Mais nul doute que le débat houleux entre experts, politiques et entrepreneurs autour de la reconstruction de Notre-Dame devrait vite reprendre à l’image de ce que l’on a pu entendre en janvier dernier lors d’une audition à l’Assemblée nationale au cours de laquelle le vice-président du Conseil national de l’Ordre des Architectes se prononçait en faveur d’une charpente en bois pour des questions d’écologie et de solidité.
Beaucoup de monde est présent ce 8 juin sur et autour du parvis de Notre-Dame de Paris. Les travaux de consolidation et de restauration de Notre-Dame de Paris vont enfin pouvoir reprendre après de trop longues semaines d’arrêt pour cause de confinement. Une reprise en fanfare puisqu’il a été décidé de s’attaquer au démontage de l’imposant corset de fer qui enserre la cathédrale. « La flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris était en restauration lors de l’incendie du 15 avril 2019. L’échafaudage installé pour cette opération a résisté à l’effondrement de la flèche mais il a été déformé par la chaleur de l’incendie » détaille un communiqué de l’établissement public chargé de la restauration de la cathédrale. Le démontage de l’échafaudage qui devrait durer « tout au long de l’été » est une étape importante dans le chantier de Notre-Dame. Le risque principal est celui de l’effondrement de la voûte fragilisée par l’incendie qui doit supporter le poids de ce corset de fer fait de 40 000 pièces de 200 tonnes dont la moitié se trouve à plus de 40 mètres de haut. Une des dernières opérations d’avant confinement avait été justement de consolider l’ensemble en ceinturant l’échafaudage de « poutres métalliques sur trois niveaux afin de le stabiliser et d’empêcher tout risque d’écroulement » explique l’établissement public. Cette étape a été suivie par la mise en place d’un autre échafaudage sur lequel opère « deux équipes en alternance de cinq cordistes [qui] descendront au plus près des parties calcinées pour découper, à l’aide de scies sabres, les tubes métalliques fondus les uns sur les autres » ajoute le communiqué avant que ces morceaux soient redescendus via une gigantesque grue de 80 mètres.
Quel matériau pour la charpente ?
Cet épisode n’en est qu’un parmi de nombreux autres. A plusieurs reprises, le chantier a subi des arrêts inopinés soit parce qu’il fallait procéder à la dépollution au plomb du site, soit parce que les vents trop forts empêchaient les ouvriers de travailler en toute sécurité. Puis la crise du Covid-19 est venue s’ajouter à ces aléas menaçant sérieusement le chantier et le délai de cinq ans imposé par le Chef de l’Etat au lendemain de l’incendie.
Mais il faut encore ajouter à ces questions que l’on pourrait qualifier d’opérationnelles, les débats et autres discussions sur la nature même de la restauration. Comme c’est le cas à chaque fois que l’un des protagonistes du chantier prend la parole.
En janvier dernier, lors d’une des dernières auditions organisées par la mission d’information pour le suivi de la loi pour la restauration de Notre-Dame de l’Assemblée nationale avant confinement, le vice-président du Conseil national de l’ordre des Architectes, Eric Wirth avait alors clairement exprimé sa préférence pour une charpente en bois pour remplacer la « forêt » millénaire partie en fumée dans la nuit du 14 au 15 avril 2019. « Le matériau le plus moderne, le plus écologique aujourd’hui, indiquait-il aux députés, c’est le bois, c’est celui qui stocke le carbone. Et il n’y a pas de contre-indications malgré toutes les fausses rumeurs ». Dans le viseur de l’architecte, les propos tenus par le général Georgelin, président de l’Etablissement public chargé du chantier de Notre-Dame, qui, sur Europe 1* avait fermement démenti que l’option du chêne aurait été retenue pour la charpente (et même pour la flèche) en lieu et place du métal ou du béton : « Il y aura une étude, examen de toutes les options possibles ». Fidèle à son franc-parler, le général avait ensuite lâché qu’on pouvait y voir là un « lobbying » de la filière bois. « Parler de lobbying sur un sujet comme celui-là, ce n’est pas à l’échelle et à l’honneur de cet édifice » protestait alors vivement devant les députés Eric Wirth. « Ça fait 800 ans que la cathédrale est là. Si l’ouvrage avait été en acier, il n’y aurait plus eu de cathédrale. Même avec toutes les protections, vu le brasier... le fer tient une demi-heure, une heure et après se tord, il tire sur les parois et fait tout écrouler » leur précisait-il « Il faut se méfier des fausses bonnes solutions » ajoutait l’architecte en évoquant l’option de charpentes en fer ou en béton « beaucoup plus légères ». « Ces cathédrales tiennent structurellement parce qu’il y a une masse sur une voûte [...] ça fonctionne parce que c’est lourd » insistait l’expert. En mai 2019, lors d’une audition publique au Sénat, l’architecte en chef des monuments historiques, Pascal Prunet avait aussi semblé plaider en faveur d’une charpente en bois. « L’usage du bois est probablement la bonne solution » énonçait-il alors : « Pour sa souplesse notamment. Et trouver du bois n’est pas un problème. A priori, tout permet de penser qu’on peut reconstruire la charpente en bois ».
Lors de leurs auditions respectives, Eric Wirth comme Pascal Prunet se félicitaient l’un comme l’autre d’avoir « toutes les informations, relevés topographiques, informatiques, numériques, pour reconstruire à l’identique » et ainsi d’avoir « une connaissance parfaite » de la charpente du Moyen-Âge. Quant à la question du coût, Eric Wirth a balayé le sujet d’un revers de main expliquant que l’on n’était pas « dans des logiques économiques, l’argent est là ».
Egalement interrogé sur la reconstruction de la flèche, Eric Wirth aimerait la voir rebâtie à l’identique. Selon lui, « les vrais innovations, c’est aux abords de Notre-Dame qu’il faudra les faire », sans pour autant les confier à des « architectes bling-bling ».
Quel délai ?
Questionné ensuite sur le délai de 5 ans préconisés par le Chef de l’Etat avant de voir la cathédrale réouverte, le vice-président du Conseil de l’Ordre des Architectes se montrait déjà circonspect : ce délai est « un objectif mais pas un impératif » surtout au regard du temps du diagnostic qui risque d’être encore « extrêmement long » a-t-il répondu aux députés. Nous n’étions alors qu’en janvier et l’arrêt du chantier pour cause de Covid-19 n’était pas encore à l’ordre du jour. Pour rattraper le retard pris, on peut miser sur le général Georgelin qui lors de son audition par les sénateurs de la Commission de la Culture le 21 janvier dernier avait très vite réenfilé son uniforme pour indiquer que son rôle à la tête de la « task force Notre-Dame », véritable « unité de commandement » était d’empêcher « toute procrastination ». « Je suis là pour que ça avance ». « Mon rôle est de faire la chasse à tout ce qui pourrait retarder le chantier par absence de mobilisation ». Pour le général, il est par exemple hors de question de « constituer une commission pendant trois mois pour décider d’un changement de pierre ». Le général Georgelin s’était aussi voulu rigoureux en assurant qu’il n’était pas prévu de faire « n’importe quoi pour arriver aux cinq ans, nous ne travaillons pas de manière bâclée. Nous travaillons pour les siècles ». Des propos prémonitoires puisqu’il apparaît que le chantier pourrait finalement durer plus longtemps que prévu et que l’ouverture dans son intégralité de la cathédrale semble aujourd’hui difficilement tenable pour le 16 avril 2024, date promise par Emmanuel Macron. Si pour Christophe Rousselot, délégué général de la Fondation Notre-Dame et premier pourvoyeur de fonds pour la restructuration de l’édifice, "ce délai semble tenable", il ne l’est que pour une ouverture partielle de la cathédrale. « Il n’est pas systématique que la cathédrale soit entièrement rouverte. Si on parle de l’ensemble de l’édifice, avec un ravalement extérieur par exemple, évidemment que ce sera beaucoup plus long » a-t-il déclaré sur BFMTV* avant d’imaginer que certaines parties de la cathédrale pourraient être ouvertes « dans des conditions de sécurité satisfaisantes dans ce délai », « des offices pourraient y être tenus et quelques points de visites » pourraient être mis en place.
Une forte hausse du budget à prévoir
Enfin, autre débat, celui du financement du chantier. Sur ce point, Christophe Rousselot juge que « l’enveloppe destinée aux travaux de rénovation devrait grossir ». Actuellement estimé à 85 millions d’euros, dont 45 % à la charge de la Fondation Notre-Dame, le budget de consolidation et de sécurisation de l’édifice « pourrait doubler » pour atteindre 160 millions d’euros. « Dans un chantier comme ça, vous avez toujours un budget qui évolue ». Cette augmentation est notamment due à la location de la grue de 80 mètres qui est restée inutilisée et par l’arrêt du chantier pendant les 2 mois du confinement a expliqué Christophe Rousselot. Suite au prochain épisode. ■
* Le Général Jean-Louis Georgelin était l’invité du « Grand Rendez-vous » Europe 1-CNews – Les Echos – Dimanche 5 janvier 2020
** BFMTV 9 juin 2020