“La santé environnementale est l’impact de l’Homme sur l’environnement, faune, flore, et ses conséquences sur sa propre santé et sur tous les êtres vivants”. C’est à partir de leur propre définition que les membres de la Commission d’enquête sur « l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale » ont planché. 64 auditions réalisées entre septembre et décembre 2020 plus tard, le rapport adopté à l’unanimité fait 23 propositions. Elles visent à « une réorientation » de la gouvernance de l’action publique en matière de santé environnementale. Il était temps affirme la députée MoDem, rapporteure de la Commission d’enquête dont elle est à l’origine parce que directement affectée par le sujet – l’un de ses enfants a eu un cancer et une commune de sa circonscription doit faire face à de nombreux cas de cancers pédiatriques. « Il aura fallu la crise suscitée par l’épidémie que nous traversons pour créer enfin un consensus autour de l’idée que la santé environnementale doit être une priorité pour le XXIème siècle » soupire Sandrine Josso. « Qui n’a pas perdu un proche atteint par le Covid-19, une maladie qui fait son lit des comorbidités d’origine environnementale ? Cancer, obésité, diabète ont constitué des terreaux favorables à la létalité du virus poursuit la rapporteure, et nous savons d’ores et déjà que ces maladies sont dues au moins en partie, à des facteurs environnementaux d’origine humaine comme l’usage des pesticides ou l’ingestion de perturbateurs endocriniens ».
Un sujet dans l’air du temps
Déjà en 2017, 92 % des Français estimaient que l’environnement a une influence importante sur leur santé, s’inquiétant des effets néfastes de certains facteurs environnementaux pouvant nuire à leur santé comme les pesticides, les perturbateurs endocriniens, la qualité de l’eau, de l’air, la pollution des sols... (1) Une inquiétude qui ne serait pas sans fondement puisque l’OMS estime que 12 à 13 millions de décès dans le monde, soit 23 % de la mortalité globale, sont liés à une cause environnementale – en premier lieu la pollution de l’air, en second lieu la qualité de l’eau. L’Agence européenne de l’environnement, dans un rapport récent s’appuyant sur les études de l’OMS, en estime la proportion en Europe à 13 %, soit 630 000 décès. Enfin, la Commission d’enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, chiffre le coût global de cette pollution, au regard de ses conséquences économiques, environnementales et sanitaires, à plus de 100 milliards par an, dont 20 milliards pour le seul air intérieur.
Pourtant sur cette question, la France a déjà à son actif le Plan National Santé Environnement (PNSE) ; le premier a été mis en place dès 2004. Chacun de ces plans – nous en sommes au 4ème - a une durée maximale de 5 ans. Leur objectif est de répondre aux interrogations de la population concernant les conséquences sanitaires de l’exposition à la pollution sous toutes ses formes (air, eau, sols, ondes électromagnétiques, produits chimiques, etc.). Mais à en croire les observateurs, ce dernier plan (PNSE 2020-2024) n’est pas à la hauteur des enjeux. « Il n’y a ni chiffre, ni contenu » s’étonne la rapporteure qui pointe également le précédent, le PNSE 3 aux « indicateurs imprécis » et au « pilotage éclaté qui nuit à l’intelligibilité et à la crédibilité des actions ». Même son de cloche de la part de la présidente de la Commission d’enquête, Elisabeth Toutut-Picard (LREM, Haute-Garonne) qui juge que la politique publique de santé environnementale « ne fonctionne pas ». La députée invite donc fermement les PNSE « à sortir de l’incantatoire et du virtuel dans lesquels ils se sont enlisés faute de moyens et d’ancrage dans le réel ».
Développer la culture de l’anticipation
Aussi, face « aux inquiétudes » et à la « défiance » et après avoir reproché aux ministères de fonctionner « en silo » « sans lien entre eux pour mettre des actions concrètes en place », la députée propose la création d’une « conférence nationale de santé environnementale » regroupant les acteurs du secteur. Acteurs (CESER, intercommunalités, ARS...) qui aujourd’hui « font chacun leur petit truc dans leur coin ». Sandrine Rosso entend ainsi « rassembler toutes ces instances », sous une forme territorialisée mais coordonnée au niveau national. Enfin, souligne-t-elle, « il faut cesser de considérer la santé environnementale comme une politique publique ciblée pour l’imposer comme une dimension obligatoire de toutes les autres » mais bien d’en faire une politique transversale avec son propre document budgétaire.
Au-delà, il faut investir dans « la culture de l’anticipation » et sensibiliser la population à ces questions. « La santé environnementale devra devenir une discipline enseignée dans les écoles et les universités, qui apprenne à considérer la santé humaine comme partie intégrante de son environnement animal et écologique » détaille le rapport. Au nombre des propositions figure aussi la formation des professionnels de santé - « un levier puissant mais sous exploité » -, avec une plus grande place accordée, dans le cursus médical, à l’étude des facteurs environnementaux émergents en la rendant obligatoire dans la formation continue.
Toujours sur le volet prévention, le rapport entend renforcer l’effort de recherche prévu dans la loi de programmation afférente, afin d’établir les causes environnementales à travers l’étude de l’exposome (2). La députée propose encore de « progresser dans la connaissance, et de développer des programmes de recherche intégrant des approches méthodologiques relevant des sciences humaines et sociales, centrés sur les « effets cocktails » et les conséquences des expositions multiples à faible dose ».
Création d’un « toxiscore »
Parce que « les citoyens sont aussi intéressés pour connaître la composition des produits qu’ils utilisent » et comme l’ont recommandé les députées Claire Pitollat et Laurianne Rossi, le rapport suggère la mise en place d’un « toxiscore » permettant d’évaluer les produits de consommation en fonction des produits reprotoxiques et cancérogènes, ou encore des perturbateurs endocriniens qu’ils contiennent.
Le rapport se penche aussi plus particulièrement sur un volet sectoriel de la question, à savoir l’obésité et les cancers pédiatriques.
Alors que le traitement de l’obésité, maladie qui affecte plus de 8 millions de nos concitoyens, reste centré sur le comportement nutritionnel et l’activité physique, la députée qui estime que cela n’est « pas suffisant » propose de transformer « la feuille de route Obésité » en une stratégie nationale de prévention, incluant le traitement des facteurs environnementaux, en particulier les perturbateurs endocriniens. Le rapport veut aussi la création d’un diplôme de « médecin obésitologue » afin de permettre « une prise en charge au long cours ».
Placer les cancers pédiatriques au cœur des stratégies anticancer
Quant aux cancers pédiatriques, « il est essentiel de les placer au cœur de la prochaine stratégie décennale de lutte contre le cancer, en cours d’élaboration » explique la députée. « Il y a une volonté de lutter contre les cancers pédiatriques reconnaît-elle mais elle déplore que l’on travaille aujourd’hui seulement sur les symptômes. Rien sur les causes ! » Un cancer est diagnostiqué chez un enfant ou un adolescent toutes les quatre heures, soit 2 2000 mineurs en moyenne par an selon les données de l’Institut national du cancer. « La plupart survivent mais certains en meurent. Les parents eux sont démunis face à ces drames » rappelle pour sa part la présidente de la Commission d’enquête.
Le rapport ne devrait pas être immédiatement transcrit dans une proposition de loi mais certaines des propositions pourraient faire l’objet d’ores et déjà de mesures d’ordre réglementaire. « On a des dispositifs qui ne sont pas utilisés. Il faut travailler sur ce qui existe déjà et s’interroger sur la manière de les rendre opérationnels » explique la députée « En revanche, il y aura un comité de suivi afin d’assurer que les propositions soient suivies d’actions » ajoute-elle, prudente. Et puis, le gouvernement prépare un projet de loi issu des mesures proposées par la Convention citoyenne. Lors de la discussion, plusieurs mesures du rapport pourraient alors faire l’objet d’amendements comme le souhaitent la présidente et la rapporteure de la Commission d’enquête. ■
(1) « Baromètre Santé-environnement » Harris Interactive, réalisé pour la Mutualité française, 2017
(2) concept correspondant à la totalité des expositions à des facteurs environnementaux - c’est-à-dire non génétiques - que subit un organisme humain de sa conception à sa fin de vie en passant par le développement in utero, complétant l’effet du génome.