L’événement a permis de rassembler tous les acteurs des questions agricoles et alimentaires autour d’un sujet central : la crise agricole.
L’essentiel du projet résidait dans la revalorisation du revenu agricole et, malgré certaines lacunes, a pu constituer une amorce intéressante à la refonte des relations commerciales.
Un an après la promulgation de ce texte, l’heure est au bilan. Tout l’enjeu est de savoir si cette loi a permis une revalorisation du revenu de l’agriculture. Avec un relèvement du seuil de revente à perte, un encadrement des promotions pour stopper la guerre des prix, un encadrement strict des négociations et la création d’indicateurs de revalorisation des prix, tous les outils étaient présents pour répondre aux déséquilibres commerciaux. Mais est-ce réussi ?
Le Parlement, dès le vote du projet de loi, a pris le parti de mettre en place de larges moyens de contrôle de l’application, témoignant d’une volonté particulière de veiller à ce que ce texte, qui a suscité tant d’espérances dans les campagnes, atteigne bien ses objectifs. Il s’agit avant tout de s’assurer que « la montagne n’accouche pas d’une souris ».
La crise agricole qui mine les milieux ruraux français est sérieuse et nécessite des efforts importants afin de redonner aux agriculteurs les moyens de subsister et d’assurer le renouvellement des générations. Comment, au XXIème siècle, assurer le renouvellement des générations en agriculture quand la promesse de revenus à venir est insuffisante ? C’est un défi immense pour la France qui va voir un tiers de ses exploitants partir à la retraite en 2030.
De ce point de vue, l’urgence était de faire du revenu agricole une grande cause nationale.
Du point de vue de la loi, la revalorisation du revenu doit passer, d’une part, par la revalorisation des prix actés lors des négociations commerciales, et d’autre part, par le ruissellement de l’augmentation des prix de la grande distribution par l’encadrement des promotions vers le producteur.
Les négociations commerciales 2020 seront le juge de paix !
Sur le plan des négociations, aucun bilan définitif n’est possible. Après la publication récente des dernières ordonnances de la loi, tous les outils sont désormais disponibles pour que les dispositions s’appliquent. Les premières négociations commerciales 2020 entre le monde agricole et la grande distribution approchent, elles seront décisives et permettront de juger de l’efficacité du dispositif tout comme de la bonne volonté des acteurs à se conformer aux EGA. L’occasion de faire le point sur les avancées du texte en la matière.
Pour l’heure, force est de constater que les premiers résultats des négociations commerciales annuelles pour 2019 sont préoccupantes.
Quelques frémissements dans la filière laitière s’observent sans que l’on puisse l’attribuer à cette loi. Les premiers résultats positifs sont beaucoup mis en avant. Il ne faudrait pas que ce soit l’arbre qui cache la forêt et un coup de publicité de la grande distribution. Les données doivent être prises sur tous les volumes et sur toutes les productions, ce qui est loin d’être le cas à ce stade.
Cette désillusion s’explique par un grand malentendu de la loi Egalim. D’une part, en entendant revaloriser le revenu des agriculteurs issu des contrats entre agriculteurs et distribution, la loi n’a agi que sur un cinquième des recettes des agriculteurs, et sans doute uniquement sur les quelques filières où la contractualisation est répandue ou rendue obligatoire.
D’autre part, dans le même temps, cette loi, dans son second volet alimentation, a considérablement alourdi les coûts d’exploitation. Or, un revenu dépend des recettes mais également des charges !
Une inflation pour le consommateur qui ne se retrouve pas chez l’agriculteur
Grâce aux mécanismes d’encadrement des promotions et de relèvement du seuil de revente à perte, la loi devait créer un mécanisme de ruissellement des prix du distributeur vers le transformateur puis le producteur.
Le titre Ier est entré en vigueur au début 2019 et a eu des effets immédiats sur les prix des produits. Une inflation importante s’en est suivie, notamment sur les produits frais, les alcools, les produits de grandes marques.
Or, cette inflation des prix chez le consommateur n’a pas eu l’effet escompté puisqu’elle est accompagnée d’une déflation générale des prix d’achat aux fournisseurs en 2019. Les agriculteurs n’ont pas, pour l’instant, et d’une voix unanime, ressenti les effets de cette loi.
Effet pervers ! Le seuil de revente à perte a même conduit à réduire la rémunération de certains producteurs, notamment ceux spécialisés dans la production de produits saisonniers pour qui les promotions sont un moyen d’écouler les stocks avant perte.
Où est donc passée l’inflation ?
En réalité, la grande distribution a baissé les prix de ses produits, des produits d’hygiène et a mis en place des mécanismes de contournement faisant exploser les ventes de produits sous marques de distributeurs.
Les grands perdants de cette loi sont finalement les agriculteurs.
Sur la question du revenu des agriculteurs, de réels ajustements sont encore à effectuer avant d’espérer un quelconque effet positif. Plusieurs propositions sont d’ailleurs largement discutées. Il ne s’agit pas de condamner la loi Egalim moins d’un an après son adoption mais bien de sauver l’esprit des États généraux de l’alimentation qui n’entendaient pas déstabiliser les filières agricoles d’une telle sorte.
Une proposition de loi du Sénat vise à sortir de l’encadrement des promotions en volume les produits les plus saisonniers, expérimenter une clause de révision automatique des prix et revenir à la volonté initiale du législateur concernant l’ordonnance sur les coopératives agricoles en supprimant la possibilité pour le juge de les sanctionner en cas de prix abusivement bas.
Reste que les études sur le sujet doivent s’inscrire dans un temps long. A ce jour, cette proposition est, certes, loin d’avoir produit les effets escomptés mais il se pourrait que les négociations commerciales pour 2020 fassent des étonnés.
De plus, son second volet pour alimentation saine, sûre et durable apporte des mesures intéressantes et bénéfiques en termes de durabilité. Elle a permis de faire évoluer les habitudes alimentaires vers une recherche de qualité en favorisant les circuits courts.
Egalim apporte des avancées conséquentes en matière de protection animale. Elle interdit la création de nouvelles exploitations d’élevage d’animaux en cages et prévoit également l’extension du délit de maltraitance.
L’interdiction des promotions en matière de vente de produits phytopharmaceutiques et biocides constitue aussi un volet important du texte. L’objectif étant de faire baisser considérablement leur usage et de les supprimer à terme. Toutefois, les dernières tendances démontrent une augmentation de l’utilisation des produits phytosanitaires, certainement due aux conditions climatiques peu propices. La fin du glyphosate paraît lointaine.
Mais pour cette loi agricole, le compte n’y est pas !
C’est d’ailleurs en ces termes que le ministre de l’agriculture et de l’alimentation s’est exprimé lors du compte rendu du conseil des ministres le lundi 20 octobre 2019 : « aujourd’hui, il y a un maillon de la chaîne où le compte n’y est pas : c’est l’amont c’est-à-dire celui qui concerne les agriculteurs. »
Le combat n’est pas terminé, les consciences évoluent et ce sont elles qui permettront de redonner sa valeur à l’agriculture. Les processus législatifs sont excessivement limités face aux habitudes de consommation des français. Seule une consommation raisonnée portée sur des produits locaux, répondant à des circuits courts peut permettre de redonner un revenu décent aux producteurs. ■
* Membre de la Commission des Affaires économiques, Jérôme Nury était co-rapporteur sur l’application de la loi Egalim