La France compte 15 405 passages à niveau sur les lignes ouvertes à la circulation des trains. Les accidents aux passages à niveau sont la deuxième cause de tués sur le réseau ferré national. Chaque année, on déplore 30 à 40 morts sur ces passages, soit 1 % de la mortalité routière et un taux de 0,09 mort par million de train kilomètre. Ce taux est plus élevé que dans d’autres pays (Suisse : 0,001, Royaume-Uni : 0, 015) et il diminue moins vite que dans ces pays depuis 20 ans. Mais si ces accidents sont finalement assez rares, ils sont toujours très spectaculaires comme en témoignent les accidents tragiques d’Allinges en 2008 et de Millas en 2017, circonscription de la députée. A titre de comparaison, rappelons qu’une collision entre un train et une voiture est mortelle pour l’automobiliste quasiment une fois sur deux, quand 5 % des accidents de la route sont mortels.
10 à 20 % des passages à niveau sont considérés comme particulièrement accidentogènes
Depuis plusieurs années, la sécurité aux passages à niveau est pourtant considérée comme une priorité pour l’Etat, SNCF Réseau et les collectivités concernées. Si les plans de sécurisation des passages à niveau successifs (Plan Gayssot en 1998, plan Bussereau en 2008, plan Cuvillier en 2014) ont certes permis une plus grande identification des risques liés aux passages à niveau mais aussi de réaliser nombre d’aménagement voire même de supprimer les passages à niveau les plus dangereux, aujourd’hui cela ne suffit plus.
Au cours de sa mission, la rapporteure a en effet fait plusieurs autres constats montrant qu’il fallait agir sur d’autres leviers et explorer d’autres pistes notamment lorsqu’il s’agit d’identifier les passages à niveau dont la suppression ou l’équipement ont été jugés prioritaires et inscrits sur la liste du Plan de sécurisation national (PSN). Selon les statistiques, en moyenne sur la période 2016-2018, 11 % des accidents se sont produits à un passage à niveau figurant sur ce passage à niveau. Ce qui aux yeux de Laurence Gayte montre bien qu’on ne peut limiter l’attention des pouvoirs publics à ces seuls passages à niveau. La députée en mission estime encore que la suppression systématique par dénivellation des passages à niveau ne peut être un objectif, « le coût unitaire de chacune étant de l’ordre de 10 à 20 Me ». Surtout quand, ajoute-t-elle, des mesures complémentaires d’aménagement, d’alerte et de sensibilisation « ont un coût beaucoup plus faible et une efficacité de réduction de la dangerosité confirmée par des résultats constatés tant en France qu’à l’étranger ».
Pour des diagnostics réalisés par des experts formés
La mission constate ensuite que la cause des accidents sur les passages à niveau est « très majoritairement routière » et non ferroviaire : environ 98 % sont dus à un comportement inadapté d’un véhicule ou d’un piéton. Les dysfonctionnements d’équipements de sécurité (feux rouges clignotants et barrières) sont de moins en moins à l’origine des accidents (de 0,5 à 20 % selon les chiffres). Enfin, les diagnostics des passages à niveau n’ont pas tous été réalisés. Ils sont peu numérisés et souvent de qualités inégales car souvent réalisés par des agents non spécialistes de la sécurité des passages à niveau. « Il y a donc une méconnaissance de la dangerosité de beaucoup de passage à niveau » pointe la députée.
Forte de l’ensemble de ces constats, la mission a pu identifier cinq enjeux et fait une douzaine de préconisations. Pour Laurence Gayte, il s’agit d’abord d’améliorer l’identification et la prise en compte des risques grâce à une meilleure qualification des diagnostics rendus obligatoires. Ils devront être informatisés et mis-à-jour au fur-et-à-mesure du plan de sécurisation national. Ils devront aussi être réalisés par « des experts formés » insiste l’élue, « pour cela il faut maintenir les expertises locales sur les passages à niveau ». La députée souhaite également que soient intégrées la présence de voies ferrées et la dangerosité des passages à niveau dans les politiques d’aménagement et dans l’organisation des mobilités. Dans son esprit, cela veut dire « réduire autant que possible les franchissements de passage à niveau par des cars scolaires ou des bus réguliers ».
En matière d’amélioration de la fiabilité et de l’adaptabilité à la route et au piéton, la mission préconise l’installation d’une « boîte noire » sur les équipements de sécurité ferroviaire de base (feux et barrières) pour s’assurer de leur bon fonctionnement en cas d’accident. Elle souhaite aussi réévaluer voir allonger le cycle de fermeture feux et barrières quand il y a des traversées régulières de poids lourds, de piétons et de deux-roues, « qui devront pouvoir être faites en sécurité ».
Pour améliorer la prévention, l’une des préconisations est de réduire la vitesse de franchissement aux passages à niveau des véhicules, sans toutefois descendre en dessous des 30 km/h, « pour inciter et faciliter l’arrêt des véhicules lorsque le passage à niveau devient actif » propose-t-elle. Mais surtout, Laurence Gayte veut l’installation, sur les passages à niveau sensibles, « des radars de franchissement et de vitesse ». « Le Ministère de la Justice devra étudier la forfaitisation d’une contravention de cinquième classe (jusqu’à 1 500 e doublés en cas de récidive et avec une possibilité de suspension du permis ou de blocage du véhicule) en cas du franchissement d’un passage à niveau lorsque le feu clignote » détaille l’élue. Et le produit des amendes devra « être fléché au profit de la sécurité des passages à niveau ».
Faire participer tous les acteurs concernés au financement de la sécurité
L’organisation de la politique de sécurisation doit être également améliorée et cela passe, selon elle, par « une gouvernance départementale » qui pilotera « l’évaluation des diagnostics réalisée par le gestionnaire de voirie, coordonnée avec le gestionnaire d’infrastructure ferroviaire et associant les autorités chargées de l’aménagement et de l’urbanisme » ; mais aussi par la formalisation de la gouvernance nationale.
Enfin, nerf de guerre, le financement fait l’objet de préconisations particulières avec une réorientation des financements de l’Etat et de SNCF Réseau en priorité vers des aménagements plutôt que sur des dénivellations. « Des actions de quelques dizaines de milliers d’euros peuvent apporter une réelle amélioration de la sécurité » assure la députée. « De plus, ajoute-t-elle, le principe de la prise en charge par les collectivités locales de travaux de sécurisation et d’équipements de sécurité doit être posé quand des projets d’aménagements entraînent une croissance significative des trafics piétons ou routiers sur le passage à niveau ». « L’expérience des pays qui ont fait baisser drastiquement l’accidentologie aux passages à niveau montre qu’il faut des budgets suffisants et dédiés aux aménagements des passages à niveau » conclut Laurence Gayte.
Le 3 mai dernier, Elisabeth Borne, la Ministre chargée des Transports réunissait le comité de suivi de la sécurité ferroviaire, instance qui rassemble des acteurs concernés par cet enjeu : groupe public ferroviaire, collectivités locales, transporteurs, usagers, acteurs du secteur ferroviaire, organisations syndicales, associations de victimes.
Un plan d’action de 10 mesures
En s’appuyant sur le rapport de la députée, la Ministre a annoncé la mise en œuvre d’un plan d’actions de 10 mesures concrètes. Il répondra à 4 axes : Renforcer la connaissance des passages à niveau et du risque ; Accentuer la prévention et la sanction ; Amplifier la sécurisation des passages à niveau par des mesures d’aménagements ; Instaurer une gouvernance nationale et locale.
« Sans attendre la mise en œuvre de ce plan, le projet de loi d’orientation des mobilités intègre plusieurs dispositions nouvelles fortes : l’obligation de réalisation d’un diagnostic de chaque passage à niveau par le gestionnaire de voirie, en associant le gestionnaire ferroviaire ; l’obligation pour les éditeurs de GPS de fournir l’information à leurs usagers sur la localisation des passages à niveau, et l’obligation pour les gestionnaires d’infrastructure de fournir ces données ; l’obligation que les véhicules de transport collectif soient équipés d’un GPS signalant la position des passages à niveau » a rappelé Elisabeth Borne. « Ce plan s’appuie également sur l’augmentation de 40 % d’ici 2022 des crédits de l’État consacrés à la sécurisation des passages à niveau, prévue dans la programmation des investissements » a-t-elle ajouté. ■
Trois causes routières principales d’accidentologie aux passages à niveau :
• L’inattention : Cas d’un usager, conducteur ou piéton, qui ne comprend pas ou qui ne fait pas (ou plus) attention au fait qu’il arrive sur un carrefour dangereux, soit en raison d’une trop grande vitesse, soit en raison d’une mauvaise visibilité ou perception des équipements de sécurité.
• L’impossibilité de dégager assez vite : Cas d’un véhicule ou d’un poids lourd bloqué ou de la chute d’un piéton sur le passage à niveau.
• L’infraction caractérisée suite à un comportement inconscient : alors que les barrières se ferment, cas d’un véhicule qui accélère ou passe en chicane ou cas d’un piéton qui passe sous la barrière ou à côté. En 2017, pour 38 radars de vitesse installés sur les passages à niveau, il a été constaté
71 972 infractions et pour 80 radars de franchissement de passages à niveau, il a été constaté 27 468 infractions.
© Rapport parlementaire au Premier ministre : Propositions pour l’amélioration de la sécurisation des passages à niveau – avril 2019
Lire également :