Si pendant la crise sanitaire que nous venons de vivre et dont les conséquences sont loin d’être finies, la question de l’attractivité de la France n’était pas une priorité, à l’heure de la reprise souhaitée, elle prend aujourd’hui tout son sens. Pourquoi ? Tout simplement, oserait-on dire parce que les entreprises étrangères implantées en France emploient 2 millions de personnes, représentent 21 % des dépenses de R&D privées et 31 % de nos exportations « et qu’à ce titre elles sont des éléments incontournables de notre économie et de sa transformation » indique Marc Lhermitte Associé EY en introduction du baromètre EY sur l’attractivité de la France publié fin mai. L’enjeu est aussi de conserver la place emportée de haute lutte de première destination en Europe des investissements étrangers, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne, nos féroces compétiteurs. L’enquête du cabinet EY révèle en effet que la France, avec 1 197 projets annoncés au cours de l’année 2019 devançait pour la première fois le Royaume-Uni (1 109) et l’Allemagne (971). Notre pays s’assurait également cette année encore de la 1re place pour la production et la R&D, « dans la continuité de la forte progression observée en 2017 et 2018 ». Mieux encore, le sondage « Perception » mené en février 2020 par EY confirmait cette tendance : « 32 % des dirigeants estimaient que l’attractivité de la France était en amélioration et 50 % la voyaient se stabiliser, malgré les remous sociaux de 2018 et 2019 » nous apprend EY.
Conserver la première place
Cette première place n’est pas due au hasard mais elle est le résultat d’efforts et d’une politique volontariste visant à faire de la France un pays attractif pour les investisseurs étrangers. “Nous transformerons notre modèle économique et social pour réunir toutes les conditions de la reconquête industrielle” annonçait le candidat Macron dans son programme présidentiel en 2017. Devenu président, Emmanuel Macron s’est appliqué à concrétiser cette promesse en cherchant à réformer le pays et en organisant chaque année à Versailles le sommet « Choose France », un grand rendez-vous pour assurer la promotion de notre pays auprès des investisseurs étrangers. La troisième édition qui s’était tenue en janvier 2020 annonçait un cru prometteur avec 8 milliards d’euros d’investissements annoncés avant, pendant et après le forum. Ainsi, semble-t-il à l’époque, rien n’avait pu enrayer l’enthousiasme des patrons étrangers, ni la crise latente et finissante des gilets jaunes ni même les manifestations et grèves autour du projet de réforme des retraites. « La France est le pays européen le plus attractif pour les investissements industriels, pour les investissements en recherche et développement, ceux qui construisent l’avenir. Notre politique donne des résultats » faisait alors bruyamment remarquer le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire.
Un énorme coup d’arrêt
Mais voilà toutes ces belles perspectives se sont heurtées au mur du Covid-19 et de la pandémie mondiale qui ont rebattu les cartes. « On ne peut pas parler de panique, mais d’un énorme coup d’arrêt pour 2020 » souffle Marc Lhermitte. « La crise amène à revisiter les plans d’investissement, mais les deux tiers des projets de 2019 sont réalisés ou en cours de mise en œuvre » cherche à rassurer l’associé EY qui s’appuie sur les résultats de son baromètre et sur la perception économique française des investisseurs étrangers recueillie entre le 20 et le 30 avril dernier, soit au cœur de la crise. Ainsi donc selon l’analyse d’EY, « 65 % environ des investissements annoncés en 2019 seraient maintenus, 25 % reportés ou fortement révisés et 10 % annulés ». Au-delà, même pour les projets révisés, ceux-ci « pourraient ne pas atteindre leurs objectifs de capacité, de capex et de recrutements dans les délais initialement prévus ». Un taux de « réalisation » qui est le même dans les principaux pays européens ajoute EY. Pour autant, selon les informations reçues, certains secteurs comme la santé, les loisirs en ligne ou le e-commerce, semblent préservés avec une poursuite annoncée des investissements, mais enchaîne EY « l’alerte est donnée sur les sites de production, notamment dans l’aéronautique, l’automobile, les équipements, la chimie et la plasturgie ».
Une forte concurrence entre pays
Reste que la concurrence entre les pays destinataires des IDE en Europe va se révéler ces prochaines semaines et mois probablement plus acerbe que ce que l’on a connu jusqu’alors. « Il n’y aura que quelques centaines d’investissements en Europe et dans quelques secteurs seulement (Télécoms, jeux vidéo, commerce, …) » avertit, soucieux, Marc Lhermitte qui prévient aussi que la politique de relance de la France va « être très regardée » par les dirigeants étrangers et notre pays va devoir rassurer très vite « sur sa stratégie immédiate ». Car c’est bien cette politique de la relance qui va être le grand défi à relever. Interrogés fin avril 2020, 80 % de ces dirigeants estiment que la nature et l’envergure des plans de relance — majoritairement nationaux — ainsi que les trajectoires de sortie de crise pèseront lors des arbitrages concernant la localisation de leurs investissements futurs précise EY.
La compétition de la relance
Les investisseurs veulent être aussi et avant tout rassurés, notamment sur la poursuite du cadre fiscal et réglementaire, qui dans le cadre de la compétitivité, a permis à la France de redresser son attractivité depuis 2017. Mais, deux événements ont jeté un froid sur les bonnes appréciations des dirigeants étrangers : la fermeture sur décision de justice des entrepôts d’Amazon et la fermeture provisoire de l’usine Renault de Sandouville. Ce qui n’est pas sans inquiéter Marc Lhermitte : « Les investisseurs n’ont qu’une crainte, a-t-il expliqué au Point, c’est que la France oublie le paquet compétitivité qu’elle avait mis en place et réagisse à la crise en imposant, par exemple, des contreparties lourdes et autoritaires sur les inévitables plans de sauvegarde de l’emploi à venir, en augmentant la fiscalité des entreprises, en freinant sur l’adaptation nécessaire du temps de travail, etc. Agir de la sorte serait une erreur monumentale car les investisseurs ont besoin de stabilité. La compétition de la relance commence maintenant et, si la France fait un écart vers moins de flexibilité et revient à ces vieux démons, notre pays le paiera très cher. »
Au-delà, le baromètre estime que trois grandes tendances détermineront la destination des investissements internationaux d’ici 2025 : une automatisation et digitalisation des processus industriels, des back-offices et de la relation client (priorité pour 82 % des dirigeants) ; priorité aux nouvelles exigences environnementales et sociétales (57 %) et une reconfiguration des échanges mondiaux et de la supply chain (56 %). ■
Chiffres clés
• France 1ère destination européenne des investissements internationaux en 2019.
• 1 197 projets annoncés en 2019 (+17 %),notamment dans le digital, les services, la R&D.
• 32 % des dirigeants voient l’image de la France en amélioration,
• 50 % en stabilisation.
• 65 % des projets annoncés en 2019 sont lancés ou en place, mais soumis à révision…
• ... et 81 % des investissements 2020 sont réduits ou reportés, mais peu sont annulés.
• 80 % des décisions 2020 en Europe s’articuleront autour des plans de relance.
3 transformations à l’horizon 2025
• Digitale (relation clients, automatisation, télétravail…)
• Industrielle (nouveau mix de reshoring, nearshoring et offshoring)
• Environnementale (consommation locale, décarbonisation, sobriété…)