L’Aide Médicale d’Etat (AME) permet à des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français d’être soignés gratuitement sans restriction. Le coût de ce dispositif a quasiment doublé ces dix dernières années. Il se trouve désormais au cœur d’un débat citoyen et politique qui doit conduire le législateur à arbitrer sur une réforme pour faire face à cette dépense croissante.
Après avoir exercé plus de dix ans en tant que responsable de la facturation d’un hôpital public de la région parisienne, Il m’est apparu comme une intuition que l’aide médicale d’Etat ne pouvait être conservée en l’état. J’ai entamé le manuscrit « La vérité sur l’AME » il y a un an afin d’éclairer les autorités et nos concitoyens sur l’usage qui est fait de cette couverture maladie.
Ce livre s’articule autour de cas réels et de témoignages pour amener le lecteur au cœur de ce dispositif, afin qu’il en comprenne les enjeux. Il est le fruit d’une réflexion opérationnelle qui conduit également à proposer des solutions qui permettraient de maîtriser les dépenses d’AME tout en continuant à soigner les patients nécessiteux, à la charge de la solidarité nationale.
Et si on changeait de paradigme ?
Le débat actuel est tronqué en se concentrant de façon exclusive sur l’AME et en opposant de façon binaire ceux qui pour des raisons économiques voudraient une restriction du panier de soins et ceux qui ne veulent pas y toucher.
Tentons de ne pas raisonner à partir du dispositif AME pour l’adapter aux situations et à ce que l’on souhaiterait qu’il prenne en charge, mais raisonnons à partir du patient et de sa porte d’entrée dans le système de soins français.
Il existe 2 portes d’entrée : les soins programmés et les urgences. Réduire le panier de soins aura un impact sur les soins programmés, mais la grande majorité des patients souhaitant être soignés sans payer entrent par les urgences d’un établissement public ou d’un établissement privé ayant une mission de service public.
A l’arrivée d’un patient non assuré social et non couvert par une AME, les personnels des services sociaux et administratifs des établissements s’occupent de déterminer à qui seront facturés les soins prodigués : à une assurance privée, à une ambassade ou tout simplement au patient.
Les assurances privées souscrites avec la demande de visa se désengagent dans une grande majorité des cas de la prise en charge d’un patient au motif d’une pathologie préexistante. Les médecins conseils de ces compagnies étant à la fois juge et partie, ils défendent les intérêts de leur employeur.
Si le patient est illégal (sans titre de séjour ou à l’issue d’un visa périmé) les services sociaux mettront tout en œuvre pour lui obtenir une couverture AME car par ce biais l’hôpital est certain d’être financé pour les soins prodigués. Les critères d’obtention de l’AME sont essentiellement basés sur des éléments déclaratifs (critère de présence sur le sol français, critère de ressources et nécessité d’avoir une adresse de résidence).
S’il n’entre pas dans les conditions d’obtention de l’AME ou si comme cela se produit souvent le patient ne transmet pas les éléments nécessaires à permettre de lui « monter une demande d’AME », les services administratifs et leurs collègues de la trésorerie émettront une facture lorsqu’ils auront une adresse de facturation suffisamment précise.
Il ne s’agit alors que d’une tentative car les créances hospitalières à l’étranger font l’objet d’un recouvrement amiable uniquement. Lorsque le patient se trouve encore sur le territoire français, il est dans la grande majorité des cas inconnus des services fiscaux.
Nombreux soins ne sont ainsi jamais facturés ou s’ils le sont, les créances viennent s’éteindre par le biais d’une écriture comptable les transformant en non-valeur.
Les bénéficiaires de l’aide médicale d’Etat ne sont, contrairement à ce que l’on peut penser, pas tous en demande d’obtenir cette couverture. Ils savent ou se font dire qu’ils pourront être pris en charge par le système français, peu importe comment, que ce soit par le biais de l’obtention d’une couverture AME ou de soins qui ne seront jamais facturés ou jamais recouvrés.
Ce sont donc très fréquemment les services de l’hôpital qui sont demandeurs d’obtenir une telle couverture pour un patient, quitte à lui suggérer les éléments déclaratifs afin qu’il rentre dans les critères d’éligibilité de ce dispositif.
Il est logique dans ces conditions que la fraude soit négligeable. Si l’on se base sur les montants déclarés par l’Assurance Maladie, cette fraude représente officiellement 460 000 e en 2018, soit 0,06 % du montant global de l’AME.
Il est fondamental de raisonner non pas en considérant la couverture AME seule mais en faisant la sommation du coût de l’AME, des créances irrécouvrables et des soins non facturés. Ces deux derniers postes représentaient chaque année dans l’établissement dans lequel j’exerçais, un montant supérieur à celui du coût de l’AME.
Or, ces montants ne s’invitent jamais au débat sur l’AME
Que doit-on faire ?
Il convient de raisonner à l’échelle européenne et d’agir sur plusieurs postes en verrouillant en amont et en aval la prise en charge des soins en France.
En amont :
Il est nécessaire de responsabiliser les acteurs qui entretiennent consciemment ou non la gratuité des soins : le patient, l’hébergeant, le système assurantiel, les consulats français.
Les contrats d’assurances souscrits pour l’obtention d’un visa doivent être adaptés et mutualisés aux situations vécues sur le terrain. L’ensemble des risques doivent être pris en compte, tout en organisant un système de bonus-malus.
L’hébergeant en France qui permet à un patient d’obtenir son visa doit devenir solidaire des soins reçus par la personne hébergée si celle-ci reste au-delà de la durée de son visa devenant ainsi irrégulière. Cette responsabilité doit s’exercer à hauteur de sa capacité financière.
En aval :
Le recouvrement doit être organisé de façon beaucoup plus efficace et faire l’objet d’accord entre Etats comme c’est le cas dans le domaine fiscal.
Les consulats français doivent être partie prenante à ce recouvrement. De plus, ils ne devraient délivrer des visas qu’à la condition qu’un débiteur démontre sa bonne volonté en s’acquittant de tout ou partie de sa facture. Rappelons que l’APHP (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris) a mis en place avec nombreux consulats français un échange d’informations permettant de bloquer une demande de visa en cas d’impayé.
Un cas particulier concerne les patients nécessitant des soins au long cours pour lesquels il serait difficile, voire impossible de réduire le panier de soins (par ex rééducation fonctionnelle après AVC). Il serait intéressant de développer des partenariats médicaux par la création d’hôpitaux français à l’étranger sur l’exemple des hôpitaux américains dans notre pays, créés au lendemain des deux dernières guerres mondiales.
Par ces mesures, le coût global des soins délivrés aux étrangers sur le territoire français comprenant l’AME, les soins non facturables et les créances irrécouvrables diminuerait substantiellement.
L’expérience du terrain montre que réduire le panier de soins ne diminuera qu’à la marge le coût global précité, car l’impact ne portera que sur les soins programmés, largement minoritaires dans l’entrée du patient dans le système de santé. Dans ce cas, les indications dites « de confort » en seront exclues. La difficulté résidera dans la définition du « soins de confort » par le corps médical. Ceci pourrait être mis à l’appréciation des praticiens par l’intermédiaire d’une entente préalable, les médecins rentrant alors également dans la boucle de responsabilisation.
Ainsi, seules les personnes venues en France sans visa et les enfants nés sur notre territoire devraient bénéficier de l’AME.
En conclusion, Il convient de réunir experts et décideurs politiques autour d’une table, à la recherche de solutions humaines, réalistes et efficaces en traitant nombreuses réflexions à l’échelle européenne. ■
* Vient de publier : « La vérité sur l’AME » - Editions Viasocial