C’est aussi l’occasion pour le Gouvernement, comme il en a hélas pris la très mauvaise habitude, de multiplier le recours aux ordonnances – pas moins de quatre habilitations en huit articles – sans que cela paraisse toujours justifié, et sur des sujets souvent majeurs : la mise en œuvre des quatre directives et trois règlements du « paquet d’hiver » qui encadrent la politique énergétique des États membres pour les années à venir, l’accompagnement social, dont on ignore les modalités concrètes, de la fermeture des centrales au charbon, ou encore le pouvoir donné à la Commission de régulation de l’énergie (CRE) de transiger pour solder un contentieux de masse sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE), dont le coût pour les finances publiques sera forcément élevé.
Pour le reste, le projet de loi entérine la création d’un Haut Conseil pour le climat déjà installé par le Président de la République et qui devra faire la preuve de son utilité, surtout lorsque le Gouvernement indique, dans le même temps, vouloir supprimer des organismes inutiles pour financer les baisses d’impôts...
Il est aussi question de clarifier les règles en matière d’évaluation environnementale des projets et de modifier, à la marge, deux dispositifs qui appelleraient des réformes bien plus importantes. Ainsi, plusieurs mesures, pourtant écartées par le Conseil d’État pour leur manque de clarté et de précision, sont proposées pour lutter contre la fraude aux certificats d’économies d’énergie (CEE) : c’est certes un vrai sujet mais qui supposerait une véritable remise à plat du dispositif, avec un rôle accru du Parlement pour en contrôler l’efficacité, voire en approuver les volumes. Est-il en effet normal que l’équivalent de plus de 9 milliards d’euros de taxes (sur la période 2018-2020), directement répercutées sur la facture des consommateurs, échappe au contrôle du Parlement, comme la CSPE lui échappait avant une budgétisation qui reste largement insatisfaisante ?
De même, le texte prévoit, à ce stade, d’ajuster une des modalités de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) en cas d’atteinte du plafond fixé par la loi. Or, si les solutions proposées pour sa réforme divergent largement – entre les fournisseurs alternatifs, partisans d’un relèvement du plafond et l’opérateur historique, favorable à sa suppression –, il semble désormais clair que l’Arenh, sous sa forme actuelle, a atteint ses limites, tant du point de vue des revenus d’EDF que de la structuration du marché et des prix de l’électricité, et qu’une réflexion sur la refonte globale du mécanisme ne pourra plus être repoussée bien longtemps. Mais encore faudrait-il que cette réflexion n’intervienne pas en cours d’examen, au détour d’un amendement et sans l’étude d’impact qu’une telle réforme exigerait, autre habitude gouvernementale délétère pour la qualité de la loi.
Au-delà du nucléaire, dont on pourra toujours regretter qu’il ait fallu quatre ans pour reconnaître la justesse des positions du Sénat, deux autres objectifs de la politique énergétique sont révisés, à la hausse : l’un pour porter de 30 % à 40 % la baisse ciblée de la consommation des énergies fossiles – dont on nous dit qu’on y parviendra avec les mesures déjà prévues… – et l’autre pour passer, en matière de baisse des émissions de gaz à effet de serre, du « facteur 4 » (division par quatre) au « facteur 6 ou plus » et à la « neutralité carbone » en 2050, mais sans que l’on sache précisément comment nous les atteindrons : faudra-t-il durcir les réglementations applicables aux bâtiments, aux transports, etc. ? Quant à l’objectif intermédiaire de baisse des consommations énergétiques en 2030, finalement maintenu à 20 % alors que la trajectoire actuelle ne nous permettra pas de l’atteindre, il impliquera, selon le Gouvernement, des « mesures complémentaires » dont on ne sait rien aujourd’hui : l’« opération vérité » revendiquée sur le nucléaire, en réalité dictée par les faits et bien partielle puisque laissant la question du renouvellement du parc en suspens, atteint rapidement ses limites…
Autant de grandes questions auxquelles cette « petite loi » ne répond pas, et pour cause puisque l’essentiel est ailleurs. Car l’essentiel, c’est bien la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), dont on regrettera à nouveau qu’elle s’opère par simple décret et exclut très largement le législateur. À cet égard, le projet de loi alimente une impression bien trompeuse : celle que le Parlement fixerait le cap quand, en réalité, il ne lui est demandé que de le corriger à la marge – y compris, dans un renversement bien étrange de la hiérarchie des normes, pour mettre la loi en conformité avec un décret, sur la date retenue pour atteindre les 50 % de nucléaire –, de déléguer son pouvoir de faire la loi sur nombre de sujets puis d’avaliser, en loi de finances, la tranche annuelle d’engagements pluriannuels décidés par le Gouvernement dans la PPE pour soutenir les énergies renouvelables sans que les contribuables, qui les financent sur leurs factures ou à la pompe, ne puissent véritablement en décider ni l’emploi ni le niveau, par le biais de leurs représentants. À quand donc une véritable loi de programmation pluriannuelle de l’énergie pour redonner toute sa place au Parlement ?
D’autant que les sujets de questionnement sur ce projet de PPE ne manquent pas et qu’on gagnerait certainement – ne serait-ce qu’en termes d’acceptabilité de la fiscalité écologique – à décider collectivement, et de façon transparente, du bon usage des deniers publics, plutôt qu’à renvoyer, par exemple, la fixation des volumes d’appels d’offres à un dialogue entre l’administration et les groupes d’intérêt, aussi respectables soient-ils. Chacun pourrait alors faire valoir ses arguments. Pour ma part, je pense par exemple qu’il faudrait rééquilibrer le soutien aux énergies renouvelables. Aujourd’hui centré sur des filières électriques matures – éolien terrestre et photovoltaïque, dont on nous explique par ailleurs qu’elles seraient désormais compétitives sans aides publiques ou presque, tout en continuant de les solliciter –, ce soutien pourrait bénéficier plus largement aux filières innovantes – telles que l’éolien flottant, où nous avons encore une carte industrielle à jouer –, mais aussi à la chaleur renouvelable et au biogaz. Hélas, le Gouvernement fait exactement l’inverse : manque d’ambition sur l’éolien flottant, hausse insuffisante du fonds chaleur et soutien au biogaz, conditionné à une baisse des coûts qui met en péril le décollage d’une filière pourtant indispensable à l’atteinte de nos objectifs climatiques comme à la diversification des revenus de nos agriculteurs, et sans réelle vision quant à l’équilibre à trouver pour préserver les terres agricoles et leur fonction alimentaire.
En outre, la question de la fiscalité énergétique et de son poids tant sur la compétitivité des entreprises que sur le pouvoir d’achat des ménages français et leur capacité à se déplacer, se chauffer et pouvoir vivre dans les territoires, y compris les plus enclavés, reste posée et les inquiétudes demeurent. Alors que le contexte de mobilisation des dernières semaines appelait une remise à plat de la trajectoire de la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE), temporairement gelée en décembre 2018, le Gouvernement tarde pour l’heure à donner des perspectives, quand les différentes annonces ministérielles ne se contredisent pas les unes avec les autres.
La politique énergétique est au cœur du développement économique de notre pays et elle intéresse l’ensemble de nos concitoyens et des territoires. Elle mérite autre chose qu’une « petite loi ». ■
*Rapporteur du projet de loi relatif à l’énergie et au climat