“La Guyane fait aujourd’hui face à de multiples défis, tant sécuritaires qu’économiques et sociaux, qui sont autant d’interrogations pour la cohésion de la société guyanaise et le développement de la collectivité” constatent d’une seule voix les différents membres de cette délégation, appartenant à plusieurs groupes politiques de la majorité comme de l’opposition, issus de départements représentatifs de la diversité de nos territoires. Aussi, pour assurer le développement économique et social de la Guyane, « en privilégiant les revenus du travail sur des transferts sociaux aujourd’hui massifs », mais aussi prendre en compte les attentes identitaires et culturelles des uns et des autres, répondre aux besoins des populations des régions les plus périphériques, « sans cesser pour autant de veiller aussi à l’unité, à l’équilibre, à la solidarité et au fonctionnement équilibré d’une société guyanaise déstabilisée par les évolutions sociales, l’immigration, l’insécurité, le chômage et l’essor des activités illégales (trafics de drogue et orpaillage) », la délégation souhaite un sursaut. « Des changements radicaux, de nouvelles approches sont non seulement nécessaires mais aussi urgents si la France veut se montrer à la hauteur de ces défis » soulignent fermement les élus qui appellent de leurs vœux à une « Loi Guyane » qui, expliquent-ils, « doit être une loi de programmation quinquennale des moyens que l’Etat doit mobiliser pour sortir de l’impasse guyanaise » mais aussi « une loi de réforme des modes d’action de l’Etat et des collectivités locales en Guyane ».
L’immigration irrégulière : près d’un quart de la population totale de la Guyane
Dans le cadre de la réflexion autour d’une loi à venir, la délégation a identifié trois points clés.
Dans le domaine sécuritaire, la Guyane est confrontée à des problèmes spécifiques qui s’ajoutent à la délinquance de « droit commun » : immigration irrégulière, trafic de stupéfiants et orpaillage illégal qui ne cessent de progresser et de s’aggraver représentent des défis majeurs pour le territoire qui, selon les élus « impliquent un renforcement des moyens d’action des forces de l’ordre ». La mission propose notamment de permettre les fouilles de pirogues transportant du matériel d’orpaillage, en modifiant les procédures et les moyens matériels et humains pour faire face à la massification du trafic de drogue. Sur la question plus que sensible de l’immigration clandestine – la Guyane est le seul territoire de l’Union européenne à disposer d’une frontière terrestre avec l’Amérique du Sud et son accès est aisé avec des frontières poreuses et difficilement contrôlables, les sénateurs plaident en faveur de la création d’un local de rétention administrative (LRA) à Saint-Laurent-du-Maroni. Ils souhaitent également voir renforcer la lutte contre la fraude documentaire en matière d’état civil en autorisant sur le territoire une procédure particulière de vérification de l’authenticité des actes d’état civil étrangers par l’autorité judiciaire. Ils veulent aussi voir adapter les conditions d’acquisition de la nationalité française en Guyane, en introduisant une condition de régularité du séjour des parents lors de la naissance de l’enfant sur le sol français.
Une « démographie galopante »
Autre défi et pas des moindres l’accroissement démographique de la Guyane qui est le deuxième département français en termes de croissance démographique après Mayotte : la population guyanaise a été multipliée par presque cinq en 40 ans. Cet accroissement démographique est essentiellement porté par la natalité ont-ils pu constater. Et comme leur ont fait remarquer les acteurs locaux cette « démographie galopante » n’est pas sans lien avec l’accès aux prestations sociales. Les jeunes femmes ayant décidé d’avoir de nombreux enfants perçoivent plus en touchant les prestations sociales qu’avec un emploi peu rémunérateur. « Cet état de fait a des effets pervers importants dont le premier est une désincitation à travailler » écrivent les sénateurs. S’ajoute à cette question démographique le problème d’infrastructures insuffisamment développées : routes, logements, traitement des déchets, bâtiments scolaires... Ils proposent donc de donner « une nouvelle impulsion pour favoriser l’accès de la population aux services publics, en désenclavant certaines parties du territoire par la construction de nouvelles routes, en renforçant l’appui en ingénierie des collectivités territoriales pour favoriser l’émergence de nouveaux projets et en instituant des organisations territoriales innovantes pour rapprocher l’action publique des habitants ».
Pour un recours accru à l’article 73
Enfin, le troisième point clé identifié par la délégation sénatoriale concerne plus spécifiquement l’adaptation des normes en Guyane pour qu’elles correspondent aux réalités du territoire. Les sénateurs se sont ainsi interrogés sur l’évolution institutionnelle du territoire. Sur place, la réflexion est déjà bien avancée. Une Commission spéciale dédiée a présenté en janvier 2020 au congrès des élus : le « projet Guyane ». Ce document propose de revoir l’organisation territoriale de la Guyane par la création de cinq districts et de transférer de nouvelles compétences aux collectivités guyanaises. Parallèlement, la collectivité territoriale de Guyane réfléchit elle aussi à une adaptation des dispositions législatives et réglementaires en vigueur et à de nouveaux transferts de compétences vers les collectivités guyanaises notent la délégation du Sénat. En trame se pose la question du passage d’une collectivité de l’article 73 à l’article 74 de la Constitution qui revêt certes « un caractère symbolique fort » mais qui, ont pu voir les sénateurs, ne semble toutefois pas faire l’unanimité au sein de la communauté guyanaise. En 2010, la population avait déjà rejeté l’idée d’une telle transformation. Pour les sénateurs, « les facultés offertes par l’article 73 de la Constitution peuvent répondre au besoin d’adaptation des normes nationales en Guyane : les lois et règlements nationaux peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de la collectivité ». Ils proposent pour cela de procéder à un recensement exhaustif des blocages législatifs et réglementaires auxquels sont confrontés les acteurs publics et privés en Guyane mais aussi d’attribuer au préfet de Guyane un pouvoir spécifique de dérogation aux normes réglementaires nationales. ■
*Les membres de la délégation : Philippe Bas (LR, Manche), président, Mathieu Darnaud (LR, Ardèche), Jean-Luc Fichet (Soc et Rep., Finistère), Sophie Joissains (UC, Bouches-du-Rhône) et Thani Mohamed Soilihi (LREM, Mayotte),
Un territoire aux spécificités marquées
• 7 000 kilomètres : distance entre la Guyane et l’Hexagone
• une quarantaine : nombre de langues parlées en Guyane
• 90 % : pourcentage du territoire guyanais couvert par la forêt amazonienne
• 36 % : pourcentage de communes guyanaises accessibles seulement en pirogue ou en avion
• 25 % : pourcentage de la population en situation irrégulière
• 15 % : pourcentage des importations de cocaïne dans l’hexagone en provenance de la Guyane
• 10 à 12 tonnes par an : production d’or en provenance de l’orpaillage illégal (production annuelle déclarée : 1 à 2 tonnes)