Parmi les groupes déjà existants, certains reflètent peu ou prou des formations politiques clairement identifiées : Insoumis, communistes, socialistes, marcheurs, MoDem, Républicains. Les autres en revanche reflètent des aspirations, des courants en nuance, parfois des regroupements « techniques » : quoi qu’il en soit, des groupes qui ne se reconnaissent pas dans l’offre politique nationale existante. C’était le cas des Constructifs en début de mandature ; ce fut ensuite Libertés et Territoires. Et c’est également le cas des deux nouveaux groupes, qui ont reçu une très grande attention médiatique ces derniers temps : le « neuvième groupe », « Écologie, Démocratie et Solidarité » (EDS), et le « dixième groupe », « Agir ensemble » (AE).
J’ai participé à la naissance d’EDS et j’en suis maintenant vice-président. La genèse a été longue et sinueuse ; elle est représentative, certainement, du processus de naissance d’un nouveau groupe, avec un élément de rébellion et un socle de valeurs.
En ce qui concerne la rébellion, on retrouve dans le groupe plusieurs personnalités avec une histoire de rupture. Matthieu Orphelin et Paula Forteza, précédemment députés LREM, ont démissionné du groupe majoritaire en dénonçant une action trop timorée en faveur de l’écologie ou de la démocratie, respectivement. En ce qui concerne Orphelin, le penchant rebelle ne date pas d’hier : je me souviens que c’était lui qui, lors de la toute première réunion de groupe LREM, avait pris la parole en premier après le Président Ferrand, proposant quelques aménagements au Règlement intérieur, qui lui avaient été instantanément refusés. Je peux aussi citer Émilie Cariou, qui a démissionné de son poste de commissaire majoritaire (« whip ») à la commission des finances, ou moi-même, aux côtés de Matthieu Orphelin pour fonder l’intergroupe « ACCÉLÉRONS la transition écologique et solidaire », puis engagé dans les municipales parisiennes dans une démarche indépendante, encore aujourd’hui qualifiée de « dissidente ».
Je pourrais continuer l’énumération : Aurélien Taché et Guillaume Chiche ont volontiers, à l’occasion, haussé la voix pour pousser la majorité à renforcer son action sociale. D’autres députés du groupe LREM, comme Frédérique Tuffnell, Yolaine de Courson, Hubert Julien Laferrière, Annie Chapelier n’avaient pas hésité à mettre en avant le manque de volonté en matière d’écologie. Albane Gaillot, Jennifer de Temmerman, Delphine Bagarry, Martine Wonner, Sébastien Nabot, Sabine Thillaye n’avaient pas non plus hésité à faire part de leurs critiques en fonction du contexte national…
Mais la rébellion ne suffit pas à rassembler, et il fallait aussi des valeurs partagées. Les membres de EDS se retrouvent autour de trois thèmes qui réclament une action urgente. Le premier est l’écologie, face au dérèglement climatique et l’extinction de la biodiversité, dans le nécessaire respect des limites planétaires. Le second est la démocratie, dans l’exercice parlementaire comme dans la vie publique ; au reste, de nombreux exemples nous montrent combien l’écologie, qui demande l’acceptation de choix collectifs exigeants, est liée à la question démocratique, et la convention citoyenne pour le climat le rappelle. Le troisième est la solidarité, dans un monde de plus en plus fracturé. La crise du COVID a renforcé le sentiment d’urgence sur ces trois piliers, à la fois parce qu’elle nous a rappelé notre fragilité et l’interdépendance avec l’environnement, et parce que la relance de l’économie devra s’orchestrer dans le temps long.
La gestation du groupe a été longue et délicate. C’est le regretté Jean-François Cesarini qui avait, le premier, sérieusement travaillé à la création d’un « neuvième groupe » ; l’idée avait circulé, puis le sujet était devenu un serpent de mer, évoluant peu à peu au gré des échéances politiques qui mettaient en valeur des affinités ou des clivages. Au-delà des municipales, un événement en particulier a catalysé les énergies : « Le Jour d’Après », initiative parlementaire regroupant une soixantaine de députés de bords politiques variés, consultant largement pour dégager des thématiques prioritaires d’action publique. La santé, la sobriété, la souveraineté, la solidarité s’étaient dégagées comme des thèmes majeurs. L’idée de consultation citoyenne, renforcée par le regard des experts, était au coeur du Jour d’Après, et rassemblait aussi les fondateurs de EDS.
L’arrivée dans le projet de Delphine Batho, connue pour son exigence et sa force de travail au service de l’écologie politique, a fait beaucoup pour renforcer la légitimité du groupe dans ce domaine, et pour assurer son existence intrinsèque, au-delà d’une simple scission de la majorité. Dans le même temps, les discussions convergeaient sur un point clé, le positionnement politique du groupe : ni dans la majorité, ni dans l’opposition - au service de la France et de l’Europe, au service des valeurs qui définissent son nom. Cette position explicitement neutre, rare, reflète bien la volonté du groupe de se définir par les valeurs qu’il représente, et non pour ou contre l’action du gouvernement. La logique de la Cinquième République veut que tout projet politique se définisse pour ou contre le gouvernement : nous avons choisi de ne pas la suivre.
Le temps de la création du groupe a été l’objet aussi de nombreux débats. Certains le voulaient plus tôt… mais l’histoire sanitaire l’a empêché. D’autres le voulaient plus tard, plaidant pour un « délai de décence » après la crise du COVID. Finalement, ce qui a primé, c’est la logique de créer le groupe juste avant que tout redémarre, avant que l’on connaisse les nouvelles orientations du gouvernement. Ce positionnement a priori était celui d’un groupe qui se prépare à agir en fonction des orientations nationales à venir.
Le groupe majoritaire, soucieux de préserver son intégrité, a multiplié les initiatives pour freiner la perte et éviter la création de ce nouveau groupe. Constitution de groupes de travail, invitation à participer à l’« Acte 3 » du quinquennat, mise en place d’un « sous-groupe » à sensibilité écologique.... Une série de fuites organisées avec brio, de nombreux coups de téléphones ont contribué à démotiver, peu à peu, des députés qui étaient prêts à s’engager mais avaient sous-estimé la difficulté de l’exercice. Cela a duré jusqu’à quelques heures avant la création... Et finalement restaient les plus résolus : nous étions 17 députés à fonder le groupe EDS. Ouverts bien sûr à accueillir tous ceux qui se retrouveraient dans les valeurs comme les méthodes.
La déclaration politique du groupe est le véritable événement fondateur. Cette déclaration s’inscrit résolument dans la nouvelle donne causée par le COVID et la grande crise en cours. Elle met en avant quelques grands enjeux : Souveraineté alimentaire et industrielle, sécurité sanitaire, économie et emplois de proximité, renforcement des liens humains et du vivre-ensemble, égalité femme-homme, accessibilité, éthique numérique, place des sciences dans l’action publique, respect du vivant, ambition éducative et culturelle, diminution de l’empreinte carbone, lutte au service de l’Europe et de la solidarité internationale, objectifs de développement durable, etc.
Première élection du Bureau : un binôme paritaire pour la présidence et pour la vice-présidence, à quoi s’ajoutent des postes de responsabilité en porte-parolat, secrétariat, trésorerie. C’est Matthieu Orphelin et Paula Forteza qui sont élus présidents : l’un très engagé sur l’écologie, l’autre sur la démocratie et le numérique.
Première conférence de presse : l’occasion d’affirmer la volonté collective, en distribuant la parole à tous les membres fondateurs, en prenant bien soin de mettre en avant les femmes. Le groupe comporte 2/3 de femmes, c’est une première dans l’histoire du Parlement. Nous avons veillé à ce que 2/3 des réponses aux journalistes et aux sollicitations des médias soient aussi faites par des femmes. Mais cette action résolue pour la parole féminine n’a été qu’un demi-succès, du fait des biais médiatiques : aux hommes les invitations dans des médias prestigieux et visibles, aux femmes les invitations dans des médias plus confidentiels.
Première photo de groupe : prise sur un pont ; nous avons insisté pour que ce ne soit pas seulement le Bureau, mais tout le groupe qui soit pris en photo. La photo est belle, le titre choisi par le journal l’est moins : « Le poison de la division ». Charmant !
Première question au gouvernement : elle est revenue de droit au Président du groupe, Matthieu Orphelin, qui a interpellé le Premier ministre sur sa politique générale.
Premier vote au Parlement : il a porté sur l’application StopCovid. J’y étais très minoritaire... de fait, j’étais le seul à voter pour dans le groupe. Assumant pleinement sa diversité d’opinions sur un sujet qui relève en partie de l’éthique, le groupe m’a attribué un temps de parole égal à celui de la Présidente, qui défendait, elle, le vote contre.
Première salve de postes publiés : plus de 500 candidatures pour 7 postes ! C’est cette étape clé, celle de l’installation administrative, que le groupe est en train d’effectuer. C’est après tout cela qui constitue la raison d’être d’un groupe : apporter un secrétariat, des moyens d’organiser la parole et l’action publique.
Petit mais déterminé, le neuvième groupe s’apprête à défendre ses idées et sa mission au service du bien public - pour l’écologie, la démocratie et la solidarité. ■