Entre 2015 et 2019, les réformes territoriales ont permis la création de communes nouvelles pour lesquelles s’est posée la question du nom. Se posent aussi régulièrement le choix du nom d’une rue et plus rarement d’un département ou d’une région.
Sollicités par les préfectures et les mairies, la Commission nationale de toponymie s’est alors fendue de ce guide pour accompagner les décideurs, et les élus.
Les noms d’un lieu « témoignent des langues et des cultures successives dans lesquelles ils ont été créés et employés, et renseignent sur l’histoire d’un territoire » lit-on en introduction de ce guide. « Plus précisément, ils traduisent les représentations que les sociétés humaines se font des lieux qu’elles habitent ou fréquentent. Ils résultent d’une créativité qui est nécessaire, mais qui doit être encadrée ». L’attribution d’un nom est rarement le fait du hasard et remonte bien souvent à une époque très lointaine : « Certains toponymes sont de précieux vestiges d’une haute antiquité, comme les noms d’origine gauloise, ou ceux issus de la romanisation de la Gaule » (1). D’autres lieux sont le reflet d’une pratique linguistique locale. Les noms de lieux apparaissent ainsi comme un conservatoire des diverses langues parlées à différentes époques sur le territoire français (2). On retrouve aussi dans les toponymes, la mémoire des paysages façonnés ou non par l’homme ou la pratique parfois disparue d’activités humaines. « Ils peuvent être l’indice de la présence d’anciennes voies de communication ou encore du culte rendu à des saints régionaux ou locaux » ajoute encore le guide (3). « Outre leur fonction pratique, les noms de lieux constituent donc un legs immatériel des sociétés passées. Cette dimension patrimoniale ne doit pas être oubliée dans les débats sur la modification d’un nom, ou la substitution d’un nouveau nom à un nom historique » insistent les auteurs du guide.
Cette question du choix du nom, « parfois prise en compte trop tardivement pour aboutir, le moment venu, à un résultat satisfaisant » a donc semble-t-il nécessité un petit rappel pédagogique et méthodologique. Ainsi, un nom de lieu (rue, commune, intercommunalité, département, région, etc.) « doit être, à la fois, significatif pour les habitants du lieu et distinctif, notamment pour les autres utilisateurs. Un nouveau nom de lieu doit enfin pouvoir entrer facilement dans l’usage courant. » Le nouveau doit également pouvoir être utilisé à l’oral comme à l’écrit et être d’une « longueur raisonnable » qui doit également s’apprécier en nombre de syllabes (pas plus de quatre au risque sinon d’être abrégé à l’oral). Le nouveau nom doit être facilement prononçable. Des évidences qui pour être rappelées ne l’étaient peut-être pas forcément.
Le guide alerte aussi sur les « noms burlesques, pittoresques, chantants » parfois mis à l’honneur par les communes elles-mêmes (4). Certaines préfèrent toutefois en changer. Dès lors, le guide insiste sur la nécessité de s’assurer « que le nom envisagé ne présente pas de consonances ou de connotations difficiles à assumer ou susceptibles de le devenir, qu’il soit employé seul ou en contexte compte tenu de liaisons, de mauvaises coupures ou d’autres jeux de mots avec une ou des syllabes tirées des mots voisins » (5). Enfin, il ne faut pas oublier la formation du nom des habitants : « Un nom de lieu habité doit pouvoir être dérivé pour former un adjectif susceptible d’être, d’une part féminisé et d’autre part substantivé pour désigner les habitants ». Mais au final ce qui doit primer, insiste la DGLFLF, c’est bien « la simplicité du choix, son caractère consensuel et une promotion active ». Et surtout de ne pas oublier d’associer les habitants au choix. ■
(1) Nogent (« nouveau village »), Beaune (du dieu gaulois Belenos), Nantua (Ain) (de nanto -, « vallée ») …
(2) basque (Etcheverry, Mendigorry, etc.), breton (Kerguen, Locminé, etc.), scandinave (Honfleur, Criquetot, etc., en Normandie), langues germaniques (Dunkerque, « église de la dune », en Flandre, Altkirch, « vieille église », en Alsace), occitan (Riouclar, « ruisseau clair », rue EsquichoCoude, « où il faut serrer les coudes », à Aix-en-Provence, etc.),
(3) Ardillères, Argilières ou Argelès des terrains argileux… Chenevières ou Canebière (culture du chanvre) ou, en ville, les rues de la Saunerie (commerce du sel) ou de la Verrerie…
(4) Arnac-la-Poste (Haute-Vienne), Marans (Charente-Maritime), Plumaudan (Côtes-d’Armor), Vinsobres (Drôme), etc
(5) Les Allemands devenus en 1915 Les Alliés (Doubs), Hypercourt (Somme) créé en 2016 pour Hyencourt-le Grand, Pertain et Omiécourt,
* Décider du nom d’un lieu – Guide pratique à l’usage des élus – 2021
En savoir plus : https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Langue-francaise-et-langues-de-France/Actualites/Decider-du-nom-d-un-lieu-Guide-pratique-a-l-usage-des-elus-2021
Plus de diversité
C’était un souhait du Chef de l’Etat « de faire vivre l’unité et la cohésion de notre communauté nationale, dans toute sa richesse et sa diversité » sur les plaques de rues ou sur le fronton de bâtiments publics. Et c’est la ministre déléguée chargée de la Ville Nadia Hai qui a été chargée de transcrire dans les faits cette volonté présidentielle. Elle a donc initié la création de « Portraits de France » qui rassemble pour la première fois 318 fiches consacrées à des personnalités « qui ont contribué à notre Histoire mais n’ont pas encore tous trouvé leur place dans notre mémoire collective ». « Nous avons voulu mettre à l’honneur des parcours et des actes qui ont marqué l’histoire de la France » explique Nadia Hai. Un recueil de 318 noms de personnalités d’origine étrangère dans lequel pourront venir piocher les élus des collectivités en mal d’idées pour baptiser rues, boulevard, places, parcs et autres médiathèques. Leurs histoires contribuent à l’Histoire de France depuis 230 ans, de la Révolution française à nos jours. « La grande majorité sont nés français ou le sont devenus, mais certains ne l’ont jamais été » précise la ministre déléguée. Cette liste est le fruit d’un long travail de sélection d’un conseil scientifique indépendant composé de personnalités aux profils variés (chercheurs, responsables d’associations, historiens, sociologues, auteurs, journalistes, directeur de musée), placée sous l’autorité de l’historien Pascal Blanchard. Mais ce choix n’a pas manqué de faire polémique, au-delà du choix de certaines personnalités, le peu de place fait aux femmes, 67 sur 318 noms (67 %) interroge. Pour Pascal Blanchard c’est « parce que dans le prisme militaire, dans l’histoire du sport, dans la littérature, les femmes sont entrées extrêmement tard dans l’histoire » a -t-il expliqué aux micros de Franceinfo. Mais que l’on se rassure, ce recueil sera suivi d’un autre. « Un deuxième tome est en cours, composé de personnalités vivantes » indique Nadia Hai.