La question du rôle et de la place du Parlement français pendant la crise du Covid s’est posée à plusieurs reprises. Les élus, eux-mêmes se sont largement interrogés sur leur place pendant cette période difficile se plaignant parfois de ne pas avoir été traités correctement par l’exécutif. L’enquête Ifop/Interel montre pourtant qu’en dépit de la période hors normes et inédite de confinement de la population, « une majorité de parlementaires (56 %) considère que leur assemblée a fonctionné de manière satisfaisante ». A quelques nuances près. Les sénateurs sont plus nombreux (3/4) que les députés (4 sur 10) à trouver que leur assemblée « a bien fonctionné ». Ensuite, 64 % des parlementaires exerçant leur premier mandat jugent positivement le fonctionnement de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Inversement, à peine un tiers de ceux ayant exercé au moins 3 mandats considère que leur assemblée a bien fonctionné. Enfin et sans surprise, les parlementaires LREM sont les plus nombreux à trouver que leur assemblée a correctement fonctionné (69 % vs 46 % à gauche et 44 % à droite). « Pour autant, constate Frédéric Dabi, Directeur adjoint de l’Ifop, les députés ou sénateurs quel que soit leur regard sur le fonctionnement de leur assemblée se retrouvent aux deux tiers sur un constat cinglant : la crise du Coronavirus a réduit le rôle et la place du Parlement au profit d’un exécutif prenant des mesures unilatérales. Seuls 34 % des répondants (69 % chez LREM vs 6 % à gauche et 22 % à droite) considèrent que le caractère exceptionnel de la crise n’a pas empêché le Parlement de conserver un rôle prépondérant, par exemple en étant amené à voter dès la fin avril sur le plan de déconfinement ». De ce constat découle assez naturellement une volonté des élus de voir le rôle du Parlement renforcé à travers une réforme de son règlement et une évolution de ses méthodes de travail. Selon l’enquête de l’Ifop, nos parlementaires semblent vouloir porter tout particulièrement leur attention sur le contrôle de l’exécutif. Ils sont ainsi 56 % (députés et sénateurs) à appeler de leurs vœux une réforme en profondeur du contrôle de l’action gouvernementale. Dans le même temps, on note que la quasi-totalité des parlementaires interrogés juge utile « un renforcement des outils permettant le contrôle et l’évaluation de l’action de l’exécutif ». « Cette attente d’évolution touchant à l’équilibre des pouvoirs dépasse nettement en intensité les réformes de fonctionnement plus techniques touchant à la vie parlementaire comme le travail en séance (37 % de souhait de réforme) ou le travail en commission (30 %) » précise Frédéric Dabi.
Sortir le Parlement de son « splendide isolement »
A lire les résultats de l’enquête, on perçoit également le souhait des parlementaires français à placer leur assemblée au plus près des aspirations des Français, de la Société civile. Selon eux, il s’agirait alors de sortir le Parlement du « splendide isolement » dans lequel il se complairait. Les trois quarts des répondants jugent utiles que leur assemblée se saisissent de sujets intéressants les Français via des pétitions citoyennes. Ils sont même 64 % à légitimer « une plus grande place pour les citoyens dans le travail législatif à travers des conférences citoyennes ».
A noter également que les répondants jugent positivement l’apport des experts dans le travail législatif. Ils sont toutefois un peu plus réservés sur la place des représentants d’intérêt dans le travail législatif (68 % de jugement défavorable). « Néanmoins, souligne Frédéric Dabi, il est notable de constater que près d’un parlementaire sur trois jugerait utile que ces représentants d’intérêt aient une place plus grande dans le travail législatif ».
Enfin, plus prosaïquement, l’enquête montre que les parlementaires comme nombre de salariés français se disent prêts à adapter de nouvelles méthodes de travail liées au confinement. Ainsi, 50 % d’entre eux envisagent de recourir davantage à des réunions à distance avec leur groupe parlementaire, 47 % s’agissant de rendez-vous avec des représentants d’intérêt voire 43 % avec des citoyens, « loin de l’imaginaire du contact « direct » entre représentants et représentés » note l’Ifop.
Une feuille de route pour la France d’après
Après cette analyse de la vision du rôle et de la place du Parlement, les élus ont été interrogés sur la France d’après Covid, sur ce qu’il conviendrait de faire et de changer. Sans surprise et de façon transpartisane, les parlementaires s’accordent à une très forte majorité (98 %) sur « la nécessité de reconstituer un système hospitalier efficient » et sur celle de « soutenir le pouvoir d’achat des professions en première ligne durant la crise du Covid » (91 %), Une perception qui est aussi celle de Français interrogés par l’Ifop-Fiducial pour le JDD et Sud Radio.
Par ailleurs, les parlementaires pointent trois grandes orientations à mettre en avant pour la France d’après confinement. Le premier axe est celui de la restauration de la souveraineté via des relocalisations et l’accent mis sur le made in France. 100 % des répondants se sont ainsi prononcés en faveur d’une relocalisation des productions stratégiques (91 % des Français dans le sondage JDD Sud radio). Ils sont tout aussi nombreux à souhaiter que l’on persévère dans une plus grande consommation made in France (99 % parlementaires, 92 % Français). 97 % des parlementaires répondants ont encore dit vouloir que ces deux axes soient pris en compte dans le projet de loi de relance avec l’instauration de mesures d’incitation à la relocalisation. Ils sont également 91 % à attendre un assouplissement de certaines règles européennes pour favoriser le made in France.
La poursuite de la lutte contre le dérèglement climatique
Deuxième axe prôné par nos élus : la poursuite de la lutte contre le réchauffement climatique « malgré l’émergence d’une « bataille d’Hernani » relance de l’économie / climat ». La crise du Covid n’a semble-t-il pas entamé la volonté de lutter contre le réchauffement climatique. Ils sont même 83 % à souhaiter que des contreparties environnementales soient exigées aux entreprises qui bénéficieraient d’un plan de relance. Mais l’ampleur de la crise économique fait quelque peu bouger les lignes semble-t-il : « seule une courte majorité de parlementaires (58 %) estime que la relance de l’économie ne doit pas se faire au détriment des engagements environnementaux. Ce ressenti s’avère majoritaire à gauche et chez LREM mais peu partagé à droite (29 %) ».
Vers une plus grande décentralisation, voilà qui semble être la troisième piste à suivre pour les parlementaires répondants. Un souhait conforté par les enquêtes d’opinion de ces dernières semaines qui ont montré que les Français avaient marqué une réelle défiance à l’égard de l’échelon central dans la gestion de la crise sanitaire tout en saluant dans le même temps l’action des élus et instances territoriales. 72 % des parlementaires (score identique dans le grand public) préconisent la prise en compte croissante des solutions locales portés par les élus des collectivités territoriales alors que 28 % seulement appellent de leurs vœux un renforcement du rôle de l’Etat central pointe l’enquête. Des résultats qui se concluent très naturellement pour trois quarts des parlementaires à demander un nouvel acte de décentralisation permettant de donner de nouvelles prérogatives aux élus locaux.
Une majorité en faveur d’une hausse des dépenses publiques
Mais attention, tout ceci ne veut absolument pas dire que « les parlementaires s’inscrivent dans un logique de tabula rasa » insiste Frédéric Dabi. Les parlementaires ne tiennent pas spécialement à un report ou à une annulation des textes présentés par le gouvernement avant la crise sanitaire : 86 % d’entre eux appellent même de leurs vœux le maintien du projet de Loi sur le grand âge et l’autonomie, 82 % veulent la poursuite des discussions du texte de programmation pluriannuelle de la recherche, ils sont un peu moins dans le cas du texte sur la sécurité intérieure (56 %). Seule la réforme des retraites suscite des demandes d’annulation pure et simple (46 %) ou de report sine die (36 %).
Dernier enseignement à retenir de cette enquête, le consensus qui se dégage chez les parlementaires au sujet du financement des moyens consacrés à la relance de l’économie. Pour 8 parlementaires sur 10 - 94 % des parlementaires de gauche, 86 % des LREM et par près des deux tiers à droite -, la hausse des dépenses publiques permettant d’amortir le choc économique doit se poursuivre sans s’inquiéter d’un probable creusement de la dette publique. « C’est le refus d’un choc fiscal de type 2011-2013 que sous-tend cet unanimisme des réponses » en conclut Frédéric Dabi. Pour ce qui est des recettes fiscales à venir, 97 % des répondants aimeraient voir taxer les plateformes numériques et notamment des GAFA tandis qu’une nette majorité considère qu’un projet de loi de relance devrait inclure la surtaxation des entreprises qui auraient fait des bénéfices durant le confinement (57 %, voire 72 % chez les sénateurs). ■
* Méthodologie : Consultation exhaustive des parlementaires français (députés, députés européens, sénateurs) réalisée par l’Ifop pour Interel, du 28 avril au 18 mai 2020, via un questionnaire auto-administré en ligne. 153 parlementaires ont participé à la consultation : 86 députés, 60 sénateurs, 7 députés français au Parlement européen. Plus d’un député ou sénateur sur 6 a participé à la consultation.