“S’il est un domaine où la radicalisation n’a pas sa place, c’est bien celui des services publics, qui oeuvrent dans l’intérêt général” affirment fermement les co-rapporteurs Eric Diard (LR, Bouches-du-Rhône) et Eric Poulliat (LREM, Gironde) en introduction de leur rapport, « ne pas réagir face à la radicalisation dans ces services publics, serait non seulement amoindrir l’autorité de l’Etat, mais aussi faire courir des risques graves à la sécurité de nos concitoyens ».
Aussi, sans être « ni dans le déni, ni dans la panique », les deux députés ont cherché à avoir « un regard distancié sur le sujet allant au-delà de la politique politicienne ». Pas facile sur une question qui concerne l’ensemble de la société et qui se fait de plus en plus visible. Au 29 mai 2019, 21 039 individus sont inscrits au Fichier de traitement des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), dont 10 092 ont le statut « pris en compte ». Si depuis octobre 2017, douze domaines professionnels sont qualifiés de « sensibles » et font l’objet d’un suivi particulier dans le FSPRT, on dénombre (au 21 décembre 2018) 1609 individus « exerçant ou ayant exercé une ou plusieurs professions qualifiées de “sensibles” en raison soit de la nature de l’activité exercée, soit de l’accueil du public » écrivent les rapporteurs.
Dans une acceptation large des « services publics », la mission s’est intéressée au phénomène de radicalisation dans plusieurs domaines de l’action publique, même lorsqu’elle fait intervenir des acteurs de droit privé (sécurité, justice, diplomatie, collectivités territoriales, transports, écoles et universités). Si le constat est nuancé selon les secteurs, il reste toutefois à surveiller attentivement.
Pour la mission, il a d’abord fallu caractériser un phénomène protéiforme. Pour beaucoup de personnes auditionnées, la radicalisation est « particulièrement difficile à définir ». Finalement, par « radicalisation », la mission entend « tout extrémisme potentiellement violent à contenu politique ou religieux ». Et dans le contexte post-attentats qui est le nôtre, les rapporteurs visent en premier-chef la radicalisation islamiste. Prudents, ils ajoutent toutefois « que de multiples autres formes de radicalisation se développent, dans le champ politique ou religieux ».
Des trous dans la raquette
« Si les attentats de 2015 ont été une prise de conscience pour l’ensemble des services publics, il reste encore des trous dans la raquette » note Eric Diard.
Pour ce qui est des forces armées, les rapporteurs se veulent plutôt rassurants et parlent d’un secteur « globalement étanche à la radicalisation ». Une préservation qui est notamment due à l’existence dans ces services « d’un certain nombre d’outils efficaces en matière de détection, de prévention et de gestion des ressources humaines ». Mais, insistent-ils, « la vigilance n’en doit pas moins rester constante, car si les cas de radicalisation sont rares dans ces services, ils n’en sont pas moins inexistants ». Même constat en ce qui concerne les forces de sécurité intérieure (police, gendarmerie) plutôt « préservées dans l’ensemble de toute radicalisation significative ». D’après le Ministère de l’Intérieur, une trentaine de situations font aujourd’hui l’objet d’un suivi pour radicalisation, ce qui est, reconnaissent les rapporteurs, « objectivement très faible ». Ils expliquent cela par « l’incompatibilité de nature entre le métier de police ou de gendarme (préservation de l’ordre public et respect de la loi) et toute tendance à l’extrémisme violent ».
« Elève plus difficile, la pénitentiaire »
Particulièrement exposés au risque de radicalisation compte tenu notamment de la radicalisation d’une proportion non négligeable des détenus eux-mêmes, les surveillants pénitentiaires sont peu nombreux à être inscrits au FSPRT, une dizaine sur un effectif total proche de 41 000 personnes. L’UFAP UNSa Justice avance quant à elle le cas d’une trentaine d’agents signalés. Mais ici comme ailleurs, la prudence et la vigilance restent de mise. Dans la pénitentiaire, la vraie zone d’ombre concerne les « usagers » du service public, à savoir les détenus avec une radicalisation bien évidemment ancrée chez les détenus pour terrorisme (511) mais aussi de plus en plus significative chez les détenus de droit commun (entre 1 100 et 1 200 concernés). « La surpopulation carcérale est un facteur d’aggravation de la radicalisation » dénoncent par ailleurs les élus qui suggèrent que l’on renforce les moyens et le statut des aumôniers pénitentiaires, et en particulier des aumôniers musulmans, trop peu nombreux et mal formés qui « ne remplissent pas du tout leur rôle de prévention qu’ils pourraient jouer ».
Prise de conscience de l’Education nationale
A la fois lieu de transmission des valeurs républicaines et de détection de phénomènes de radicalisation, l’Education nationale a fait l’objet d’une attention toute particulière des rapporteurs qui n’ont pu que se féliciter de « la prise de conscience » et de « l’évolution des mentalités » en son sein. « Malgré certains sujets de préoccupation, la radicalisation semble rester globalement limitée et faire l’objet d’un suivi assez approfondi ». Ils ont ainsi pu constater qu’aujourd’hui les personnels n’hésitaient plus à mettre rapidement en oeuvre les procédures de signalement, notamment lorsqu’il semble y avoir un risque de départ de jeunes pour le djihad. 900 mineurs ont été ainsi signalés en 2015, 580 l’ont été en 2016 et 310 en 2017, l’Education nationale étant à l’origine d’environ un tiers de ces signalements.
Toutefois, les rapporteurs s’inquiètent du cas de l’université qui « souffre d’un déficit de culture de la prévention et de la détection de la radicalisation ». Auditionné par la mission, le professeur des universités et référent radicalisation à l’université de Toulon, Franck Bulinge juge sévèrement l’état de la réponse à la radicalisation dans les universités qui sont pour une très grande majorité d’entre elles « pas encore en situation de faire face à des problèmes de sûreté ou des situations de crise ». Il reconnaît cependant que la radicalisation à l’université est encore « un phénomène mal cerné, faute de données disponibles ». Pour tenter d’apporter une première réponse, la mission suggère la nomination d’un référent radicalisation et la création d’un comité de sûreté dans chaque université, comme cela s’est fait à Toulon.
Vigilance accrue dans les transports publics
Les transports publics constituent un secteur dans lequel la radicalisation doit faire l’objet d’une attention particulière compte tenu de l’enjeu pour la sécurité des personnes insistent les rapporteurs conscients des enjeux. Selon les chiffres recueillis par la mission, la RATP et la SNCF semblent tout particulièrement concernées par des risques de radicalisation : 84,15 % des enquêtes diligentées par le SNEAS (voir ci-dessous) concernent la SNCF (25,36 %) et la RATP (58,79 %). 124 avis négatifs ont été reçus par la RATP sur 5 808 dossiers transmis et plus de vingt avis négatifs pour la SNCF pour 2015 recrutements. Tout en souhaitant distinguer le phénomène de communautarisme de la problématique de radicalisation, la mission ne peut s’empêcher de constater que le communautarisme doit « requérir toute l’attention des pouvoirs publics notamment parce qu’il porte atteinte au principe de laïcité quand il est le fait d’agents publics et parce qu’il peut constituer un terrain propice à des phénomènes de radicalisation ». Comme dans les cas relevés de communautarisme dans certains dépôts de la RATP (agent priant sur le lieu de travail ou refusant de serrer la main d’une collègue femme).
S’agissant du groupe Aéroports de Paris, sur près de 80 000 personnes titulaires d’un badge rouge (permet l’accès à la zone « réservée »), 80 font l’objet d’un suivi particulier pour radicalisation et 29 d’un suivi ponctuel à Roissy-Charles-de-Gaulle (25 et 5 à Orly).
Si globalement le nombre d’enquêtes reste encore relativement modeste, la mission observe une « forte augmentation » des saisines des transporteurs en 2018 (+ 223 %, 314 en 2107, 702 en 2018). Le dispositif devrait encore monter en puissance avec la prise en compte en 2019 du transport de marchandises dangereuses.
Dans le service public de santé, la politique de prévention et de détection de la radicalisation « reste encore peu développée ». Les Agences régionales de Santé rencontrent des difficultés pour trouver leur place au sein du système de santé en matière de prévention de la radicalisation regrettent les rapporteurs qui préconisent de prévoir des postes dédiés à temps plein pour les référents radicalisation des ARS tout en développant la formation des personnels soignants, sans oublier d’étendre la compétence du SNEAS au recrutement de ces personnels.
Le sport, cible de radicalisation
S’il y a un milieu qui a suscité l’étonnement et l’inquiétude des parlementaires, c’est bien celui du sport qui dans plusieurs disciplines (sports de combat, foot en salle, musculation, tir sportif...) subit de plein fouet les coups de butoir du communautarisme. « La radicalisation islamiste dans le cadre de la pratique sportive est susceptible de revêtir diverses formes expliquent les rapporteurs. Celles-ci peuvent aller de la prière collective dans les vestiaires, voire pendant les compétitions, à la nourriture exclusivement halal et à l’obligation du port du caleçon dans la douche. Certains individus refusent de s’incliner devant leur adversaire au motif qu’on ne s’incline que devant Allah. En ce qui concerne les tenues vestimentaires, les leggings qui couvrent toutes les parties du corps, les hijabs et les voiles se répandent dans la pratique sportive et compétitive ». Aussi, les rapporteurs appellent à « une vraie prise de conscience ». « Des clubs, des éducateurs, des pratiquants sont touchés poursuivent-ils. Certaines associations sportives se communautarisent ». Ils proposent donc d’étendre les compétences du SNEAS aux éducateurs sportifs. L’Etat et les collectivités doivent aussi jouer tout leur rôle, « notamment en n’accordant pas, ou en retirant, leurs subventions aux structures sportives cautionnant ou favorisant la radicalisation de leurs membres ». Ils souhaitent enfin redonner aux préfets la compétence de délivrer l’agrément aux associations sportives, même déjà affiliées à une fédération agréée. « Il serait peu responsable de fermer les yeux sur le phénomène » concluent-ils. ■
Le SNEAS (Service national des enquêtes administratives de sécurité) est chargé de réaliser des enquêtes administratives au moment du recrutement ou de la mobilité d’agents publics sur des emplois sensibles. Il est également compétent pour les salariés en poste sur un emploi sensible et dont le comportement laisse apparaître des doutes sur la compatibilité avec l’exercice de ses missions.