Ils sont entre 8 et 12 millions. Selon le dernier sondage APRIL de 2018, seulement un Français sur deux connaît le mot « d’aidant ». Pourtant, près d’un Français sur huit est « aidant », et la moitié d’entre eux exerce une activité professionnelle. Celles et ceux qui souhaitent maintenir une vie professionnelle doivent consentir à de nombreux efforts et renoncements, le plus souvent au détriment de leur vie privée et l’épuisement, tant physique que psychologique, les guette. Par ailleurs, nombreuses sont les personnes qui ne se reconnaissent pas elle mêmes en tant que proche aidant, tout simplement parce qu’elles le sont devenu progressivement. Ce sont les aléas de la vie qui créent cette situation d’aidant. Dans la majorité des cas, les proches aidants n’y sont pas préparés, cependant ils y font face avec intelligence, bon sens et bienveillance. C’est le sentiment envers la personne aidée et le sens du devoir qui les animent.
La part qu’ils prennent dans l’accompagnement de la personne fragilisée constitue l’une des plus précieuses ressources pour relever le défi du vieillissement de la population française. Leur intervention est, dans bien des situations, d’une grande pertinence, car elle permet le maintien à domicile.
Aujourd’hui, compte-tenu des évolutions démographiques à venir, nous sommes tous potentiellement appelés à être proches aidants et/ou personnes aidées, avec un risque majeur : celui de la vulnérabilité liée à l’isolement.
Reconnaître les aidants et soutenir leur rôle est donc une nécessité qui s’impose à notre société. Nous devons collectivement accompagner cette aide précieuse et invisible. Invisible, au sens où elle n’est pas valorisée dans le processus d’accompagnement des personnes fragilisées. Pourtant, de nombreuses associations œuvrent quotidiennement au bénéfice des plus fragiles d’entre nous.
Grâce aux initiatives parlementaires et à la volonté du gouvernement, de nombreuses actions ont d’ores et déjà été mises en place. Toutefois, il nous faut réaffirmer le rôle fondamental des proches aidants et leur place dans la société.
L’engagement du Président de la République et de la Ministre de la Santé sur l’accompagnement du vieillissement de la population marque un tournant majeur dans l’évolution des politiques publiques autour des vulnérabilités et des fragilités. La loi Grand âge et Autonomie, attendue début 2020, a été précédée par une concertation nationale d’envergure, ayant abouti au rapport de Dominique Libault « Grand Âge, le temps d’agir ». Lors de cette concertation, l’atelier « aidants, famille et bénévolat » que j’ai eu le plaisir de co-présider avec Cécile Tagliana, adjointe au directeur général de la direction générale de la cohésion sociale, a conduit une réflexion collective importante pour déterminer les besoins et les attentes des proches aidants et proposer des réponses.
Je porte et je porterai ces préconisations, dont bon nombre figurent dans le rapport final. Elles s’articulent autour d’un objectif d’effectivité des droits et des prestations, et d’un objectif d’égalité d’accès sur l’ensemble du territoire.
Sur un sujet qui touche au plus intime de notre humanité, toutes les propositions ne peuvent être transposées dans la loi.
L’une d’entre elle, à laquelle je suis particulièrement attachée est celle de la caractérisation des proches aidants : qui sont-ils, combien sont-ils précisément, où vivent-ils, que font-ils, qui sont les proches qu’ils aident, quelles sont les pathologies etc. ? Pour être reconnu il faut d’abord être connu, c’est pourquoi j’ai proposé que cette enquête de caractérisation soit conduite avec une méthode participative innovante pour être exploitée au niveau national.
Nous devons aussi renforcer la formation de tous les professionnels de santé pour repérer les proches aidants fragiles et les accompagner. Nous voyons émerger des jeunes aidants ; ils seraient entre 500 000 et 1 million et il est aujourd’hui très difficile de les identifier. Ils sont le plus souvent sortis du système scolaire et peuvent être en très grande difficulté. Il s’agit là d’un fort enjeu d’avenir pour ces jeunes.
Par ailleurs, et comme le gouvernement s’y était engagé à ma demande, lors des précédents débats parlementaires, le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale portera des mesures en faveur de l’indemnisation du congé de proche aidant, permettant ainsi plus de recours et d’effectivité à ce droit à congé.
Quant aux proches aidants en activité, ils ont besoin d’une meilleure prise en compte de leur situation et de leurs besoins. La plupart d’entre eux souhaitent préserver leur activité professionnelle, tant pour garantir leurs ressources que pour maintenir un lien social et amical. Des initiatives, existent déjà dans certaines entreprises qui développent une politique de Ressources Humaines leur permettant une meilleure conciliation de leur vie privée et de leur vie professionnelle. Celles-ci, doivent être largement développées, encouragées, et valorisées. Le prix ESA : Entreprise Salarié Aidant, en est une parfaite illustration.
En outre, force est de constater que ce qui manque le plus aux aidants, c’est du « temps pour soi ». C’est alors que l’aide consentie et motivée par la sollicitude devient un fardeau parfois trop lourd à porter. Face à cela, il y a deux types de réponses possibles ; d’une part faciliter l’accès aux dispositifs et aux informations en un lieu unique, tel que les maisons des aînés et des aidants ou les maisons de service au public et, d’autre part, proposer davantage de solutions de répit sous différentes formes : relayage à domicile avec des professionnels ou suppléance avec des bénévoles formés, mais aussi famille d’accueil, halte répit, hébergement temporaire, séjour vacances-répit, accueil de jour ou accueil de nuit.
D’un point de vue purement législatif, la réforme des retraites viendra renforcer les droits des proches aidants. La loi Grand Âge et Autonomie devra, quant à elle, permettre de reconnaître la place des aidants dans le processus d’accompagnement des personnes fragilisées par l’âge, la maladie ou le handicap ainsi que dans notre société.
En complément, il semble essentiel de valoriser la mobilisation des bénévoles auprès des personnes fragiles et vulnérables qui, nous le savons, est un facteur de cohésion et de lutte contre l’isolement social. Cela peut s’envisager autour d’un modèle structuré au niveau national, départemental et local, permettant de porter et de favoriser la mise en relation des bénévoles, sur leur territoire, avec des personnes fragiles et leurs proches aidants, que ce bénévolat soit continu ou ponctuel. Si certaines associations sont déjà spécifiquement engagées dans le soutien aux personnes âgées et aux proches aidants, nous pouvons utiliser les nouveaux dispositifs, tel que le SNU, mis en place par le gouvernement pour promouvoir les relations intergénérationnelles.
Il va de soi que toutes ces mesures ne feront sens que si nous changeons le regard que nous portons sur nos aînés, notamment en leur donnant la possibilité, malgré leur faiblesse et leur vulnérabilité, d’exprimer une certaine liberté de choix dans leur rapport aux autres, mais aussi entre différents modes de vie. Le rôle du proche aidant sera alors prépondérant et essentiel pour créer les conditions de ce libre arbitre.
Il s’agira donc, de faire société autour des fragilités et de la solidarité familiale, amicale, associative et bénévole, avec l’aide des professionnels et des entreprises.
Un proche aidant me disait « être aidant c’est d’abord une joie avant de devenir un fardeau ». Notre responsabilité, c’est de préserver au maximum cette joie. ■