Le mois dernier nous évoquions déjà dans nos colonnes, les réflexions du président de l’Assemblée Richard Ferrand autour d’une future réforme du règlement pour améliorer le travail parlementaire. Après plusieurs semaines de consultations avec les différents groupes parlementaires mais aussi les anciens présidents de l’Assemblée, le 30 avril dernier, le député du Finistère réunissait la presse dans la salle où se tient habituellement la conférence des présidents pour officialiser son projet de réforme du Règlement, « un texte ambitieux » nous assurait alors le président avec de réelles avancées en matière de droit de l’opposition poursuivait-il. Le texte discuté en Commission le 15 mai dernier puis en séance les 27 et 28 mai derniers avait pour ambition de « rénover la procédure législative pour rendre les discussions plus fluides et plus efficaces en séance publique et en commission », « renforcer les droits des groupes d’opposition et minoritaires ainsi que ceux des députés non-inscrits » et « mieux prendre en compte les initiatives citoyennes ». Le ton était détendu. La proposition de résolution semblait faire la quasi-unanimité. Richard Ferrand semblait même pouvoir espérer une adoption au-delà du groupe majoritaire LREM/MoDem. Mais c’était sans compter le débat sur la réforme du temps de parole qui a alerté et réveillé les oppositions.
Une densification du travail parlementaire
Pour Richard Ferrand cette réforme du Règlement était pourtant d’autant plus nécessaire que la « surcharge d’activité de l’ordre du jour » pesait sur le bon fonctionnement de l’institution. « Cette densification du travail parlementaire ne nous permet pas de légiférer dans des conditions satisfaisantes. Cette inflation constante n’a pas nécessairement contribué à la qualité des lois » insistait-il. Et le président de donner quelques chiffres : depuis juin 2017, les députés ont siégé plus de 2 406 heures, soit une augmentation de plus de 33 % par rapport à la législature précédente qui « avait déjà battu tous les records ». Quant au nombre d’amendements déposés, il n’a eu de cesse de croître. « Si l’on poursuit la tendance actuelle, indique Richard Ferrand, ils pourraient dépasser 136 000 à la fin de cette législature, soit une augmentation de 21 % par rapport à la précédente ». Pour remédier à cela, le texte présenté par le président de l’Assemblée veille à repréciser la recevabilité des amendements pour éviter entre autres les « cavaliers », ces amendements sans lien direct avec le texte discuté souvent censurés par le Conseil constitutionnel et qui font perdre du temps. Dans le même esprit, il sera désormais impossible de défendre des amendements identiques. L’opposition se servant souvent de cette possibilité comme le moyen d’argumenter plus profondément à raison de 2 minutes par orateur.
Le texte prévoit encore la mise en place d’une nouvelle procédure qui consiste à exercer le droit d’amendement uniquement en Commission « afin d’éviter les redondances entre l’examen en commission et en séance ». Cette procédure pourra être mise en œuvre pour tout ou partie de certains textes, sur décision de la Conférence des présidents. Mais en guise de compensation, « chaque groupe disposera d’un droit de veto pour s’opposer à sa mise en oeuvre ». Droit de veto qui « n’effraie nullement » le président Ferrand mais qui au contraire « installe un climat de confiance ».
Un temps de parole limité
La proposition visant à limiter le temps de parole durant la discussion générale qui précède l’examen des articles d’un texte à un seul député par groupe, et un député non-inscrit pour une durée de 5 minutes – la réforme prévoit la même mesure pour les interventions en séance publique sur les articles d’un texte de loi -, a provoqué la colère des oppositions qui se sont unies contre cette nouvelle règle de prise de parole en séance. Philippe Gosselin parlant au nom du groupe LR a dénoncé la vision « industrielle » de la fabrique de la loi portée par la majorité. Selon le député, la loi « est un produit artisanal, façonné lentement, poli, fini à la main (…), fruit d’un partage d’expériences, d’échanges donc d’un débat démocratique contradictoire, pas d’un moule d’où sortirait des produits à la chaîne ». Très applaudi, y compris sur les bancs de la gauche le député a asséné une dernière pique : « Vous n’avez en tête que la start-up nation (…), nous sommes à l’Assemblée nationale ou nous élaborons la loi ».
« Vous ne faites qu’une seul geste en direction du peuple, vous le bâillonnez » a lancé à la tribune la députée La France Insoumise Mathilde Panot avant de se couvrir la bouche d’un foulard bleu. Même Jean-Christophe Lagarde, président du groupe UDI Agir et Indépendants au départ plutôt bienveillant à l’égard de ce texte a eu le sentiment « d’avoir été floué alors que nous avons cherché à jouer le jeu ». Le député a toutefois pu se féliciter que sa proposition créant la possibilité pour les députés de déposer des contributions écrites annexées au compte rendu des débats et publiées au Journal officiel ait été adoptée. Interrogé sur le risque d’encombrement que pourrait créer ce « nouveau mode d’expression », le président Ferrand s’est montré prudent et a rappelé qu’on n’en était encore qu’au « principe » et que les modalités d’exercice de ce nouveau droit seraient précisées par une décision de la Conférence des présidents.
Dynamiser les QAG
Autres mesures visant à économiser du temps et à dynamiser l’ensemble de la discussion, celles concernant les séances de Questions au Gouvernement (QAG) qui passeront de deux séances aujourd’hui à une seule d’une durée de deux heures le mardi après-midi. A noter aussi que les séances de nuit seront raccourcies, minuit au lieu de 2 heures du matin. Il est également prévu de laisser à l’opposition 22 questions contre 8 à la majorité. Et « pour vivifier ce temps important de la vie parlementaire », il a été créé un droit de réplique et même de contre-réplique. « Je ne vous cache pas que ce sujet a surtout fait débat au sein de la majorité » nous a expliqué amusé Richard Ferrand lors de sa rencontre avec la presse avant de saluer « l’effort de la majorité ».
Au titre de leur « droit de tirage » annuel, les groupes d’opposition et minoritaires pourront désormais choisir la fonction de rapporteur, « une évolution majeure » assure le député du Finistère. Aujourd’hui c’est la majorité qui exerce cette responsabilité-clef presque systématiquement. Les non-inscrits ne sont pas en reste avec leur présence qui sera assurée au sein des commissions d’enquête, des missions d’information de la Conférence des présidents et des commissions spéciales. De plus, ils bénéficieront d’un temps de parole garanti dans les débats sur une déclaration du Gouvernement ou une motion de censure. Les présidents de groupe se voient octroyé la possibilité d’assister au Bureau de l’Assemblée nationale mais sans avoir pour autant le droit de voter. Le poste de premier vice-président sera réservé à l’opposition.
Demandé régulièrement par les députés soucieux d’être un peu moins pressés par el Gouvernement, il a été acté que ce dernier devra présenter au moins deux fois par session ordinaire un calendrier prévisionnel des projets de loi et des débats prévus.
Un droit de pétition
Droit qui date de la Révolution mais qui était tombé en désuétude depuis, le droit de pétition est remis à l’honneur et « rénové » par Richard Ferrand qui a toutefois tenu à préciser que les discussions à son sujet remontaient à novembre et n’étaient donc pas consécutives à la crise des « Gilets jaunes ». Dont acte. Les pétitions ayant recueilli plus de 100 000 signatures seront mises en ligne sur le site de l’Assemblée et seront discutées en Commission avec publication d’un rapport et celles qui auront obtenu plus de 500 000 signatures dans 30 départements différents auront droit à un débat en séance publique - « Une véritable fenêtre sur la société civile » voilà ce que devrait donc devenir ce droit de pétition tel que voulu par Richard Ferrand et comme il en existe dans certains parlements étrangers (britannique, allemand et européen notamment).
Enfin, le « réflexe déontologique » va être accentué avec l’obligation pour les députés de rendre public un intérêt « s’il apparaît en lien avec le sujet examiné par l’Assemblée et, d’autre part, d’avoir recours au déport, c’est-à-dire de ne pas participer aux travaux (vote ou débats) si le député s’estime potentiellement en situation de conflit d’intérêts ». La liste des cadeaux ou invitations reçus par les députés, en lien avec leur mandat, dépassant une valeur de 150 euros sera publiée comme cela se fait déjà au Sénat.
Adoptée par 347 voix pour et huit contre – l’opposition n’ayant pas participé au vote en signe de protestation, la réforme du règlement s’appliquera à la rentrée parlementaire prochaine après validation par le Conseil constitutionnel. Elle pourrait cependant connaître d’autres soubresauts avec le projet de réforme institutionnelle portée par Emmanuel Macron et dont forcément le règlement de l’Assemblée devra tenir compte. ■