“C’est un PLFSS à l’image de la politique que conduit le Gouvernement : protéger les plus fragiles, investir pour l’avenir et libérer l’économie pour soutenir l’activité [...] Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale prévoit un retour à l’équilibre de la Sécurité sociale après 18 années de déficit et la confirmation de l’apurement de la dette sociale à l’horizon 2024”. Ces propos enthousiastes sont ceux de la Ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn. Mais le souci est qu’ils datent de l’an dernier et qu’ils parlent du PLFSS 2019. 2020 ne s’annonce pas sous les mêmes auspices. Malheureusement. Les clignotants qui étaient au vert sont passés à nouveau au rouge. Le déficit de la Sécurité sociale devrait atteindre 5,4 milliards en 2019 et encore 5,1 milliards en 2020, selon les chiffres du PLFSS 2020 donnés lors de sa présentation le 30 septembre dernier, « retrouvant ainsi son niveau de 2017 tout en tenant compte de la réponse d’ampleur que le Gouvernement a apportée à l’urgence économique et sociale ». Aussi aujourd’hui au Ministère on mise plutôt pour un retour à l’équilibre des comptes du régime général et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) à l’horizon 2023. Prudemment et précautionneusement, la Ministre avait d’ailleurs pris soin d’alerter et de préparer les opinions à ces chiffres dès janvier en indiquant que le retour à l’équilibre serait « compromis » en 2019. En juin, la Commission des comptes de la Sécurité sociale confirmait la tendance en présageant un déficit compris entre 1,7 milliard et 4,4 milliards d’euros en fonction des choix du Gouvernement.
Comment en est-on arrivé là ? Au-delà de l’optimisme du Gouvernement sur une prévision de croissance espérée et des attentes déçues autour de l’inflation et de la masse salariale qui n’a pas progressé réduisant d’autant les rentrées de recettes, la crise des « gilets jaunes » et ses « mesures d’urgence » (taux réduit de CSG pour certaines retraites, exonération des heures supplémentaires) sont venues plomber ce bel équilibre et peser sur les comptes de la Sécurité sociale. Et contrairement au principe instauré par loi Veil de 1994 qui stipule que toute mesure d’exonération, partielle ou totale, de cotisations donne lieu à « compensation intégrale » par le budget de l’Etat, l’exécutif a décidé d’y déroger. « Nous avons pris des décisions coûteuses [...]. Et comme nous ne l’avons pas intégralement compensé cela se retrouve dans des déficits » a admis le Ministre de l’Economie Bruno Le Maire. « Pour autant, ce changement de rythme par rapport à la loi de programmation des finances publiques adoptée par le Parlement en 2018 ne remet pas en cause les objectifs du Gouvernement en matière de redressement des comptes sociaux ni son cap » a tenu à rassurer la Ministre des Solidarités et de la Santé.
Reste que ces choix ont eu un effet immédiat sur les résultats de l’assurance vieillesse qui présentera un déficit prévisionnel de 2,1 milliards en 2019 puis de 2,7 milliards en 2020. Idem pour ce qui est de la Branche maladie qui connaîtra un déficit prévisionnel de 3 milliards en 2019 et en 2020, contre 700 millions en 2018. Seules notes positives, les branches accidents du travail et famille qui devraient rester dans le vert. Pour ce qui est du Régime général, le déficit prévisionnel affiché est ainsi de 3,1 milliards en 2019 et de 3,8 milliards en 2020. A cela, il faut cependant ajouter le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) en déficit prévisionnel affiché de 2,3 milliards en 2019 et de 1,4 milliard en 2020. Soit un total (déficit) régime général + FSV de 5,4 milliards en 2019 et 5,1 en 2020. Alors qu’en 2018 la branche vieillesse avait été légèrement excédentaire, Bercy explique cette dégradation par « des prestations vieillesses plus dynamiques qu’anticipées » en raison notamment de la fin du relèvement de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans décidé sous l’ère Sarkozy. Et selon toute vraisemblance, la situation de cette branche ne devrait pas s’améliorer en 2020. Elle devrait en effet accuser le coup des décisions d’Emmanuel Macron de réindexer sur l’inflation les pensions inférieures à 2000 euros par mois et d’augmenter la retraite minimum pour une carrière complète à 1000 euros. La Commission des Comptes de la Sécurité sociale a estimé le « coût total » de ces mesures à 1,5 milliard d’euros. Elle n’a pas encore donné de chiffres pour la réindexation de toutes les pensions de retraite à partir de 2021 comme annoncé par le Chef de l’Etat. Cela suffit à faire planer le doute sur d’éventuelles mesures autour des retraites alors que le Président de la République a promis un retour des comptes à l’équilibre avant 2025 alors que sera mis en place le nouveau système universel.
Enfin, poursuit le Ministère, pour ce qui est de l’objectif national de dépense d’assurance maladie (ONDAM), celui de « 2019 sera tenu pour la dixième année consécutive grâce à un effort de l’ensemble des acteurs » se félicite le Ministère qui annonce pour 2020 un taux de progression de l’ONDAM fixé à 2,3 %. « Compte tenu de l’évolution spontanée des dépenses sous ONDAM ainsi que de la progression de 4,6 Mde de dépenses nouvelles prises en charge par la collectivité sur le champ de la maladie, cet objectif suppose la réalisation de plus de 4 Mde d’économies » précisent les services de Bercy. Mais d’aucuns estiment que cela ne sera peut-être pas suffisant pour calmer la grogne des hôpitaux. Dans la revue « Les Tribunes de la santé », Pierre-Louis Bras, président du Conseil d’orientation des retraites (COR) et spécialiste des questions sociales écrivait qu’« un Ondam à 2,3 % est peut-être nécessaire pour atteindre les objectifs de finances publiques mais il est peu probable que les hôpitaux publics et la qualité des soins puissent, sans dommage, le supporter ». ■
La mise en garde de la Cour des comptes
Dans son rapport sur les comptes de la Sécurité sociale, la Cour des comptes prend acte de la promesse du Gouvernement d’un possible retour à l’équilibre en 2023. Mais pour les Sages de la rue Cambon, un retour pérenne à l’équilibre financier ne « peut toutefois être assuré par un simple décalage temporel d’une trajectoire financière dont les paramètres en recettes et en dépenses seraient maintenus à l’identique ». Pour tenir son engagement, la Cour juge que le Gouvernement sera dans l’obligation de faire « des économies structurelles » dans les dépenses vieillesses et maladie. « Compte tenu du niveau atteint par les prélèvements obligatoires, cet objectif implique un effort accru de maîtrise des dépenses, alors que ces dernières progressent tendanciellement plus vite que la croissance potentielle de l’économie, qui détermine l’évolution des recettes sociales à taux constant de prélèvement » expliquent les juges. « Or, ajoutent-ils, depuis 2000, et à l’exception de 2015, malgré les efforts d’économies menés depuis 2011, les dépenses de Sécurité sociale à champ constant ont systématiquement crû plus vite que la croissance potentielle du PIB ».
Plusieurs mesures « d’économies structurelles » sont avancées par la Cour : engager « une rationalisation » des « niches sociales », « des dispositifs dynamiques et insuffisamment encadrés » qui en 2019 devraient coûter à la Sécu 66,4 Mdse ; revoir les indemnités journalières versées en cas d’arrêt de travail (14,5 Mds en 2017) ; redéfinir les dispositifs « nombreux et inégalement justifiés » de départs anticipés à la retraite (14 Mdse en 2016) ; moderniser les pensions d’invalidité (7,4 Mdse en 2017) ; remettre à plat des transports sanitaires programmés (5 Mdse en 2017) ; intégrer les actes et consultations externes à l’hôpital dans la définition de l’offre de soins ; revoir les politiques de greffe (337 Me en 2017) et mieux encadrer la procréation médicale assistée (300 millions d’euros).
Mais pour la Cour, « il importe aussi que l’ensemble des secteurs de la dépense, y compris les soins de ville » contribuent aux efforts.