Que vous inspire le Projet de Loi Energie et Climat qui a été présenté au Conseil des ministres du 30 avril dernier ?
Je ne vous cache pas que nous avons été nombreux, députés de tous bords qui nous intéressons à ces sujets, à nous interroger sur ce que pouvait comporter un tel projet au vu d’une part de son épaisseur (18 pages et 8 articles) et d’autre part des enjeux formidables qui nous attendent en la matière.
Ensuite, il m’est apparu que nous devions inscrire ce texte dans un contexte beaucoup plus vaste et qui a à voir avec l’ensemble de la mutation de notre société en faveur de la transition énergétique. Autrement dit, ce n’est pas un seul texte de loi aussi ambitieux soit-il qui épuisera l’ensemble des questions liées à l’énergie depuis sa production jusqu’à sa consommation.
Qu’entendez-vous par un contexte beaucoup plus vaste ? Pouvez-vous préciser ?
Bien sûr ! Ce que je veux absolument souligner, en premier lieu, c’est que notre pays est déjà engagé dans la voie de la transformation énergétique et qu’une grande majorité de nos concitoyens ressentent comme nécessaire sinon impératif une forme de sobriété énergétique, comme nous y invite le climatologue Jean Jouzel.
Ensuite, cette nécessaire transition énergétique, elle se traduit d’abord par la priorité mise en avant concernant la baisse drastique et la fin des émissions de dioxyde de carbone. Par rapport aux années 1970 où l’accent était prioritairement mis sur les dangers du nucléaire, l’accent est aujourd’hui mis en priorité sur la fin des émissions de gaz à effet de serre, gaz qui ont un effet désastreux désormais avéré sur notre climat.
C’est au demeurant tout le sens des politiques publiques mises en place depuis une vingtaine d’années.
Justement, quelles sont ces politiques mises en place qui visent à réduire les émissions de dioxyde de carbone ?
C’est ce qui est fort justement et judicieusement rappelé dans l’exposé des motifs du projet de loi « Energie et Climat ». En quelques lignes, est énuméré tout ce que notre pays a déjà adopté comme train de mesures législatives, réglementaires nationales et européennes et comme accords internationaux pour aller dans le sens d’une préservation de notre climat lié à un changement total de paradigme quant à notre rapport aux principales sources d’énergies disponibles.
Dès 2000 la France s’est ainsi dotée d’objectifs et de plans stratégiques pour réduire les gaz à effet de serre. Le premier Plan national de lutte contre le changement climatique, il date de 2000 ! Depuis des majorités politiques diverses se sont succédées, il y a eu des accélérations dans la conduite de ces politiques et des périodes où d’autres enjeux ont pris le pas mais le même objectif de décarbonation a été, in fine, partagé par les principaux acteurs politiques. Aujourd’hui, la parole de ceux qu’on appelait les « climatosceptiques » ne trouve plus d’écho et n’est plus relayée et une immense majorité de nos hommes et femmes politiques et de nos concitoyens est désormais consciente de la priorité que représente en matière de santé publique, de préservation de notre environnement et de nos écosystèmes la lutte contre le réchauffement climatique.
En 2015, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) a ainsi fixé l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et de les diviser par 4 en 2050.
Vous pensez que cela est suffisant comme objectif ?
Compte tenu de l’urgence en la matière il faut aller plus loin et c’est ce qui est d’ailleurs écrit, noir sur blanc, à l’alinéa 1 de l’article 1er de la loi Energie et Climat : « atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050 ».
Vous voyez que non seulement il y a continuité depuis 18 ans, continuité depuis 2015, année de la LTECV mais également des Accords de Paris où la France a montré son leadership en matière de lutte contre le réchauffement climatique, mais encore accélération avec une volonté encore plus marquée de réduire les gaz à effet de serre.
Mais vous ne craignez pas qu’à vouloir augmenter trop la réduction de gaz à effet de serre, on risque de voir une part de nos concitoyens décrocher.
C’est faux. Ce que je veux dire c’est que c’est un argument brandi régulièrement par des démagogues. En vérité, à partir du moment où vous faites de la pédagogie et de l’accompagnement et pas de la culpabilisation et de la répression, nos concitoyens qui sont intelligents et mieux informés qu’on ne le croit peuvent adhérer à ces objectifs, ce qui est fondamental.
Et puis, naturellement et très concrètement, il faut aussi un accompagnement financier surtout à l’égard des plus modestes qui sont souvent très pénalisés. Ils sont pénalisés parce qu’ils ont souvent moins accès aux transports en commun, qu’ils sont plus dépendants de leur véhicule individuel pour se déplacer et qu’ils ne connaissent pas nécessairement toutes les aides auxquelles ils ont droit et qui leur permettraient d’éviter que leur logement soit mal isolé.
Cela expliquerait selon vous le mouvement des Gilets Jaunes ?
Je ne sais pas si cela explique entièrement ce mouvement mais je note qu’il a commencé au moment où a été annoncée une hausse de la taxe sur le gasoil.
Vous savez, depuis un an, je suis rapporteur de la Mission d’information sur les Freins à la Transition Energétique (mission demandée par M. Duvergé et le Groupe Modem et apparentés à l’Assemblée nationale ndlr).
Depuis un an, toutes les semaines, nous auditionnons l’ensemble des acteurs qui sont impliqués dans le domaine de la transition énergétique. Sur chaque sujet (éolien terrestre, hydroélectricité, méthanisation, énergies marines etc.) nous réunissons des syndicats professionnels, des représentants des administrations centrales de l’Etat, des collectivités territoriales, des associations d’usagers et des associations environnementales.
Ces auditions sont passionnantes car on observe le formidable bond que le développement des énergies renouvelables ont connu en très peu d’années et la quantité d’acteurs qui sont mobilisés et investis dans ces domaines.
Cette effervescence nouvelle se fait parfois au détriment de la lisibilité des dispositifs existants et des techniques développées et commercialisées. Il faut désormais planifier davantage, ne pas tenir de discours ambivalent voire contradictoire et permettre à nos concitoyens d’avoir une vision claire de ce que sera leur consommation énergétique dans 10, 20 ou 30 ans.
Le projet de loi Energie et Climat s’inscrit-il dans cette planification nécessaire selon vous ?
Oui dans la mesure où il donne des objectifs et notamment des objectifs chiffrés et c’est donc un outil nécessaire. C’est un outil nécessaire mais pas suffisant…
Pas suffisant ?
Pas suffisant pour tout ce qui a trait à l’énergie. Dans le domaine il n’y a pas de « texte miracle » qui permettrait que dès le lendemain de son adoption on verrait baisser drastiquement le niveau de CO2 et le climat cesser de se réchauffer.
Ce texte est une feuille de route qui doit s’articuler avec les textes de loi existants ou à venir, avec la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), avec ce qui existe pour la Défense nationale, une véritable loi de programmation pluriannuelle dotée de moyens pérennes dédiés, avec des rapports parlementaires d’évaluation qui mesurent année après année l’impact de nos politiques publiques, avec des documents budgétaires qui mesurent de manière transversale le financement des politiques publiques en faveur de l’environnement et avec des études menées par le CESE qui peut demain devenir un acteur de premier plan dans ce domaine en faisant l’interface entre les acteurs publiques et les acteurs économiques et sociaux.
Voyez-vous d’autres mérites à ce texte de loi ?
Encore une fois, je me réjouis qu’il grave, pour ainsi dire dans le marbre, des objectifs ambitieux, qu’il institue le Haut Conseil pour le Climat dont on parle tant et qu’il se donne les moyens de lutter contre la fraude en matière de certificats d’économie d’énergie.
Ce texte - et je crois que c’est le souhait de ses rédacteurs - est une pierre, un nouveau jalon dans notre volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre. C’est déjà beaucoup.
Ce texte reporte la réduction de la production d’électricité à 50 % par l’énergie nucléaire de 2025 à 2035. Selon vous le nucléaire ne pose pas de problèmes ?
Je n’ai jamais dit cela et vous ne m’entendrez jamais dire que le nucléaire est la panacée. Je constate simplement qu’aujourd’hui l’urgence, pour le climat, c’est la baisse et la fin de l’émission de gaz à effet de serre.
Durant cette période transitoire, le nucléaire peut encore nous aider comme énergie d’appui. Si nous nous fixions des objectifs trop difficiles à atteindre, on risquerait de ne pas pouvoir les tenir. Mais soyez certains que, par ailleurs, je ne mésestime pas la dangerosité du nucléaire (l’accident de Fukushima nous l’a rappelé il y a 8 ans). Raison de plus pour démanteler les centrales obsolètes, sécuriser et rénover le parc existant et surtout être particulièrement vigilant pour tout ce qui est dévoiement de l’usage civil du nucléaire à des fins militaires. ■