La France a un talent assez unique sur la scène internationale : celui de vouloir tout réglementer et d’arriver, malgré tout, à se mettre en danger. Au plus fort de la crise de la Covid-19, elle n’a pu assurer son autonomie sanitaire. Elle n’est pas parvenue à produire un nombre suffisant de masques de protection ou médicaux (à peine 4 millions hebdomadaire au début de la pandémie), elle a été contrainte d’en importer massivement (pour 1,78 milliard d’euros lors du pic du mois de mai) et elle n’a pas pu empêcher l’entrée sur le territoire de masques dont les normes américaines ou chinoises ne répondaient pas aux normes françaises (NF EN149+A1 pour les masques de protection type FFP2/FFP3, NF EN 14683* pour les masques chirurgicaux).
Ces échecs retentissants sont le résultat d’une multiplication des textes et de la lourdeur administrative qui pèsent sur les fabricants français de masques mais également sur les importateurs. Il suffit de se plonger dans le Guide douanier d’importation de masques (version mise à jour le 20 juillet 2020, 50 pages) pour s’en faire une petite idée. Depuis le début de la pandémie, deux nouvelles catégories de masques ont été officiellement créées : d’une part, ceux dits grand public, soumis à de nouvelles spécification technique et apposition d’un logo, et d’autre part, les modèles « ordinaires » qui ne répondent à aucun dispositif particulier, sans marque ni logo. Mais pourquoi avoir créé une classification particulière si elles ne répondent à aucune norme ? Ce n’est pas tout.
Les masques destinés au grand public se déclinent eux-mêmes en deux sous-parties, selon la note interministérielle du 29 mars 2020 révisée mi-avril (filtrants individuels à usage des professionnels en contact avec le public et filtrants de protection à visée collective pour protéger l’ensemble d’un groupe sans contact avec le public). Pour ces nouvelles catégories, tout fabricant ou importateur doit se lancer dans un véritable parcours du combattant s’il veut les commercialiser : il doit faire réaliser des essais par un tiers compétent (DGA, LNE, …), demander via l’adresse Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. la publication des résultats de ces essais, apposer le logo attestant du respect des spécifications de cette note interministérielle, indiquer les performances de filtration sur l’emballage, fournir une notice indiquant le mode d’utilisation, de lavage et d’entretien du masque…et enfin envoyer un rapport bimensuel à la DGE (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.). De quoi décourager plus d’un entrepreneur.
Autre exemple : après avoir admis différentes normes étrangères par équivalence fin mars, ce qui a aussi fait intervenir de nouvelles procédures (déclaration de conformité faite par l’importateur, attestation de conformité validée par un organisme notifié de l’UE, rapport d’essai ou dossier technique), le Gouvernement a mis fin à cette dérogation le 2 septembre alors même que la deuxième vague se préparait. Seule la norme CE est désormais valable. Tout ceci n’aurait sans doute pas grande importance si l’enjeu n’était pas l’avenir de notre santé.
Même constat d’échec sur les gels hydroalcooliques qui font l’objet d’une norme spécifique (NF EN 14476). L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) indique que « seules les solutions ou gels hydroalcooliques ayant une teneur en alcool (éthanol, propan-1-ol ou propan-2-ol), exprimée en volume, d’au moins 60 % ou répondant à la norme EN 144766 sont efficaces en matière de désinfection. » Malgré cela, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne cesse de rappeler des lots en raison de leur inefficacité antibactérienne (12 marques rappelées entre mars et novembre). En date du 12 novembre, sur 180 prélèvements ciblés de gels, 73 % des produits analysés ont été jugés non-conformes, ou non-conformes (38 %) et dangereux (35 %)
Avec la crise sanitaire liée au Covid-19, l’inflation législative a retrouvé, tous secteurs confondus, toute sa vigueur. Comme très souvent, le législateur a agi avant tout pour protéger le citoyen et là, il s’en est donné à cœur joie. Le résultat donne d’autant plus le tournis que les lois se sont ajoutées aux autres travaux parlementaires, et empilées au fur et à mesure des avancées de l’épidémie et des connaissances du corps médical sur cette terrible maladie. L’objectif ultime, rappelons-le, étant certes de sauver l’économie mais surtout, de ne pas engorger les services hospitaliers d’urgences. En neuf mois, l’Assemblée nationale a donc accouché de plusieurs lois (évidemment avec leurs articles correspondants) portant sur l’état d’urgence, tandis qu’une multitude de décrets a été signée. Passons les principaux en revue.
Lors du premier confinement, un état d’urgence a été instauré le 24 mars 2020, suite à la publication au Journal officiel, un jour plus tôt, de la loi du 23 mars n° 2020-290 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Parce qu’il a fallu le prolonger jusqu’au 10 juillet 2020, la loi du 11 mai 2020 n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a donc été écrite ad-hoc. Mais c’était sans compter sur le second état d’urgence sanitaire prévu par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire, approuvé en Conseil des ministres. Visiblement, tout n’avait pas été dit puisque deux jours plus tard, est arrivé de Matignon le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Le Premier ministre avait-il sans doute encore omis quelques détails… Un problème qu’il s’est empressé visiblement de régler avec le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Une fois encore, il a fallu prolonger l’état d’urgence jusqu’au 16 février 2021, avec une période transitoire jusqu’au 1er avril 2021. Et c’est la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, qui s’en est chargée.
Même inflation législative en ce qui concerne la liste des commerces ouverts et ceux qui doivent rester fermés avec le second confinement (lors du premier, c’était bien plus simple puisqu’à de très rares exceptions près tout était fermé). Tout commence avec le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire qui pose les bases. Il a été complété par le décret n° 2020-1454 du 27 novembre 2020 modifiant le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire : il précise le type de commerces qui peuvent être ouverts. Et parce qu’il aurait été dommage de ne pas prévoir la réouverture de la plupart des commerces (à l’exception principalement des bars et des restaurants), le Premier ministre a signé le décret n° 2020-1505 du 2 décembre 2020 modifiant les décrets n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Est-ce suffisant ? Pas si sûr… ■
(*) Marie de Greef-Madelin et Frédéric Paya sont les auteurs de l’ouvrage Normes, réglementations… Mais laissez-nous VIVRE ! (éditions Plon). En décembre 2020, ce livre a reçu le Prix Lucien Dupont, de l’Académie des Sciences morales et politiques.