Le modèle de l’économie circulaire s’oppose au modèle économique linéaire « extraire fabriquer consommer jeter ». Ainsi il intègre l’ensemble du cycle de vie des produits, de leur écoconception à la gestion des déchets, en passant bien évidemment par leur consommation en limitant les gaspillages. C’est un changement radical de paradigme économique qui nécessite de nouvelles façons de concevoir et de vendre les produits : l’approvisionnement durable ; l’écoconception ; l’écologie industrielle ; l’économie de fonctionnalité et l’allongement de la durée d’usage, autant de concepts à mettre désormais en œuvre pour protéger notre planète. L’économie circulaire a aussi l’avantage de porter les innovations au niveau local et d’être pourvoyeuse d’emplois non délocalisables. Elle a une dimension sociale par le développement de l’économie sociale et solidaire qu’elle nécessite, par la réduction des coûts de consommation qu’elle peut entraîner et également par le gisement d’emplois sans qualification qu’elle représente.
Une feuille de route pour mobiliser tous les acteurs
Pour assurer la transition écologique le gouvernement a mis en place une politique de transition d’une économie linéaire vers une économie circulaire.
En amont du projet de loi sur l’économie circulaire, le gouvernement a élaboré une feuille de route pour l’économie circulaire, la fameuse FREC. Fruit de cinq mois de travaux ayant associé toutes les parties prenantes ainsi que le public via une consultation en ligne, la FREC, présentée en février 2019, est composée de 50 mesures faites pour décliner de manière opérationnelle la transition à opérer pour changer de modèle économique et faire entrer tous les acteurs dans la boucle : collectivités locales, consommateurs, Etat et acteurs publics et entreprises. Elle permet en outre à la France d’atteindre certaines cibles des objectifs du développement durable de l’Agenda 2030 des Nations unies, en particulier l’objectif « d’établir des modes de consommation et de production durables ».
La mise en œuvre de la feuille de route a d’ores et déjà donné lieu à plusieurs actions. Brune Poirson a signé, le 21 février 2019, le « Pacte National sur les emballages plastiques » avec différentes entreprises et deux ONG avec le soutien de la Fondation Ellen MacArthur. Les actions concrètes prévues dans le Pacte doivent ainsi permettre d’éliminer les emballages en plastique problématiques ou inutiles, en particulier dans les enseignes de grande distribution. Avec notamment l’engagement d’atteindre collectivement 60 % d’emballages plastiques effectivement recyclés d’ici 2022, et des engagements volontaires d’incorporation de plastique recyclé de la part de plusieurs secteurs industriels.
Un Plan national des ressources a été publié en 2018 (1), afin de proposer un ensemble de pistes d’actions visant à mieux adapter l’offre et la demande de ressources naturelles. La fiscalité des déchets a déjà commencé à évoluer, par la réforme de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) adoptée dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2019.
Afin de mieux capter le gisement d’emballages et de papiers dans les territoires où la collecte est moins efficace et à mobiliser activement les citoyens sur le geste de tri, Citeo, la société agréée pour la valorisation des emballages et papiers ménagers au titre de la responsabilité élargie des producteurs (REP) en collaboration avec le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire et l’Ademe a lancé un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) dédié à la collecte innovante.
Enfin de nombreux groupes de travail ont été mis en route pour alimenter un projet de loi. Sur les sujets à débattre comme les déchets sauvages, l’indice de réparabilité, la gestion des déchets du bâtiment, les compétences et la formation, les nouvelles filières à responsabilité élargie des producteurs (REP).
Ainsi, le conseiller européen Thierry Libaert a été missionné sur l’obsolescence programmée. Il a rendu ses conclusions et préconisations pour une consommation plus durable en janvier dernier. Elles ont inspiré le projet de loi. Aujourd’hui il a été chargé d’une nouvelle mission par le gouvernement sur la publicité. L’objectif étant de formuler des recommandations d’évolution de la publicité afin qu’elle n’incite pas explicitement au gaspillage et l’inscrire davantage dans la logique de la transition écologique. Le rapport est attendu pour le premier trimestre 2020.
Un autre rapport sollicité pour l’élaboration du projet de loi a été celui de Jacques Vernier (2), président de la Commission des filières REP. En octobre 2017, il avait été chargé d’une mission de réflexion pour faire évoluer le modèle actuel des filières REP au sein desquelles les éco-organismes jouent un rôle majeur en matière de prévention des déchets et de recyclage. Ses conclusions remises en mars 2018 portaient notamment sur la création de 5 nouvelles filières REP et l’extension de certaines existantes. Également co-président de comité de pilotage de la consigne institué en juin 2019, il a pu rendre ses premières conclusions avant le débat au Sénat pour apporter des éléments plus précis et alimenter les discussions.
Une (grande) loi pour l’acte II du quinquennat
Dans la continuité de ces actions, le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire a été présenté en conseil des ministres le 10 juillet 2019 par le ministre de la Transition écologique et solidaire. Les trois objectifs du texte sont de mieux gérer nos déchets ; de produire mieux et avec moins de ressources et d’allonger la durée de vie de nos produits.
Le projet de loi initial, déposé au Sénat, comporte IV titres. Par ce texte, le gouvernement souhaite proposer « un équilibre entre la responsabilité des entreprises par l’élargissement du périmètre du principe pollueur-payeur et une meilleure information des consommateurs ». Le titre 1er vise à renforcer l’information du consommateur. Le Gouvernement y propose de nouvelles obligations en matière d’information, notamment sur les qualités et caractéristiques environnementales des produits générateurs de déchets proposés à la vente (art 1er), la réparabilité des équipements électriques et électroniques (art. 2), le tri (art 3) et la disponibilité des pièces détachées nécessaires à la réparation de certains équipements (art 4). Le titre II vise à renforcer la lutte contre le gaspillage. Le Gouvernement propose ainsi notamment d’interdire l’élimination des invendus des produits non alimentaires qui sont encore utilisables (art 5). Les dispositions du titre III visent à renforcer la responsabilité des producteurs, en soutenant le marché du recyclage et en assurant la réduction de la consommation de certaines ressources non renouvelables (art 7) ; le Gouvernement propose également une redéfinition du périmètre du principe pollueur-payeur mis en œuvre grâce à la « responsabilité élargie » des producteurs. Le texte prévoit que ce principe puisse être appliqué à de nouveaux produits générateurs de déchets (art 8). Ceci en créant de nouvelles filières REP pour les jouets, les articles de sport et de loisir, les articles de bricolage et de jardin, les mégots de cigarettes, les lingettes, et les huiles minérales ou synthétiques, lubrifiantes ou industrielles. Trois filières REP vont également être élargies : celle des automobiles aux deux, trois roues et quads, celle des déchets chimiques des ménages à ceux des artisans, et les emballages ménagers aux emballages industriels et commerciaux. Enfin, un dispositif est prévu pour les produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment sans que ce soit forcément une filière REP. Le texte prévoit également l’instauration d’un nouveau cadre relatif à la vente et aux conditions de reprise des produits usagés, la responsabilisation des plateformes internet de vente en ligne, ou de mise en relation. Enfin, un point majeur dans cet article est l’instauration d’un dispositif de consigne tout en précisant que les conditions d’application comme les produits concernés, les modalités de gestion de la consigne et d’information du consommateur sont précisées par décret en Conseil d’État. Le titre IV habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance. A la fois pour transposer trois directives européennes relatives aux déchets mais aussi pour mettre en œuvre certaines dispositions prévues par la FREC. L’objectif de cette ordonnance serait de faire évoluer (rapidement) la législation applicable à la prévention et à la gestion des déchets de sorte à faciliter le geste de tri par les ménages et les opérateurs économiques et ainsi favoriser la valorisation des déchets. C’est aussi par ordonnance que le gouvernement prévoyait dans cette version initiale du texte de « renforcer et compléter le régime des sanctions pénales et administratives applicables » aux éco-organismes ne remplissant pas les objectifs assignés et de renforcer l’efficacité de la police des déchets.
Le Gouvernement a engagé une procédure accélérée sur le texte, c’est-à-dire que le texte peut ne faire l’objet que d’une seule lecture au Parlement. Le texte a été discuté au Sénat en septembre et transmis à l’Assemblée le 30 septembre. La Commission du développement durable a été saisie sur le fond et deux de ses membres ont été nommées rapporteurs : Stéphanie Kerbarh, députée de Seine-Maritime (LREM) et Véronique Riotton, députée de Haute-Savoie (LREM). La secrétaire d’Etat souhaite que le texte soit voté avant la fin de l’année.
Les ambitions du texte rehaussées par le Sénat
Sur le fond le texte a déçu les Sénateurs. Pour eux il n’est pas à la hauteur de ce qui leur avait été présenté comme un grand texte de l’acte II du quinquennat. Les Sénateurs ont donc souhaité rehausser son niveau d’exigence. Par exemple par l’inscription dans la loi de l’objectif de 100 % de plastique recyclé d’ici au 1er janvier 2025 ; par une amélioration de l’information du consommateur sur les qualités et caractéristiques environnementales des produits, en privilégiant une analyse de l’ensemble du cycle de vie des produits et la mise en place d’un indice de durabilité obligatoire à compter du 1er janvier 2024, après une expérimentation du volet réparabilité en 2021 ; par la création d’une éco-contribution sur les produits non recyclables et non soumis à une filière REP ; par la création d’une obligation pour les éco-organismes de déclarer leur flux de déchets vers l’étranger et par la même d’améliorer la traçabilité de ces flux ; par l’extension de l’interdiction de distribution gratuite de bouteilles d’eau plate en plastique dans les établissements recevant du public et dans les locaux à usage professionnel à toutes les bouteilles de boissons fabriquées en plastique, y compris lorsqu’elles contiennent de l’eau gazeuse ou des boissons sucrées. Entre autres.
Ils se sont aussi opposés à quelques points précis. Au moment des premières fuites de l’avant-projet de loi dans la presse, en février 2019, il était prévu que davantage de sujets soient relégués à une ordonnance ce qui provoquait la colère des Sénateurs. Pour preuve le communiqué de presse du Sénat (3) et la lettre envoyée à Brune Poirson (4) en janvier 2019 par Hervé Maurey, Président de la Commission de l’aménagement du territoire et Didier Mandelli, Président du groupe d’études sur l’économie circulaire et membre du comité de pilotage de la FREC. Pour eux, les sujets de ce texte concernant le quotidien des Français et des collectivités locales ne pouvaient se passer d’un débat parlementaire public. Dans sa nouvelle version présentée au Sénat le texte était plus étoffé et moins de sujets traités par voie d’ordonnances même si le texte leur laissait toujours une belle part. Les Sénateurs ont replacé deux sujets dans le texte de loi à savoir : la lutte contre les dépôts sauvages de déchets et les sanctions prévues pour les éco-organismes. Sur le premier sujet, frappés par le décès du maire de Signes cet été, les Sénateurs ont prévu un renforcement du pouvoir de police des élus. Enfin le point majeur qui a opposé une grande majorité des Sénateurs et le gouvernement pendant le débat est bien sûr le sujet de la consigne qui fera l’objet d’un développement ultérieur. En l’état, ce sujet qui provoque une véritable controverse fera de toute évidence l’objet d’un débat animé lors des discussions à l’Assemblée. ■
1. https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/FREC-Plan Ressources pour la France 2018.pdf
2. Il est aussi Président du conseil supérieur des risques technologiques
3. https://www.senat.fr/presse/cp20190124b.html
4. https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/communication/Autre/DEVDUR_2019_0059_D_Courrier_POIRSON_Brune_Courrier_PJL_economie_circulaire.pdf