Devant les conclusions du sommet européen consacré aux migrations en Méditerranée, le Président de la Commission européenne, Jean- Claude Juncker, s'est avoué déçu et a souhaité affirmer sa volonté de remettre de nouvelles propositions sur la table. Mais le Conseil européen a rejeté ses propositions.
Le Président luxembourgeois a tenté d'utiliser la réunion extraordinaire des chefs d'État et de gouvernement pour promouvoir une proposition législative relative à l'immigration, en vain. Jean- Claude Juncker a également essayé de convaincre les dirigeants européens que l'UE devrait accueillir 10 000 réfugiés. Selon un représentant de l'UE, une autre proposition, portant sur 5 000 places d'accueil, a été écartée car jugée trop limitée pour être convaincante.
Il intervenait au Parlement européen, où une résolution a été votée pour demander la mise en place de solutions d’urgence, au lendemain de l’accord du Conseil européen pour doubler le budget de l’opération en cours, Triton, qui secourt des navires en Méditerranée.
La Commission européenne a donc anticipé la publication de son « Agenda européen sur la migration » et présenté un plan d'actions pour tenter de stopper le trafic des migrants, mais beaucoup de ces propositions suscitent l'hostilité au sein des pays membres. Jean- Claude Juncker est reparti au front et a décidé de porter ce projet. Il souhaite instaurer un système de quotas d’accueil pour les migrants demandeurs d’asile dans le but de soulager l’Italie, la Grèce et Malte après la série de naufrages de ces dernières semaines.
Le président de la Commission européenne entend mettre en place un «mécanisme de distribution» pour des migrants qui ont «clairement besoin d’une protection internationale ». Ainsi, le Président Luxembourgeois veut instaurer des quotas qui seraient basés sur des critères tels que le PIB du pays, sa taille, son taux de chômage ou encore son nombre de demandeurs d’asiles volontairement pris en charge. Ce serait un système temporaire, face à l'urgence, en application de l'article 78-3 du traité de Lisbonne.
Bruxelles songe également à un système de quotas pour la réinstallation (resettlement) de personnes persécutées ayant fui vers un pays tiers. Elles sont plus de 10 millions dans le monde, et les Nations unies, qui coordonnent un programme de réinstallation, aimeraient que l’UE accueille 20 000 personnes par an.
Bruxelles propose de le faire en deux ans. Ces « quotas », fixés pour chaque pays européen, marqueraient une rupture avec la règle existante: celleci impose aux seuls pays de débarquement - l'Italie surtout, mais aussi la Grèce, Malte et Chypre - l'obligation de prendre en charge les migrants secourus en mer. À eux ensuite d'examiner individuellement chaque cas et de faire le tri entre ceux qui méritent l'asile, selon le droit international, et ceux qui, déboutés, peuvent être renvoyés à leur point de départ.
La Commission Juncker a donc proposé aux pays de l'UE d'accueillir jusqu'à 40 000 demandeurs d'asile venus principalement de deux nations, la Syrie et l'Érythrée. Le plafond de 40 000 correspond à 40 % des 100 000 demandeurs d'asile qui ont posé le pied dans les deux pays méditerranéens l'an dernier. 24 000 seraient concernés en Italie et 16 000 en Grèce. Le placement se ferait dans la plupart des pays de l'UE, à destination principalement de l'Allemagne (18 %), de la France (14 %), de l'Italie (12 %) et de l'Espagne (9 %), d'après des «clés» de répartition calculées le mois dernier.
La proposition sera soumise à un vote décisif des capitales européennes. Elle s'appliquerait pour 24 mois. Le plan de la Commission ne concerne pas les migrants « économiques », venus essentiellement d'Afrique de l'Ouest à travers la Méditerranée. Ceux-là ne sont pas menacés, eux, et peuvent être ramenés chez eux.
« Aucun pays ne devrait être laissé seul face aux immenses pressions migratoires », affirme Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission européenne. Pour bousculer l'ordre établi, il s'appuie sur une disposition jusqu'ici inusitée du traité de Lisbonne: l'article 78.3, qui confie à la Commission le soin d'établir des « mesures provisoires » en cas d'«afflux soudain de ressortissants de pays tiers» dans l'UE. Mais c'est aux États eux-mêmes qu'il reviendra, à travers le Conseil européen, d'accepter, de rejeter ou de modifier le dispositif, après consultation du Parlement européen.
La France a apporté son soutien à cette politique de redistribution des réfugiés. « Il est normal qu'il y ait une répartition entre les différents pays de l'UE », a estimé le ministre de l'Intérieur français, saluant la proposition du chef de la Commission européenne. Bernard Cazeneuve affirme d'ailleurs que la France avait formulé cette proposition de quotas « au mois d'août » : « le nombre de demandeurs d'asile a diminué de 3% en 2014. Tous ceux qui relèvent de l'asile doivent être accueillis mais ceux qui ne peuvent pas bénéficier du droit d'asile doivent avec fermeté être reconduits à la frontière. Notre politique est très claire. »
Mais François Hollande et Manuel Valls ont refusé le principe du quota. Le Premier ministre a même qualifié lors d’une séance de questions à l’Assemblée nationale, de « faute morale et éthique » le recours proposé par Bruxelles aux quotas pour les demandeurs d’asile en Méditerranée, au motif que la demande d’asile est un droit reconnu ou non suivant des critères légaux. Un peu plus tôt, c’est le chef de l’Etat, en visite à Berlin, qui avait aussi affirmé : « il n’est pas question qu’il y ait des quotas d’immigrés, parce que nous avons des règles » sur « le contrôle des frontières et des politiques de maîtrise de l’immigration ». Il a mis en garde contre le risque de « confusion », induit par la notion de quotas : « elle laisse entendre que tous les migrants qui parviennent en Europe ont vocation à y être accueillis et ce, indépendamment des raisons de leur présence. »
Le gouvernement du conservateur David Cameron a lui déclaré la guerre à ce plan d'action européen. « Les migrants qui tentent de gagner l'Union européenne en traversant la Méditerranée devraient être renvoyés », a affirmé dans les médias britanniques la ministre de l'Intérieur, Theresa May.
Réforme du droit d’asile au Sénat
Ce point de vue britannique est assez largement partagé par les gouvernements conservateurs de l'UE. En France, où elle est dans l'opposition, la droite fait part de la même hostilité. Au contraire du gouvernement. Ces mesures ont le don de hérisser beaucoup de pays d’Europe de l’Est. Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, a déjà expliqué qu’il trouvait ce système « insensé ».
Cette initiative intervient alors que les pays de l'Union européenne entendent mener des actions sous l’égide de l’ONU, y compris par la force, contre les réseaux de passeurs et de trafiquants qui récupèrent les migrants en quête d'asile et leur font traverser la Méditerranée, notamment depuis la Libye, au péril de leur vie.
Les pays européens membres du Conseil (France, Royaume-Uni, Espagne, Lituanie) et l'Italie s'efforcent de mettre au point un projet de résolution qui donnerait une plus grande légitimité internationale aux opérations européennes pour arraisonner des navires chargés de migrants dans les eaux internationales.
Dans le même temps, la réforme du droit d'asile a été examinée au Sénat. Après un passage sans heurts à l'Assemblée, les débats s'annoncent ici beaucoup plus houleux. Avant même son examen, le texte a donné lieu à de vifs échanges entre le gouvernement et l'opposition. La Commission nationale réagissait à la publication, deux jours auparavant dans Le Figaro, d'un document provisoire de la Cour des comptes chiffrant à 2 milliards d'euros par an le coût de l'asile en France et affirmant que 1% seulement des déboutés faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sont effectivement expulsés.
Des chiffres vivement contestés par la suite au ministère de l'Intérieur. L'un des objectifs de cette réforme du droit d'asile est de réduire les délais d'examen des demandes à neuf mois au lieu de deux ans actuellement. Mais les sénateurs ont voulu profiter de l'examen du texte sur la réforme de l'asile pour traiter des questions des déboutés, en les durcissant, alors qu’elles ne devaient être évoquées que lors du projet de loi immigration du gouvernement.
Les sénateurs ont ainsi fait voter que tout migrant à qui est refusé de manière définitive le statut de réfugié ait une obligation de quitter le territoire français.
Un autre amendement prévoit que les déboutés ne puissent solliciter un titre de séjour sous un autre motif (regroupement familial par exemple). La réforme du droit d'asile n'est pas encore prête d'arriver à son terme puisque qu'elle fera l'objet d'une seconde lecture à l'Assemblée nationale avant d'être définitivement adoptée.
Depuis le début de l'année, le nombre de réfugiés qui tentent la traversée de la Méditerranée pour gagner l'Europe est sans précédent. La Sicile s'attend ainsi à accueillir 5 000 migrants par semaine jusqu'en septembre, selon le ministère de l'Intérieur italien. En cinq mois, au moins 1 500 personnes sont mortes en tentant la traversée vers l’Europe. En 2014, sur la même période, ils étaient moins d’une centaine.