économie de marché : c’est le consommateur final qui paie et le prix du marché doit couvrir le coût complet de mise à disposition du produit (externalités comprises). C’est le principe dit de la « vérité des prix ». En pratique c’est plus compliqué car beaucoup d’externalités ne sont pas comptabilisées et c’est in fine la collectivité (le contribuable) qui en supporte la charge. Normalement le contribuable ne devrait être sollicité que pour financer les missions de service public liées à la solidarité intra-générationnelle (lutte contre la précarité énergétique par exemple) ou intergénérationnelle (financement de la R&D qui permettra aux générations futures de ne pas supporter certains coûts induits par les comportements de la génération présente). Les marchés sont dits « incomplets » en ce sens que certaines décisions prises aujourd’hui peuvent enfermer nos descendants dans des choix qu’ils ne souhaiteront pas et pour lesquels ils ne peuvent pas s’exprimer dans le débat actuel.
Pour atteindre les objectifs annoncés, la puissance publique peut imposer des normes (normes d’isolation ou de rejet de polluants par exemple), recourir à l’impôt (taxer les activités polluantes, en commençant d’ailleurs par supprimer les aides accordées à ces activités du fait d’un grand nombre d’exemptions qui constituent autant de niches fiscales), accorder des aides à la recherche ou des aides directes à la reconversion (cas des primes à la conversion des véhicules) ou à la promotion de certaines activités (biocarburants). Le système des certificats d’économie d’énergie et celui du « tiers financement » sont des instruments efficaces pour inciter aux reconversions. La taxe carbone est un excellent signal mais il faut l’accompagner de mesures sociales compensatrices en faveur des plus démunis. C’est le principe du « bonus-malus » qui consiste à taxer les uns (les moins vertueux ou les plus aisés) pour aider les autres (les vertueux ou les plus modestes) grâce au produit de la taxe. Les collectivités territoriales auront de plus en plus la main sur de telles aides dans la mesure où beaucoup d’investissements se feront à l’échelle d’une commune (mobilité) ou d’une région (production d’électricité renouvelable). Le recours à l’emprunt est possible mais seulement pour financer des infrastructures dont bénéficieront aussi les générations futures, pas pour financer des dépenses courantes. L’important est d’éviter autant que faire se peut les « effets d’aubaine », les rentes indues et même les « effets rebond » (constatés avec l’efficacité énergétique dans ce dernier cas).
Les énergies renouvelables (éolien et solaire) ont quasiment atteint la parité réseau et il n’est donc plus nécessaire de les aider massivement. Le surcoût des contrats signés est élevé et devrait encore s’accroître mécaniquement dans les prochaines années comme le souligne la Cour des comptes dans un rapport de 2018. Il faut donc supprimer les « feed-in tariffs » et même les « feed-in premiums », ne recourir qu’aux appels d’offres en y associant parfois un système de « contrats pour différence ». Il faut en revanche aider l’industrie française à développer une offre nationale de batteries si l’on veut sauvegarder l’industrie automobile et permettre le stockage à grande échelle de l’électricité intermittente. Le réseau électrique va devoir intégrer de plus en plus de flexibilité du fait du développement d’une électricité dite « non pilotable » soumise aux aléas climatiques (solaire et éolien). Cette flexibilité se fera de trois façons principales : par modulation des centrales dites « pilotables » (nucléaire et thermique), par effacement de la demande et par stockage et déstockage de l’électricité (via les batteries ou le « power-to-gas »).
Il faudra aussi revoir la tarification d’accès aux réseaux d’électricité du fait d’un développement croissant de l’autoconsommation d’électricité solaire. Il faut que le tarif ATR porte davantage sur la puissance souscrite que sur le volume d’électricité soutirée car sinon cela va générer des « subventions croisées » entre consommateurs, les pauvres payant pour les riches. L’auto-consommateur qui demeure connecté au réseau et paie aujourd’hui l’accès à ce réseau (TURPE) au prorata de la quantité de kWh soutirée, ne participe pas suffisamment au financement du réseau et la charge est dès lors reportée sur ceux qui n’ont pas les moyens d’investir dans des équipements solaires (les classes modestes généralement). Le tarif doit donc intégrer une part fixe plus élevée si l’on veut éviter « la spirale de la mort » qui conduirait à ce qu’un petit nombre d’usagers, les plus modestes au demeurant, finance l’essentiel du réseau.
La transition énergétique vers un mix « bas carbone » va, comme toute « révolution industrielle », entraîner un processus de destruction-création d’emplois au sens de Schumpeter et de ce fait faire apparaître des gagnants et des perdants. Il faut anticiper tous les coûts et avantages liés à ces mutations et s’assurer que la charge du financement sera répartie sans accroître les inégalités. C’est le rôle de l’Etat de bien séparer ce qui relève du prix de ce qui relève de l’impôt ou de la taxe. C’est aussi à lui de mettre en œuvre des mécanismes de compensation au profit des plus démunis et des « laissés pour compte » des reconversions. ■