La guerre au Yémen pourrait avoir été l’étincelle qui a mis le feu à la poudre et être l’élément déclencheur de ce rapport d’information. Qualifié de « véritable catastrophe humanitaire » le conflit au Yémen où des armes européennes sont utilisées par l’Arabie Saoudite dans les combats mais aussi l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi sont venus « remettre en cause le consensus traditionnel sur l’exportation d’armements » en France écrivent les députés Michèle Tabarot (LR) et Jacques Maire (LREM) dans leur rapport. Sous pression médiatique et des organisations non gouvernementales (ONG), « le contentieux monte en puissance » constatent les députés. Car au-delà même des armes, le débat se fait plus précis en visant également l’utilisation des biens à double usage, civil et militaire, et notamment les technologies d’interception et de traitement des communications comme les drones et les systèmes de cybersurveillance, « qui comportent des risques absolument majeurs au regard du respect des droits humains ». « Les recours pénaux se multiplient aussi, en France comme à l’étranger, et mettent potentiellement en cause la responsabilité des entreprises aujourd’hui et celle des autorités publiques demain » alertent les rapporteurs qui regrettent dans le même temps une prise de conscience de ces mêmes autorités « encore assez limitée ». « Quant à l’attitude de l’immense majorité des industriels, elle dénote une forme de déni de responsabilités, jugent sévèrement les deux élus, ils se sentent exonérés de toute mise en cause pour exporter sous licence ».
Pas de remise en cause du partenariat stratégique
Si divers pays européens, comme l’Allemagne, ont suspendu leurs exportations avec l’Arabie Saoudite, la France n’a pas bougé ni remis en cause le partenariat stratégique qui la lie à plusieurs pays du Golfe participants à la guerre au Yémen. Pour nombre de parlementaires, cet état de fait ne pouvait pas perdurer. En avril 2018, une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête parlementaire sur les ventes d’armes françaises aux acteurs du conflit au Yémen avait été déposée sans que cela n’aille plus loin. Mais compte tenu de l’importance du sujet, la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée a créé en décembre 2018, une mission d’information sur le contrôle d’exportations d’armement, « un mandat large qui ne traite pas spécifiquement des exportations françaises en direction des monarchies du Golfe ».
Après 18 mois de travail, des auditions de plus de 180 acteurs sans compter les nombreuses rencontres informelles, et des déplacements dans 4 pays, le rapport dont « la rédaction s’est révélée fort difficile » (informations en partie classifiées et capacité à partager une vision critique « peu répandue »), « propose une analyse approfondie de la question des exportations d’armements en France ». Il fait alors plus d’une trentaine de propositions dont on pourrait notamment retenir en priorité celle qui vise à renforcer le contrôle parlementaire, avec la création d’une nouvelle délégation parlementaire sur le modèle déjà existant de la délégation parlementaire au renseignement (DPR). « L’enjeu principal est de doter le Parlement français d’un véritable pouvoir de contrôle. Alors que le débat sur ce sujet donne parfois l’impression d’un dialogue de sourd entre l’exécutif et les organisations non gouvernementales, il existe un espace politique pour que le Parlement joue un rôle de garant et d’aiguillon de la politique d’exportation de la France » expliquent les deux rapporteurs.
Un Parlement informé que de manière « limitée »
Alors qu’aujourd’hui le Parlement n’est informé que de manière « limitée » sans disposer « d’un réel pouvoir de contrôle sur les exportations d’armements de la France », les rapporteurs voient alors dans la création d’un organe parlementaire chargé du contrôle des exportations d’armement le moyen de « combler ce vide ». Ce serait aussi faire acte de transparence, notamment quant à l’examen des demandes de licences. « Dans notre pays, l’exécutif est juge et partie de la qualité du processus d’examen des demandes de licences, notamment quant à l’examen rigoureux du respect du droit international humanitaire. Cette situation n’est pas à la hauteur d’une démocratie mature organisant un contrôle de l’action publique » jugent-ils. « L’opacité actuelle alimente les controverses sur la politique d’exportation de la France ». Cela permettrait aussi de « permettre un débat informé vis-à-vis de l’opinion publique » toujours plus soucieuse de ces questions. « Entre un pouvoir exécutif qui décide et des ONG qui critiquent, il existe un espace pour permettre à la représentation nationale de s’affirmer et de faire le lien avec l’opinion publique. C’est bien le rôle du Parlement, qui doit être le lieu où les points de vue s’expriment sur la base d’une réelle appropriation des acteurs » assurent en chœur Michèle Tabarot et Jacques Maire. « Il ne suffit pas que le Parlement contrôle l’exécutif ; encore faut-il qu’il en rende compte auprès de l’opinion publique ». « Aussi afin de pouvoir répondre aux interrogations de l’opinion publique, le Parlement devrait avoir les moyens d’appréhender les différents déterminants du commerce des armes, y compris les enjeux de souveraineté et de préservation de la BITD (1) ».
Une délégation dotée d’un « droit d’information »
Si le contrôle a priori, tel que pratiqué en Suède ou aux Etats-Unis n’est pas faisable dans notre pays du fait de la séparation des pouvoirs et du rôle dévolu à l’exécutif par notre Constitution, les rapporteurs prônent un contrôle a posteriori dans le même esprit que celui de la DPR.
La délégation parlementaire au contrôle des exportations d’armements, commune donc aux deux Chambres, se verrait dotée d’un droit d’information « dont la solidité dépend étroitement de la base juridique retenue, et d’un droit à émettre des recommandations, confidentielles quand elles sont spécifiques à une situation ». Les députés proposent qu’elle puisse aussi émettre « ponctuellement » des avis sur des demandes en cours d’examen. Et au-delà de sa fonction de contrôle, la délégation aurait également pour mission d’enrichir le débat public à travers un rapport annuel. Après une présentation devant les commissions en charge des questions de défense et d’Affaires étrangères, Michèle Tabarot et Jacques Maire proposent « qu’à terme », un débat en séance publique de l’Assemblée nationale soit instauré. En attendant, les rapporteurs appellent à la création rapide d’une commission de travail, si possible bicamérale qui « engagerait un travail commun entre l’Assemblée nationale et le Sénat afin d’assurer un premier suivi des exportations en vue d’enrichir le débat sur le rapport du Gouvernement en 2021, mais également de préparer le dispositif institutionnel qui sera mis en œuvre ». ■
* Rapport d’information n°3581 de Jacques Maire et Michèle Tabarot en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 31 octobre 2018 sur le contrôle des exportations d’armement présenté le 18 novembre en commission des Affaires étrangères.
(1) Une base industrielle et technologique de défense (BITD) désigne l’ensemble des industries nationales d’un pays prenant part aux activités de défense ; elle est aussi appelée « industrie de défense » ou encore « industrie de souveraineté ».