Huit ans après l’opération Serval lancée en 2013, l’opération a changé de nom, de forme et s’est même étendue. Avec 5 100 personnels engagés sur un terrain qui touche maintenant tout le Golfe de Guinée, Barkhane fait aujourd’hui l’objet de débats sur sa légitimité et sur la nécessité de maintenir ou non nos forces sur place.
Alors que certaines voix semblent mettre en cause l’efficacité de Barkhane, Christian Cambon, le président de la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a dès le début de son intervention en séance voulu atténuer les propos défaitistes. « Barkhane a remporté de très nombreux succès tactiques, explique-t-il. De nombreux chefs djihadistes ont été neutralisés. Nous sommes parvenus à mobiliser nos alliés européens, même si les moyens qu’ils mettent en œuvre peuvent paraître insuffisants. La task force Takuba a été renforcée. Le G5 Sahel a progressé ». « Grâce à une pression permanente, la constitution d’un sanctuaire djihadiste a pu être évité » se félicite le sénateur qui reconnaît toutefois que « le dénouement de cette crise ne sera pas militaire. La solution ne peut être que politique, est donc du ressort des Maliens ». Dans une tribune au Figaro, Françoise Dumas, la présidente de la Commission de la Défense de l’Assemblée avec ses collègues Sereine Mauborgne et Nathalie Serre, rapporteurs de la mission d’information sur Barkhane* ne disent pas autre chose. « Depuis quelques semaines, plusieurs voix dénoncent l’enlisement de la France au Sahel. Nous contestons fermement ce jugement, qui n’aborde pas la globalité des enjeux : nos forces remportent de précieux succès tactiques, avec le soutien de leurs partenaires sahéliens et internationaux » expliquent-elles avant d’en appeler à une stratégie globale partagée entre les pays du G5 Sahel, la France et leurs partenaires internationaux et en ne limitant pas nos efforts au seul volet militaire.
D’autres élus se sont cependant montrés plus sceptiques assurant même que de « plus en plus de Maliens, mais aussi de nos militaires, nos diplomates, nos universitaires » s’interrogent sur le bienfondé de Barkhane. « Le coût de la guerre – plus d’un milliard d’euros par an depuis huit ans est exorbitant. Certes, nous contenons le terrorisme mais nous ne le faisons pas reculer. Quelque 55 soldats français ont perdu la vie, comme plus de 5 000 Maliens. Un demi-million de personnes ont été déplacées. La situation empire et les islamistes continuent leur sinistre entreprise » lâche Pierre Laurent. « Nous devons créer les conditions d’un retrait de nos troupes. Il ne s’agit pas d’abandonner le Mali au chaos mais de préparer un nouvel agenda pour la région, discuté avec l’Union africaine et l’ONU » précise le sénateur qui insiste sur la mise en place de vastes plans d’action pour le développement. « Serval, Barkhane, ont permis d’éviter la création d’un sanctuaire djihadiste. Mais malgré de nombreuses victoires, la guerre est loin d’être gagnée. Ce type d’intervention est un conflit asymétrique, qui ne permet pas à nos forces de vaincre, la détermination, l’imagination et la mobilité opérationnelle de groupes en effectif réduit, sur un terrain qu’ils connaissent parfaitement. La situation s’est dégradée ; la tâche djihadiste s’est élargie jusqu’au Burkina Faso et aux pays riverains du golfe de Guinée » explique à son tour Olivier Cigolotti. « Il faut une stratégie claire mais aussi intégrée et financée. Il est plus facile de financer la guerre que la paix… Même s’il n’est pas envisageable de réduire massivement l’empreinte française sur le terrain, une réflexion s’impose sur un accompagnement à forte valeur ajoutée – drones, renseignements ou frappes aériennes ciblées » argumente-t-il.
« Il importe de mieux concilier effort pour la sécurité et effort de coopération. Chaque jour, l’opération militaire nous coûte 2 millions d’euros alors que nous mettons 200 000 euros dans la coopération. L’Europe doit pouvoir mieux aider, tout comme l’AFD, dont la logique nous dépasse parfois et dont la transparence doit être renforcée. L’éducation, la santé, l’accès à l’eau sont plus importants que bien des actions. […] Nos soldats au Sahel connaissent leur devoir. A nous de leur indiquer le sens de leur mission : c’est ce que nous attendons de vous » a fini par lancer le président du Groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau.
Pour autant ce défi du développement, essentiel pour traiter le mal à la racine, ne serait pas à la hauteur des enjeux pensent de nombreux élus. Si plus d’un milliard d’euros ont été dépensés dans les opérations militaires en 2019, « nous n’avons mobilisé que 85 millions d’euros en aide publique au développement au Mali » regrette Christian Cambon. « L’approche 3D – diplomatie, défense, développement – doit dépasser l’incantation » insiste Ludovic Haye. « L’aide au développement est essentielle a enchéri Guillaume Gontard, si les projets de développement ne servent qu’à favoriser l’acceptation des soldats français par les populations locales, ils ne seront qu’un paravent de la situation socio-économique très dégradée dans la région […] Que prévoit la France pour l’aide au développement et pour lutter contre les tensions communautaires ? ». Une remarque qui a eu du mal à passer auprès du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian qui a corrigé « quelques propos erronés ». Et de répondre au sénateur : « Nous oeuvrons en coopération étroite avec les acteurs locaux. A vous écouter, nous ne faisons rien… Prenons l’exemple de la bourgade de Kona au Mali, où il u a des participations croisées en faveur du port fluvial, de l’éducation des jeunes, de l’éclairage public. Si ce n’est pas du développement, qu’est-ce que c’est ? ».
« Pourquoi sommes-nous au Sahel ? Il y a huit ans, le Mali a fait appel à la France pour stopper des djihadistes fonçant sur Bamako. Nous avons répondu parce que c’est ainsi que nous nous comportons à l’égard de nos partenaires. […] Nous avons répondu également parce que nous ne voulons pas que le Sahel devienne un sanctuaire terroriste, où se préparent des attentats contre l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest voire l’Europe. Oui les forces françaises se sont adaptées, ajustées ; et l’opération Barkhane évoluera encore » a tenu à rappeler la ministre des Armées, Florence Parly. « Je l’ai dit : Barkhane n’est pas éternelle, mais à court terme, nous allons rester, ce qui n’empêche pas des évolutions. Les pays sahéliens veulent que nous restions. La stratégie au Sahel reste une priorité contre Daech et Al-Qaïda. Le risque d’expansion du djihad vers le golfe de Guinée est réel. Leur objectif est clair : faire de la région une base arrière du djihadisme » a poursuivi la ministre.
En visioconférence pour le sommet du G5 Sahel de N’Djamena, le président Emmanuel Macron a appelé à « décapiter » les groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda des pays de la région, toujours menaçants. Le président de la République a également indiqué que la France ne comptait pas réduire « dans l’immédiat » les effectifs de Barkhane au Sahel même si « des évolutions sans doute significatives seront apportées à notre dispositif militaire au Sahel en temps voulu ». « il serait paradoxal d’affaiblir notre dispositif au moment où nous disposons d’un alignement politique et militaire favorable à la réalisation de nos objectifs » a-t-il ajouté. « Retirer massivement les hommes, qui est un schéma que j’ai étudié, serait une erreur » mais « dans la durée et au-delà de l’été, je souhaite qu’on travaille avec nos partenaires pour une évolution de notre présence ». Et revoir notre présence sur place, c’est « sahéliser » l’opération – c’est-à-dire une implication plus forte des forces locales – en misant sur une « internationalisation » de l’effort pour les aider en ce sens. C’est le sens du groupement de forces spéciales européennes Takuba formé de plusieurs centaines de commandos français mais aussi Estoniens, Tchèques et Suédois. « Notre volonté est de sortir d’une logique d’opération extérieure pour nous concentrer sur la stricte lutte contre le terrorisme, c’est à dire des forces plus légères de projection avec un Takuba renforcé » a précisé Emmanuel Macron. « Notre objectif c’est d’arriver à 2.000 hommes sur Takuba, avec un pilier français autour de 500 hommes, dans la durée, et une coopération avec les armées de la région, avec plusieurs emprises mais à chaque fois en appui, avec des militaires qui seraient là dans la durée aux côtés des militaires sahéliens, ce qui est une logique différente de celle des opex ».
Lors de cette réunion, les chefs d’Etat ont collectivement reconnu qu’au-delà de l’effort militaire, c’est le retour de l’Etat, des administrations et des services aux populations ainsi que la consolidation de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance, qui garantiront une paix durable, répondront aux besoins actuels des populations, permettront la stabilisation des pays du G5 Sahel et feront durablement reculer les GAT.
Une nouvelle réunion des chefs d’Etat du G5 Sahel devrait se tenir au printemps et un sommet « avant l’été » a conclu Emmanuel Macron. ■