Le sujet n’est pas tabou mais il est peu connu. Chaque année, après ou avant la saison de ski, plusieurs stations mettent la clé sous la porte ; des plus petites avec une ou deux remontées mécaniques, ce sont aujourd’hui des stations plus importantes de six à sept remontées mécaniques qui sont touchées. On veut croire que ce n’est que provisoire. Mais certains signaux d’alerte ne laissent pourtant que peu d’espoir de réouverture à ces stations. Pierre-Alexandre Métral, chercheur doctorant à l’Université de Grenoble-Alpes s’est penché sur le sujet. Minutieusement, il a tenu le compte des stations qui chaque année ferment. « Elles sont environ deux ou trois par an, ce qui fait 168 sur 584 stations construites depuis les années 50, soit 28 % du nombre total » explique-t-il. Un phénomène qui date pourtant déjà des années 70 mais qui s’est accéléré ces dernières années. On est aujourd’hui bien loin de la grande époque des communes de montagne qui dans les années 60 se battaient pour avoir leur propre station, signe de richesse, de développement et d’avenir. Le ski pour pallier à l’exode rural, au déclin de l’agriculture et au départ des rares entreprises locales. Mais voilà avec le temps, les petites stations, celles de moyenne et basse montagne, situées entre 1000 et 2000 mètres ont été contraintes de fermer leur porte en raison d’un manque évident de neige. Comme dans le Massif central qui a connu la fermeture de 40 stations en 1985 et de 18 en 2019. C’est aussi le cas du Jura, des Vosges et de certaines stations des Pyrénées. Si les stations des Alpes sont dans une situation plus enviable parce que plus élevées, elles ne sont pas pour autant totalement à l’abri : de 350 stations en 1990, on est tombé à 300 aujourd’hui. « Les stations ne ferment pas directement à cause du manque de neige, mais à cause des problèmes économiques causés par le manque de neige, les changements climatiques mais aussi l’absence de diversification des activités ou encore l’inadéquation entre l’offre et les évolutions des désirs des consommateurs » tient toutefois à préciser Pierre-Alexandre Métral. Sur les 169 fermetures pointées par le chercheur, 45 % sont le résultat d’un manque d’enneigement.
Désintérêt des jeunes générations pour le ski
Plus méconnu mais aussi plus difficilement accepté par les professionnels de la neige, est l’autre aspect de la perte de vitesse des stations de ski à savoir un certain mais réel désintérêt des jeunes générations (15-25 ans) pour le ski. Dans une tribune publiée par Le Monde, l’association des maires des stations de montagne fait l’amer constat que la clientèle des stations ne se compose plus que de 14 % de jeunes contre 20 % en 1995 (Selon les données de France Montagnes, seulement 8 % des Français vont régulièrement aux sports d’hiver). Citée par Le Monde, Anne Gallienne, cofondatrice de l’agence de conseil Poprock n’hésite d’ailleurs pas à en ajouter une couche (de neige) : « Plus d’un jeune sur deux n’est jamais allé au ski, ou seulement une fois enfant ». Lorsqu’on leur en demande les raisons, le prix des vacances au ski est bien évidemment cité mais pas seulement. Pour les jeunes générations « aller au ski n’est pas dans leur radar. Cela ne les fait pas rêver, vibrer, voire ils trouvent cela un peu aberrant en des temps de dérèglements climatiques » précise Anne Gallienne. Ne parlons pas non plus des classes de neige toujours moins nombreuses pour des questions de coûts essentiellement (-20 % en dix ans). Reste que ce désintérêt commence sérieusement à inquiéter les professionnels. Et si finalement les stations étaient condamnées à fermer non pas par manque de neige mais par manque de clients ?
Des fermetures par manque de neige et de clients
L’exemple de fermeture précoce le plus communément cité est celui de la station fantôme de Saint Honoré 1500, en Isère qui a fermé dans les années 90. Ce qui en a fait la première station de moyenne montagne à avoir baissé le rideau. Son histoire est tristement simple. Après la fermeture dans les années 60, des mines du plateau matheysin a été lancé un projet de développement d’une station de ski avec une liaison avec l’Alpe du Grand Serre. En 1977, deux immeubles sont construits sur le site de la Chaud, à 1500 m d’altitude, suivis par l’installation de plusieurs télésièges et téléskis. Mais l’ambition démesurée des uns et des autres a eu raison de la station qui après plusieurs péripéties, notamment judiciaires et financières ont sonné le glas de la station, contrainte à une fermeture définitive en 2004. Une mise à mort qui s’est achevée avec la vente de ces équipements qui ont été dispersés vers d’autres stations entre 2005 et 2007. Aujourd’hui, la station fantôme fait le bonheur des photographes, des graffeurs et des randonneurs.
Les fermetures, un problème environnemental
Ailleurs le scénario est quasi le même. A la différence notable que nombre des installations de ski restent en place. Pierre-Alexandre Métral estime que 223 remontées mécaniques ont été démontées et qu’une centaine est encore débout. Ce qui n’est pas sans conséquence pour l’environnement. Il peut notamment subsister dans les remontées mécaniques de l’amiante, des huiles de moteur, du carburant, des transformateurs. Sans oublier les risques de chute. On estime que si les remontées mécaniques ne sont pas démantelées dans les trois années qui suivent la fermeture, il y a peu de chance que cela soit un jour fait. Il faut reconnaître que pour une commune le démantèlement a un coût important. Sans le justifier cela peut expliquer le fait que rien ne soit rapidement entrepris. Rappelons enfin que jusqu’à la « loi montagne 2 » de 2016, rien n’était prévu pour le démantèlement des infrastructures. Depuis, les constructeurs ont l’obligation d’en prévoir le coût dans leur projet. Sauf que cela ne concerne que les équipements d’après 2016, soit très peu de ceux qui jalonnent nos montagnes. Enfin, le démantèlement est aussi un crève-cœur pour les habitants du lieu qui ont connu l’âge d’or du ski. Plus de remontées mécaniques, plus d’espoir. La fermeture, c’est aussi des pertes d’emplois, le prix du foncier qui s’effondre, des touristes qui ne viennent plus... La fin d’un monde. Alors on cherche des solutions. On multiplie les campagnes publicitaires à la télévision, au cinéma, dans la presse. On cherche à fidéliser une clientèle plus volatile. On vise aussi les plus jeunes avec des opérations marketing d’envergure comme celle qui a enrôlé en novembre dernier la Reine des neiges de Walt Disney avec l’invitation de 2500 enfants et adultes à l’avant-première du second opus des aventures d’Elsa et Anna. Et quant au manque d’enneigement, certains placent tous leurs espoirs dans les canons à neige mais c’est souvent à une fausse bonne solution (besoin très important en eau et en électricité et nécessité de températures basses). Parfois cela encore plus loin : On a même vu récemment la station Montclar Les 2 vallées héliporter de la neige des hauteurs enneigées vers le bas de la station... D’autres imaginent des reconversions dans un tourisme blanc sans ski ou à des regroupements entre stations. Des études sont également lancées pour équiper de pistes des sommets et pentes enneigées toujours plus hautes. Sauf qu’à la fin, il y aura forcément des fermetures. L’OCDE estime que d’ici à la fin du siècle, seuls 61 % des domaines skiables des Alpes, contre 90 % aujourd’hui auront un enneigement naturel suffisant pour leur permettre de poursuivre leur activité. D’ici à 30 ans, 80 stations françaises sont ainsi menacées de fermeture. ■
Les glaciers pyrénéens condamnés ?
Le rapport d’étude 2019 de l’association pyrénéenne de glaciologie Moraine tire le signal d’alarme : D’ici 2050, les glaciers pyrénéens auront disparu, victimes du réchauffement climatique. Les chiffres de l’association accréditent cette analyse : la surface cumulée des neufs glaciers ne représente plus aujourd’hui que 79 hectares contre 140 ha il y a seulement 17 ans. Au milieu du XIXème siècle, la surface était de 450 ha. L’association précise que depuis 2002, chaque année, les glaciers pyrénéens perdent en moyenne 3,6 ha de glace. Et le pire est à venir avec une augmentation des températures dans la région estimée entre 1,4 à 3,3 degrés d’ici à 2050. Les conséquences de cette fin annoncée sont incommensurables comme celles sur l’écosystème et la biodiversité avec notamment la disparition d’organismes liés à la glace, premiers maillons de la chaîne alimentaire pyrénéenne.