La biodiversité s’effondre trop rapidement – n’oublions pas que 25 % des plantes et animaux sont actuellement en risque d’extinction - ; la crise climatique est déjà une réalité – en attestent les catastrophes naturelles de plus en plus fréquentes et violentes : inondations, tempêtes et ouragans, sécheresses… - ; le modèle social est remis en cause – rappelons-nous des récentes et nombreuses manifestations qui ont conduit à l’organisation du Grand Débat ou de la Convention Citoyenne pour le Climat… Face à ces risques, les entreprises initient progressivement des démarches pour traiter, un à un, ces enjeux globaux. Or, les enjeux de biodiversité, du climat, de santé ou encore d’inégalité sont tous, d’une manière ou d’une autre, interdépendants. Il n’est plus question de penser agir en silo, il est temps de penser et de traiter chaque thématique de manière transversale. La transition doit se faire selon une approche systémique afin que les solutions proposées soient cohérentes et coordonnées.
Cette approche, portée depuis déjà de nombreuses années par des experts et une poignée d’entreprises visionnaires, a été ancrée en 2015 par les 193 Etats membres des Nations Unies à travers les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD). Cet Agenda mondial pour 2030 définit les priorités pour tous les acteurs de la société pour un monde durable. Cela suppose de s’appuyer sur ces objectifs pour, d’une part, renforcer les stratégies, mesures et actions qui y sont favorables et, d’autre part, arrêter progressivement celles qui ne le sont pas.
Cela fait maintenant cinq ans que les ODD ont été adoptés, un temps suffisamment raisonnable pour que les acteurs français aient eu le temps de s’approprier l’Agenda, de définir leur plan d’actions et de mettre en place ces dernières ! D’autant plus que la France a présenté sa feuille de route en 2019. Alors comment se positionnent les entreprises ?
Nous notons dans notre dernière baromètre annuel « entreprises et ODD » (5 ans après, comment les entreprises se saisissent des ODD ? (1)) une évolution positive. Les 120 entreprises (SBF120) étudiées ont désormais connaissance de ces 17 ODD et sont de plus en plus nombreuses à les utiliser dans leur document annuel, notamment dans la Déclaration de performance extra-financière (DPEF), à laquelle elles sont soumises depuis 2019. « Plus nombreuses » parce qu’elles sont plus de trois quarts au sein du SBF 120 à mentionner les ODD, soit 20 % de plus que l’an passé. Depuis 2015, on observe une utilisation croissante de l’Agenda 2030. Elles ne se limitent pas seulement à une utilisation succincte, comme c’était le cas les premières années, mais vont chercher à comprendre ce que signifient chacun des ODD vis-à-vis de leurs activités et stratégies et quelle en est l’ambition.
Une autre évolution intéressante est que les ODD commencent à être intégrés dans les modèles d’affaires des entreprises. Ils les questionnent ainsi de manière très transversale sur leur fonctionnement ainsi que sur leur impact sur la société dans son ensemble, et met en avant l’utilité – ou non – de leur métier pour leur écosystème de parties prenantes. De même, les ODD constituent un guide pour orienter la raison d’être pour un impact renforcé. Une dizaine d’entreprises pionnières s’attèlent à cet exercice !
Pour autant, si les crises que je mentionnais s’accélèrent c’est bien parce qu’il y a encore une forte marge de progression. Ainsi, même si les acteurs économiques se sont saisis de l’Agenda international que sont les 17 ODD, nous sommes encore loin d’atteindre l’ensemble des objectifs d’après les dernières évaluations de l’ONU. Il reste 10 ans pour les atteindre. Alors que reste-t-il à faire ?
D’abord, rappelons que le calendrier étant défini pour 2030, les acteurs de la société doivent suivre leur contribution aux 17 ODD dans le temps. L’objectif étant de réajuster sa trajectoire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle dès 2015 les Nations Unies, puis en 2018 l’INSEE et le CNIS en France, ont défini des indicateurs afin de suivre la réalisation des différents objectifs. Les entreprises les plus exemplaires s’appuient sur ces indicateurs ainsi que sur leurs propres indicateurs de performance pour se positionner par rapport aux 17 ODD. Un outil pertinent pour aligner sa stratégie et ses actions avec l’Agenda international mais aussi avec les ambitions de la France.
Pour autant, suivre sa contribution à l’Agenda 2030 est une chose, réorienter ses activités, produits et services en est une autre...
Comme je le rappelais, l’approche portée par les ODD est systémique. Les enjeux sont interdépendants : la crise de la biodiversité (ODD 15) influe directement sur les cultures alimentaires et pratiques agricoles (ODD2), impactant ainsi l’économie des entreprises (ODD8) et l’alimentation des uns et des autres (ODD 1 et 2)… Il ne suffit donc pas d’identifier et de suivre comment son activité contribue positivement à la réalisation d’un ou plusieurs objectifs. L’ambition est plus grande : s’intéresser aussi à l’impact négatif d’un projet, d’une activité, d’un produit ou d’un service sur ces objectifs, et de travailler à l’éviter ou le réduire. Les ODD étant transversaux, ils permettent d’aller au-delà d’une unique dimension. Un projet peut avoir un impact positif sur l’une des thématiques et en parallèle un impact négatif sur une autre. Ainsi, l’entreprise peut réinventer ses produits et services, ses métiers et son business model pour les aligner avec les ODD !
Le virage commence à se faire et la dynamique est maintenant poussée par la sphère financière. Cela fait plusieurs années que la finance durable se développe. Cette année, les événements ont mis en lumière les acteurs de ce mouvement, plus résilients que les autres. En lien avec ces signaux, les investisseurs, qui démontraient l’an dernier pour certains être encore frileux sur les ODD, les intègrent de plus en plus dans leurs analyses, investissements et dans leurs produits. Une dynamique de fond puisque sera adoptée prochainement la taxonomie verte au niveau européen qui va discriminer les activités bénéfiques de celles qui entravent la transition écologique. Cela va inviter les investisseurs à limiter leurs participations ayant un impact négatif pour l’environnement (investissement marron notamment) pour favoriser les entreprises ayant développé des business model verts. Un exemple fort qui met en lumière le besoin des acteurs de la société de se questionner sur l’impact de leurs activités afin de continuer de développer les activités favorables à un développement équitable et soutenable, de renforcer leurs efforts pour diminuer les éventuels impacts négatifs des projets et d’abandonner ceux trop néfastes pour la planète ou les populations.
Ce qui est sûr, c’est que les champions de demain seront les entreprises qui auront pris le plus tôt et en profondeur, le virage de la transition écologique ! ■
1. https://www.bl-evolution.com/publication/etude-2020-5-ans-apres-comment-les-entreprises-se-saisissent-des-odd/