Décarboner les bâtiments est un enjeu majeur de la transition bas-carbone. Le gouvernement a donc demandé au Haut conseil pour le climat de se pencher sur les expériences croisées de quatre pays européens pour mieux mettre en perspective nos propres difficultés.
Les expériences étrangères et les expérimentations déjà en place dans les territoires ont permis de formuler de grands ensembles de recommandations afin de renforcer les politiques de rénovation énergétique française :
1. Massifier les aides et les efforts sur les rénovations en profondeur (soit globales soit isolées mais efficaces et encadrées). Les conditionner au gain de performance.
2. Développer plus fortement l’offre de chauffage bas-carbone (par exemple les pompes à chaleur électriques et les réseaux de chaleur urbains).
3. Rénover les bâtiments publics pour donner l’exemple, en définissant des feuilles de route par branche de ce parc, soutenir les obligations de rénovation qui réduisent les vulnérabilités et structurer les filières économiques.
4. D’urgence suivre et évaluer les politiques de rénovation énergétique des bâtiments, en publiant les travaux, même préliminaires, de l’observatoire de la rénovation énergétique.
Intégrer les enjeux d’adaptation au changement climatique dans la stratégie de rénovation, en particulier le confort d’été. Il faut limiter dès maintenant la consommation future des équipements d’air conditionné.
Le secteur du bâtiment peut et doit être complètement décarboné, pour que la France atteigne son objectif de neutralité carbone en 2050. La France s’est fixé des objectifs ambitieux dans le secteur des bâtiments, mais a déjà accumulé un retard important sur la trajectoire de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), avec un dépassement du premier budget carbone d’environ 11 % (période 2015-2018). Le rythme de réduction des émissions de ce secteur de 2 à 3 % par an, demeure plus de deux fois inférieur au rythme à atteindre tel que stipulé par la SNBC.
La rénovation énergétique du bâtiment, telle que définie dans ce rapport, comprend d’une part l’amélioration de l’efficacité énergétique du bâtiment lui-même - isolation de l’enveloppe et amélioration du rendement du système de chauffage - et d’autre part le changement de source d’énergie vers une source ou un vecteur énergétique décarboné (électricité, chauffage urbain, biomasse, solaire thermique, etc.).
La Commission européenne estime que le taux annuel de rénovation énergétique des bâtiments européens doit à minima doubler d’ici 2030, en portant une attention particulière sur les rénovations dites profondes, c’est-à-dire qui améliorent de façon significative l’efficacité énergétique du bâti, et en évitant des approches « par gestes », sans réflexion globale et cohérente.
L’effort de transition de ce secteur demande une planification sur plusieurs années, coordonnée entre le gouvernement et les territoires. Cette planification doit intégrer l’accompagnement et le financement des ménages et des entreprises, ainsi que le développement des filières de rénovation et de construction bas-carbone, afin que l’ensemble du parc des bâtiments soit décarboné en 2050. Elle doit également inclure les enjeux d’adaptation au changement climatique, tout particulièrement le confort thermique en saison chaude, dans un contexte d’augmentation de la fréquence des vagues de chaleur, qui s’intensifiera au cours des prochaines décennies.
Le problème identifié est principalement que les rénovations faites ne permettent pas d’améliorations suffisantes de la performance énergétique. Sur la période récente, seulement 0,2 % des bâtiments ont subi des rénovations performantes selon les dernières données disponibles (2012 – 2016), un objectif à multiplier par 5 d’ici 2022 et 10 d’ici 2030. Sur la période récente (2012-2016), le secteur résidentiel compte 60 à 70 000 rénovations profondes effectuées annuellement. Conformément aux objectifs fixés dans la SNBC, il faudrait 370 000 rénovations complètes par an à minima après 2022 et 700 000 par an à partir de 2030.
Le gouvernement nous a demandé de comparer dans ce rapport les actions de la France avec les politiques et mesures en place dans quatre pays, soit l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Suède. Tous les pays ont du mal à atteindre leurs objectifs mais tous nous enseignent quelque chose.
Les trois quarts des bâtiments européens demeurent inefficaces et mal isolés, entraînant des besoins énergétiques élevés, ainsi qu’un problème majeur de précarité énergétique. Les bâtiments consomment ainsi près de 40 % de l’énergie finale en Europe. Les systèmes de chauffage, premier poste de consommation des bâtiments, demeurent largement carbonés (principalement gaz naturel et fioul domestique).
Le retard observé en France pour la décarbonation du secteur des bâtiments peut s’expliquer par les nombreux blocages liés à la rénovation énergétique : politiques et mesures inadaptées aux besoins de rénovation profonde, temps long nécessaire à la rénovation des bâtiments et à la structuration de la filière, faible capacité de financement des ménages, manque d’incitation et d’accompagnement dans le résidentiel mais aussi le tertiaire, défaut de maîtrise des solutions techniques, ou encore déficit d’information. Ces blocages freinent la mise en place des changements structurels nécessaires à la réduction des émissions, et se retrouvent à des degrés divers dans les quatre pays du parangonnage. La rénovation énergétique reste en effet un défi majeur pour les pays étudiés dans ce rapport, qui connaissent tous des rythmes de rénovation inférieurs à leurs objectifs.
Le défi pour décarboner le secteur en France est double, premièrement accélérer le rythme des rénovations profondes, et deuxièmement, conserver ce rythme dans la durée (plusieurs décennies). Aujourd’hui, une logique de gestes isolés de rénovation prédomine. Elle consomme des moyens importants mais avec peu d’efficacité, faute de contrôles et d’ambition.
Tous les pays étudiés dans ce rapport constatent une amélioration de la performance énergétique de leur parc de logements. La France apparaît comme ayant les logements les moins performants par rapport aux autres pays. La performance énergétique des bâtiments résidentiels en France progresse à un rythme similaire à la moyenne européenne, alors que celle des bâtiments tertiaires (bureaux, commerces et restaurants, écoles et hôpitaux) progresse moins vite.
La Suède, seul pays à avoir entièrement décarboné son secteur doit son succès à plusieurs facteurs : normes exigeantes d’isolation, réseaux de chaleur performants, chauffage électrique et pompes à chaleur, fiscalité favorable aux énergies renouvelables.
L’Allemagne offre d’importantes subventions aux ménages et aussi aux entreprises. Elles sont conditionnées à un niveau de performance élevée et un recours obligatoire à une assistance à maîtrise d’ouvrage.
Les Pays-Bas se concentrent sur la sortie du fioul et du gaz domestique, la concertation locale et des feuilles de route par sous-secteurs pour les bâtiments publics.
L’expérience échouée du Royaume-Uni est due à des politiques d’obligations trop complexes, avec des échéances trop courtes et des moyens insuffisants.
En conclusion, la massification de la rénovation énergétique nécessite d’accroître fortement et de manière pérenne les montants investis par rapport aux tendances passées. L’investissement annuel total (public et privé) en rénovation énergétique, actuellement estimé à environ 13 milliards d’euros, devra être multiplié au moins par deux en quelques années. Pour soutenir cet effort, les dispositifs de soutien public, actuellement de l’ordre de 4 milliards d’euros, devront être quadruplés. Les annonces du plan de relance, où une enveloppe de 7,9 milliards d’euros est dédiée à la rénovation énergétique, vont dans le bon sens. Il s’agit de concrétiser et d’amplifier cette dynamique et d’envoyer un message univoque aux acteurs du marché en planifiant l’accroissement de la dépense publique tout au long de la décennie. Les bénéfices attendus en matière d’emplois, d’activité économique, et de réduction de la facture énergétique, sont autant d’arguments additionnels à un rehaussement de l’effort financier des pouvoirs publics.
Une politique de rénovation fondée exclusivement sur l’incitation est insuffisante à la réalisation de l’ambition française et européenne ; c’est ce qu’illustre l’exemple allemand, malgré ses nombreux atouts. Il est donc nécessaire de mobiliser, aux côtés des dispositifs d’aide publique, d’autres instruments complémentaires, tels que les obligations réglementaires et les outils fiscaux. De plus, les difficultés de mise en œuvre de l’obligation de rénovation des passoires thermiques au Royaume-Uni soulignent l’importance de développer une approche globale, où les enjeux d’équité et les capacités des ménages et des entreprises sont bien pris en compte. Le renforcement des politiques de rénovation doit en effet se faire dans une logique de transition juste, dont les principes sont développés dans le rapport annuel 2020 du Haut conseil pour le climat.
La massification des rénovations permettra de répondre aux enjeux actuels de reprise économique et d’emploi, en plus de répondre aux enjeux du réchauffement climatique.
Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) permettent de compléter le dispositif public dans le but d’atteindre les objectifs de rénovation que la France s’est fixées. La CCC propose en effet d’associer une trajectoire d’obligation de rénovation globale avec un fort soutien financier des ménages modestes, ceci dans une logique de justice sociale. Ces propositions permettent de réaliser la trajectoire de rénovation de la SNBC dans un esprit de transition juste et devraient être mises en œuvre par les pouvoirs publics. ■
En savoir plus : https://www.hautconseilclimat.fr/publications/renover-mieux-lecons-deurope/